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Les notes à l’école et l’effet Pygmalion

L’effet Pygmalion est dévastateur. Pourquoi l’EFAV relance le débat sur les notes à l’école primaire ? Quels sont les rouages psychologiques qui biaisent l’évaluation des élèves ?

Souviens-toi madmoizelle, c’était aux alentours de 1990 (1995 pour les jeunes rookies parmi nous) et si tu étais vraiment sage, la maîtresse allait te refiler un bon point, le Graal de l’élève en primaire. Celui-là même que tu allais pouvoir brandir fièrement (et pernicieusement) à tes parents, qui compensera le fait que tu viens de t’enfiler tous les choco-suiss (puisque ce n’était pas Maurice, finalement) et accessoirement de baver un peu de chocolat sur le pyjama de ton frangin.

Ce jour-là, tu pouvais te promener comme une princesse en survêt’ à pression et te gargariser devant les copines en espérant que Claire M., cette teigne de petite blonde aux cols claudine qui avait toujours 20 en dictée, entende parler de ta suprématie temporaire.

Que devons-nous retenir de l’anecdote : que le primaire est une jungle où l’on connaît parfaitement les petits chérubins qui ont 20, et que l’on visualise tout aussi bien quelles sont les têtes brulées qui n’ont pas 20, justement ? Que les notes viennent semer leur zizanie dans nos têtes enfantines ? Qu’elles se transforment en pression, qui peut elle-même devenir un risque de démotivation, en particulier pour les élèves en difficulté ?

photo © flickr woodleywonderworks

photo © flickr woodleywonderworks

Les notes à l’école, la fausse bonne idée ?

Partant de ce postulat, l’AFEV (Association de la Fondation Étudiante pour la Ville) a ouvert le débat : quid d’une suppression des notes à l’école élémentaire ? La polémique a pris entre partisans de la compétitivité en couche-culottes et défenseurs d’une évaluation adoucie par compétences, et tout ce petit bazar me rappelle l’une des notions les plus marquantes de psychologie sociale : l’effet Pygmalion, ou la mise en conformité de nos comportements avec les attentes à notre égard.

Tu vas me dire que je radote, et que ça ressemble drôlement à de la menace du stéréotype, voire à un pendant « psycho » de l’effet placebo, et tu n’auras pas tort, jeune margouline : le package nous rapproche de la prophétie auto-réalisatrice.

Rosenthal, ses étudiants et ses rats

Je vais te dire : l’histoire nous vient de Rosenthal, qui s’est un jour posé la question de l’influence de l’expérimentateur dans ses propres résultats, et a organisé une expérience pleine de rats et d’étudiants.

A un premier groupe d’étudiants

, il confie 6 rats qu’il présentent comme particulièrement intelligents et ayant subi une sélection extrêmement sévère (des rats de fou-fou).

Un second groupe d’étudiants écope de rats prétendument pas très exceptionnels, voire un peu nazes, et qui auraient même du mal à effectuer un parcours de labyrinthe.

Tu penses bien que les rats étaient départagés de façon totalement aléatoire, et que les prédictions de leur pseudo-compétence à trouver la sortie du labyrinthe pronto provenaient tout droit de l’esprit de Rosenthal.

Les résultats confirment très largement les dires du chercheur : les rats désignés « nazes » mettent beaucoup plus de temps que les rats de compèt’ à atteindre la sortie, et certains ne quittent même pas la ligne de départ.

Qué ? Alors quoi, ça voudrait dire que si je ne crois pas suffisamment en mon chien, il ne va jamais réussir à me le ramener, ce putain d’os ? Peut-être : il est probable qu’en étant persuadés que leurs rats étaient de vrais petits génies, les étudiants s’en soient mieux occupés, leur aient manifesté plus de sympathie… Les menant malgré eux vers plus de réussite.

L’expérience crée la polémique, et les revues scientifiques de l’époque refusent de la publier… L’équipe finit par relayer leurs résultats dans une revue de vulgarisation scientifique, et sont contactés par la suite par une directrice qui les invite à étudier ces effets d’attentes au sein de son école.

