Je me demandais si la Fashion Police n’allait pas défoncer ma porte, me faire une clef de bras pour me clouer au sol, et jeter un jerricane d’essence sur mes pulls moches. En rangeant mes fripes légères comme les mœurs de John Mayer – j’étais jusqu’alors d’un optimisme sans faille concernant la montée du mercure – je comptabilisais, pour l’hiver, non pas un, ni deux, mais quatre pulls au goût douteux. Comment en étais-je arrivée à déployer un amour sans faille pour les pulls moches ?
« Ugly is beautiful ». La rengaine qui a permis aux blogueuses mode du monde entier d’assumer leurs plaisirs coupables (montures de lunettes épaisses façon « lunettes de sécu », tee-shirts têtes de loup hurlant à la lune…) a fait les choux gras de la presse féminine. Le kitsch dans toute sa splendeur a réintégré les garde-robes des starlettes : le tie-dye, procédé né de la démocratisation du LSD et popularisé par les artistes hippies des années 70, a commencé à faire son grand retour sur les podiums. A partir de là, nous avons été foutu. Et c’est dans cette brèche que le pull moche a pu se faufiler sans vergogne.
La robe tie dye de Janis Joplin, qui a survécu à Janis Joplin.
Notre nostalgie. Tout est arrivé à cause de notre nostalgie, vipère sournoise qui s’est infiltrée sous la peau à mesure que nos repères se brouillaient. Les années 2000 n’ont pas été les plus folichonnes, Le Journal de Mickey et Okapi nous ont bien menés en bateau à ce niveau-là. Comme pour nous rassurer et nous raccrocher à quelque chose, nous avons commencé à invoquer l’esprit du Club Dorothée. Nous avons fait des soirées à la gloire des années 90, dansant sur l’autel de la Dance maudite, pleurant d’émotion à l’évocation des noms de Charlie et Lulu. Sale affaire. American Apparel s’est mis à vendre des chouchous imprimés, tirant profit des chutes de leurs tissus. Et les designers du groupe espagnol Inditex (Zara, Bershka, Stradivarius, Oysho…) ont flairé la tendance comme des renards.
[leftquote]Nous adoptions, avec le pull moche, une attitude cool, libérée des carcans classiques de la mode.[/leftquote] Les pulls rennes, les pulls sapin de Noël et les pulls flocons de neige ont pullulé dans les rayons des magasins de prêt-à-porter. Enfin, nous avions l’occasion de nous travestir en Macauley Culkin période Maman j’ai raté l’avion, et d’avoir chaud sans avoir à céder au cachemire hors de prix. La pression d’être une fille sophistiquée s’est évaporée comme le gel du matin : désormais, nous n’avions plus à nous présenter comme une fille glamour qui s’auto-flagelle à marcher comme une grenouille sodomite avec ses talons vertigineux. Nous adoptions, avec le pull moche, une attitude cool, libérée des carcans classiques de la mode. Mieux, nous pouvions être cette fille fun qui ne se prend au sérieux.
Mais était-ce vraiment ça ? Le pull moche est-il une façon de dire « je m’en fous de ce que tu penses » ou au contraire de noyer le poisson ? Celle qui s’en fout réellement est facile à démasquer (elle arbore, en plus de son pull de fêtes de fin d’année, des chaussettes en laine dans des crocs), mais celle qui ne s’en fout pas tant que ça l’est tout autant (elle porte un blouson en cuir Diesel et un foulard The Kooples par-dessus). Ce qui était humoristique au départ est devenu vêtement d’apparat. Le mouvement s’est étendu, on lui a même donné un nom : le ridicool. Un comble : à chercher à tout prix à ne pas se prendre au sérieux, ne finirait-on pas par se prendre trop au sérieux ?
Le pull moche est devenu hype à son tour. Je touchais la maille et le coton du bout des doigts, un pincement au cœur en repensant à tous ces lieux où j’avais déniché mes hauts : celui-ci à Toulouse, celui là dans le placard des années 80 de ma mère, celui-ci à 5$ taxes comprises dans une friperie de Portland en Oregon… J’avais voulu me distinguer de la masse, j’avais voulu plaisanter et ne pas me peler les miches, et voilà que je m’étais fait avoir à mon propre jeu. Mais à y regarder de plus près, est-ce si grave ?
[rightquote]En devenant ultra populaire, il a démontré que la laideur pouvait être esthétique. Que, comme toujours, la création naît de la rue.[/rightquote] Au final, le principe d’origine reste. Il s’agissait, au début, de faire un pied-de-nez aux clichés imposés par les pisse-froids et les frileux de l’originalité. Allez-vous faire cuire un œuf, diktats infinis ! J’aime mes pulls moches, et, avec du recul, je me rends bien compte que j’en ai toujours eu au moins un dans mes tiroirs. Le pull moche c’est l’antithèse de l’élégance, le refus du « beau » tel que la société l’entend. En devenant ultra populaire, il a démontré que la laideur pouvait être esthétique. Que, comme toujours, la création naît de la rue. Et si le second degré a été la motivation première, alors ce ne peut être qu’une bonne chose. Sous prétexte que plus de gens en mettent, je ne vois pas pourquoi j’arrêterais. Au contraire, cela me redonnerait presque foi en l’humanité. We are the fashion !
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Mais je pense que si je sors ma polaire Quechua on va me regarder de travers du haut des p'tits pulls à motifs nordiques !
Et j'adore ma polaire Quechua btw !
(bon je l'avoue j'ai un faible pour les teeshirt immondes informes XXL, je vis en pyjama du teeshirt !)