Depuis un mois et demi, une des meilleures joueuses de basketball au monde est détenue dans les prisons russes. Le 17 février, Brittney Griner, joueuse américaine à Phoenix Mercury en WNBA, se rend à Ekaterinburg, en Russie, son autre club depuis neuf saisons. Pendant deux semaines, personne n’a de ses nouvelles, elle disparaît des radars.
Ce n’est que le 5 mars que les autorités russes déclarent avoir arrêté une championne de WNBA à l’aéroport de Moscou. Une inspection de son bagage à main aurait révélé la présence « de vapoteuses et d’un liquide présentant une odeur particulière » d’huile de cannabis — une substance interdite en Russie mais autorisée dans son pays.
Le tribunal de Khimki, en banlieue de Moscou, a décidé de prolonger la détention de la sportive de 31 ans jusqu’au 19 mai. Elle risque 5 à 10 ans de prison.
Brittney Griner, arrêtée en Russie dans l’indifférence générale
Deux fois médaillée olympique, deux fois championne du monde avec les États-Unis, Brittney Griner, du haut de ses 2,06 mètres, est aussi l’une des premières femmes à faire des dunks en compétition.
Malgré son palmarès impressionnant et sa notoriété, son arrestation dans le pays qui a déclaré la guerre à l’Ukraine n’a été que très peu médiatisée.
Durant la cérémonie des Oscars, le documentariste récompensé, Ben Proodfoot, s’est fendu d’une demande de libération de la basketteuse – autant dire que cette tribune a été quelque peu évincée par la claque de Will Smith.
Et si Hillary Clinton a bien essayé de lancer un mouvement #FreeBrittney, son écho a été bien moindre que le #FreeBritney de Spears…
À noter que le cas de Brittney Griner a été présenté comme un exemple de risque d’arrestation arbitraire des étrangers par les Russes : « Cela devrait servir de signal d’alarme à tous les Américains en Russie : partez de là » a conseillé l’ancien ambassadeur des États-Unis à Moscou dans le New York Times.
Une sous-médiatisation volontaire ?
Alors que Vladimir Poutine répète être en guerre contre l’Occident et « ses valeurs », Brittney Griner, une femme noire et lesbienne, aurait pu être utilisée comme une monnaie d’échange.
« Dans le cadre de la guerre, elle devient un symbole, pourtant j’ai l’impression qu’il y a une sorte de consensus côté américain pour ne pas trop en parler afin de la protéger », analyse Lukas Aubin, spécialiste de la géopolitique de la Russie et du sport. Les déclarations d’une ancienne de la WNBA, Lisa Leslie, abondent dans ce sens. Elle a confié dans le podcast I Am Athlete :
« On nous a dit de ne pas faire trop de bruit autour de Brittney. »
Cela expliquerait le mutisme de la fédération de basketball américaine (la WNBA) et internationale (la FIBA), qui n’ont pas sorti un seul communiqué depuis son arrestation.
Pour la spécialiste de la géopolitique du sport et du genre Carole Gomez, cette faible médiatisation donne lieu à plusieurs interprétations possibles.
« Soit le silence est volontaire car la surpolitisation inquiète : elle pourrait crisper les positions et rompre les négociations. Soit les autorités sont déjà sur le coup et n’ont pas besoin d’une médiatisation supplémentaire. Soit l’affaire Brittney Griner n’est tout simplement pas considérée comme une priorité. »
« Le contraire du syndrome de la femme blanche disparue »
De l’autre côté de l’Atlantique, l’enseignante en journalisme à Syracuse Aileen Gallagher, dénonce l’hypocrisie de cette médiatisation qui serait tamisée « pour le bien » de Brittney Griner.
« Je n’ai pas l’impression que les médias américains aient l’habitude de suivre des ordres. »
Selon elle, la médiatisation aurait été très différente s’il s’était agi d’une autre personne — « C’est le contraire du syndrome de la femme blanche disparue », assure Aileen Gallagher. Ce biais médiatique décrit la plus grande couverture médiatique dont bénéficient les jeunes femmes blanches attractives par rapport aux femmes racisées.
« Ici, Brittney Griner est une femme noire et queer, on voit qu’elle bénéficie d’une attention plus limitée. »
Gallagher ajoute que des stéréotypes négatifs accolés aux personnes noires ont pu biaiser le narratif initial.
« Il est vrai que les médias prennent plus facilement le côté des forces de l’ordre. La très grande majorité n’ont pas pensé à questionner la version russe : il est considéré “normal” qu’une femme noire puisse prendre de la drogue. »
« Les Russes nient toute politisation »
Cette remise en question des faits reprochés est justement l’histoire dont se sont emparés les médias russes. Lukas Aubin, docteur en géopolitique à l’Iris, relève :
« Il est intéressant de voir que la presse russe nie toute politisation de l’histoire. Quand les médias russes traitent de la question, il parlent de la façon dont les médias occidentaux la regardent et créent un “complot”. »
Au milieu de cette guerre de l’information, les soutiens de Brittney Griner commencent à s’impatienter. Ce 1er avril ses coéquipières sont enfin sorties du silence : la coach de l’équipe nationale, Cheryl Reeve, s’est dit prête à s’exprimer « jusqu’à ce que le plus haut niveau du gouvernement résolve cette affaire ».
En attendant son jugement le 19 mai, on peut donc espérer entendre de plus en plus parler de Brittney Griner.
À lire aussi : Marina Ovsyannikova, qui a dénoncé la guerre en Ukraine à la télé russe, a été libérée
Crédit de une : Lorie Shaull / CC BY-SA 4.0
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