Quand elles ne font pas peser toute la responsabilité de la contraception sur les épaules de leur partenaire, les personnes à pénis en relation hétérosexuelle ne connaissent souvent que le préservatif pour se prémunir d’un petit rejeton. Au mieux, elles ont vaguement entendu parler du slip chauffant, davantage abordé comme un fun fact que comme une véritable alternative contraceptive.
C’est aussi le constat qu’a fait Margaux de Re, députée au parlement de Bruxelles et présidente de la commission pour l’égalité des chances et des droits des femmes. Depuis deux ans, elle travaille avec des spécialistes sur des questions liées à la santé sexuelle des personnes menstruées et sur les biais de la médecine liés au genre.
Elle s’est très vite rendu compte que côté contraception « masculine » et législation sur le sujet, c’était le néant. En Belgique, l’andrologie — le domaine médical traitant de la santé « masculine » — ne peut même pas s’étudier sur le territoire.
« C’est un sacré biais. Nous n’avons pas d’experts locaux sur le sujet ! »
Bonne nouvelle, fin septembre, le projet de la députée visant à mettre toutes ces questions sur le devant de la scène politique a été voté en commission à l’unanimité !
« C’est politique que chacun puisse reprendre le contrôle de sa fécondité. Surtout quand on sait qu’une femme n’est féconde que quelques jours par mois alors que les hommes le sont tout le temps. C’est donc assez logique que chacun fasse un petit bout du trajet ! »
Interview de Margaux de Re, députée au Parlement de Bruxelles
Madmoizelle : Comment est né ce projet dédié aux contraceptions « masculines » ?
Margaux de Re : J’ai remarqué que quand on parlait à des adolescents et adolescentes, ils et elles avaient une vision très limitée de ce que la contraception revêtait comme réalité. Je me suis également aperçue que c’était une charge qui pesait de manière très inégale sur les adolescentes puis à l’âge adulte sur les femmes en âge de procréer, sans que ça ne soit remis en cause (avec bien souvent comme solution principale la pilule contraceptive hormonale).
Peu de gens savent et réalisent qu’il y a une charge contraceptive dans une relation hétérosexuelle avec un risque de grossesse.
Quelle est cette charge ?
Elle est d’abord physiologique : il y a quelqu’un qui prend la contraception ou qui la place sur son corps, ce qui peut avoir des conséquences immédiates ou sur le long terme. Il y a aussi une charge financière avec des solutions qui ne sont pas toutes remboursées de la même manière. Et là aussi, il y a un biais de genre.
Enfin, il y a bien sûr la charge mentale — le fait de devoir se rappeler de prendre la pilule tous les jours, par exemple.
Cette charge est-elle toujours inégale ?
Ça n’est pas encore la norme, mais certaines personnes optent pour la combinaison de contraceptifs du côté des deux partenaires, ce qui va donner une fiabilité proche de 100%.
Il existe aussi des personnes qui pratiquent cette combinaison ponctuellement, après un accouchement par exemple, pour que l’un prenne le relais pendant que la personne qui a accouché repose son corps.
C’est ce partage de la responsabilité que vous aimeriez véhiculer avec votre commission ?
On aimerait montrer aux plus jeunes que dans une relation hétérosexuelle qui peut mener à une grossesse, il y a deux personnes, et qu’on pourrait davantage répartir ces charges.
Le combat pour la pilule a énormément de sens dans la lutte pour les droits des femmes. C’est quelque chose qui a été acquis par des générations de féministes qui nous précèdent, à la sueur de leur front. C’est donc important de dire qu’il n’y a aucune remise en question de ça : un acquis social reste un acquis social.
Mais aujourd’hui, on aimerait s’interroger sur l’évolution de ces acquis.
Comment avez-vous travaillé pour mettre en place ce projet ?
On a d’abord cherché des personnes expertes sur la question. On a travaillé avec le gynécologue Dr. Murillo, spécialiste de la contraception masculine, et avec tout un tas d’associations qui s’engagent dans l’éducation à la vie sexuelle et affective dans les écoles.
On s’est rendu compte qu’eux aussi, sur le terrain, avec les jeunes, ils avaient de plus en plus de questions sur cette notion de répartition de la charge pour la contraception.
Pourquoi y a-t-il de tels freins et de tels biais en matière de contraception ?
On en a beaucoup discuté pendant le vote du projet.
Il y a, notamment, le poids de l’industrie pharmaceutique sur ces questions de contraception. La pilule étant aujourd’hui très rentable, celle-ci n’a aucun intérêt à développer des essais cliniques sur d’autres formes de contraception. C’est donc difficile de faire bouger les choses.
Il y a aussi eu des discussions autour des biais culturels de la contraception : le risque de grossesse n’est pas le même selon le genre — il y a une personne pour laquelle le risque pèse sur son propre physique, par exemple.
Il existe également plein de stéréotypes sur la contraception masculine liés à un imaginaire de la castration et de l’impuissance. Ce qui est normal pour une personne menstruée est perçu comme négatif chez l’autre : inconsciemment, on se dit que l’homme ne « fait pas son travail » (qui est de féconder la femme) en utilisant une contraception, quelle qu’elle soit…
Lorsqu’on parle de contraception masculine, l’exemple qui revient souvent est celui de la pilule pour homme qui aurait été créée mais jamais commercialisée car elle engendrait « trop » d’effets secondaires. On entend aussi beaucoup que les hommes cis ne seraient pas assez « responsables » pour un tel type de contraception. Qu’en pensez-vous ?
En effet, des recherches ont été faites et on parle souvent des effets secondaires. Mais il y a surtout un autre biais : de base, on étudie beaucoup plus les femmes pour leur capacité reproductive…
Et on oublie aussi souvent que partager la charge contraceptive, ça ne passe pas forcément par la prise d’un médicament. Ça peut aussi passer par le fait de financer ou de partager les frais des méthodes de contraception dans le couple, par exemple.
Quels sont les moyens de contraception qui existent aujourd’hui pour les personnes non menstruées ?
Il y a bien sûr le préservatif. Il y a aussi le slip chauffant, à porter plusieurs heures par jour. D’ailleurs, la contraception thermique est une excellente idée — mais personne n’en entend parler parce que c’est purement mécanique et donc pas intéressant financièrement pour une société pharmaceutique de développer cette solution…
Il y a également des méthodes encore à l’étude, comme l’anneau en silicone qui doit permettre de maintenir les testicules à l’entrée du canal inguinal, ou le gel contraceptif qui bouche la production de spermatozoïdes.
Il existe donc des solutions, dont certaines sont en phase de test, mais ce qu’il manque, notamment, c’est qu’on vulgarise tout ça auprès du grand public et qu’on en fasse des enjeux politiques !
Quelles actions vont ressortir de ce vote ?
Le gouvernement va devoir stimuler la recherche scientifique sur la question, consolider les acquis sur la contraception des personnes menstruées et développer des alternatives pour celles qui ne le sont pas, financer les associations qui travaillent sur l’éducation sexuelle et affective, développer des solutions pour sensibiliser les professionnels de la santé à toutes les méthodes de contraception…
Et surtout, ouvrir le dialogue et le médiatiser ! C’est aussi pour ça que je suis là, aujourd’hui.
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Crédits photos : Reproductive Health Supplies Coalition et Dainis Graveris (Unsplash)
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