Rosenthal, Jacobson et des tests de QI

Rosenthal et Jacobson soumettent alors 650 élèves à un test de QI classique (supposé mesurer les aptitudes réelles des élèves au début de l’expérience). Par la suite, ils expliquent aux enseignants que tous les élèves n’ont pas le même rythme cognitif, et que certains apprendront plus rapidement que d’autres.

Même traitement que pour les rats, les pronostics (trouver la sortie du labyrinthe, trouvera pas ?) transmis aux enseignants étaient aléatoires, et ne devaient pas être divulgués aux élèves. Un an plus tard (T+1), puis deux ans (T+2), les chercheurs reviennent dans l’école et refont passer le test de QI aux élèves.

A T+1, les élèves positivement attendus ont gagné 15 points supplémentaires au test; à T+2, encore 6 points supplémentaires. T’imagines l’effet sur les rats à T+2 (je crois bien que l’idée est à creuser… Endemol, si tu m’entends) ?

Les enseignants auraient ainsi eu des attentes positives vis-à-vis de certains élèves, et les auraient amenés à progresser plus rapidement que leurs camarades…

Rosenthal et Jacobson nous donnent quatre facteurs pour expliquer l’influence des professeurs :

  • le climat créé par l’enseignant,
  • le temps et l’attention qu’il accorde à l’élève,
  • les opportunités qu’il lui offre pour s’exprimer,
  • les punitions/récompenses qu’il lui administre.

L’expérience fut largement répliquée, largement confirmée, et apporte des questions cruciales pour notre société.

Si dans son expérience, Rosenthal induit des stigmates positifs, que seuls les expérimentateurs connaissent, qu’en serait-il en situation « naturelle » ? Quel poids des conditions naturelles (origine sociale des parents, sexe, apparence, parcours scolaire antérieur…) sur les parcours scolaires ? Si un enfant est identifié particulièrement tôt comme un « mauvais élève », qu’en sera-t-il de son parcours ? Devra-t-il subir la menace de « l’orientation » à la fin du collège, la punition suprême d’être contraint d’aller vers les filières professionnelles, aujourd’hui largement dévalorisées ? Dans quelle mesure les préjugés des enseignants influencent les productions des élèves, dans notre supposée école de la République ?


Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.

Les Commentaires

24
Avatar de Dberry
8 septembre 2013 à 13h09
Dberry
Mouais, en même temps en primaire on n'a pas vraiment de notes comme au collège, c'est des A, B, C... (en tout cas quand j'y étais), pas très précis quoi. Mais honnêtement, je pense que je n'aurais pas autant réussi jusqu'au lycée sans notes. Je pense qu'avoir de bonnes notes était une vraie récompense à mes efforts. Après je suis arrivée en CP en sachant déjà un peu lire, j'aimais apprendre et j'avais des facilités, donc je ne connais absolument pas le cas des élèves en dificulté (tous els gens "mauvais" que j'ai connu l'était clairement à cause d'un manque de travail et d'attention). Après j'étais première de ma classe jusqu'en 3ème, et j'ai gardé cet esprit de compétitivité jusqu'en seconde, terminale pour une ou deux matières (et même maintenant, en première année de fac, je regarde les notes des autres pour savoir si je suis "en haut du panier". Je pense que pour les élèves comme moi les "notes" sont une bonne chose, parce que c'est humains d'aimer être récompensé pour ses efforts (et parce que sans ça j'aurais surement moins travaillé, être la meilleure c'était un peu la carotte, peut-être pas au début, mais une fois que je m'y suis habituée clairement). Mais je pense que les enseignants m'appréciaient aussi beaucoup pour mon comportement, et que ça joue probablement beaucoup sur l'encouragement aussi (parce que parfois quand on voit les profs rendre des bonnes notes aux perturbateurs ça leur fait clairement mal au coeur)
Justement, tu le dis toi-même "je pense qu'avoir des bonnes notes était une vraie récompense à mes efforts". Donc mets toi à la place de ceux qui ont des mauvaises notes, ils se sentent découragés, se croient mauvais, et donc ne fournissent plus d'effort, "à quoi bon ?" .
Je ne vois pas en quoi mettre une bonne note à un "perturbateur" ferait mal au coeur. Il faut savoir distinguer comportement en classe et résultats de l'élève… Du moins, c'est ce que je fais (future prof des écoles) et ça ne m'a jamais posé de problème…
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