Les assistantes maternelles peuvent à partir de ce 3 janvier 2022 « accueillir jusqu’à six enfants simultanément » — et huit en comptant les enfants de moins de 11 ans de leur foyer, comme nous rapporte Le Monde, qui reprend le Journal Officiel. Alors qu’en temps normal, elles pouvaient accueillir « au maximum quatre enfants […] et six en comptant les enfants de sa famille. »
La nouvelle réglementation prévoit donc que l’assistante maternelle puisse avoir la responsabilité de « huit [enfants], dont au maximum quatre enfants de moins de 3 ans », comme l’a précisé le gouvernement.
Cette augmentation du nombre d’enfants par assistante maternelle s’effectuera en cas d’urgence et pour pallier l’absence d’« un collègue momentanément indisponible ». Les parents devront être informés de ce changement ainsi que le président du conseil départemental.
Ces professionnels et professionnelles de la petite enfance peuvent en effet contracter le virus, comme tout le monde, et avoir besoin d’arrêts maladie.
Que pensent les personnes concernées de cette mesure ?
Chez les assistantes maternelles, la colère gronde
L’accueil potentiel de deux enfants supplémentaires s’annonce plus que compliqué. Et Suzanne, assistante maternelle, qui est contre cette mesure, nous explique ses inquiétudes :
« Ce ne sera pas gérable, c’est sûr. Donc je suis complètement contre. C’est une énorme responsabilité et je doute que la bienveillance, les soins, etc. puissent être respectés. »
Pour Marie, assistante maternelle agréée depuis 2004, ce n’est pas tenable non plus :
« Même avec de l’expérience, je trouve démesuré d’imposer six enfants (voire huit) à une professionnelle de la petite enfance. Comment gérer six enfants en veillant à leur bien-être, à leur sécurité ? Et en période de covid, c’est impossible ! »
Même si elles vont gagner plus d’argent, le jeu ne semble pas en valoir la chandelle, tant cela remet en cause la qualité de l’accueil proposé. Suzanne nous explique :
« Pour la partie financière, évidemment on gagne plus avec six enfants. Un enfant à temps plein, c’est entre 700 et 1 000 euros donc à multiplier par le nombre d’enfants. »
Marie l’exprime également :
« Alors bien sûr qui dit plus d’enfants à accueillir dit plus d’argent mais à quel prix ? La mise en danger de notre santé et celle de notre famille ? »
Les assistantes maternelles souhaiteraient avoir plus de reconnaissance, comme Suzanne nous le dit :
« J’aimerais que ce métier soit reconnu à sa juste valeur. On travaille majoritairement 50 heures par semaine. C’est abusé. Il y a un manque de reconnaissance. »
Pour Marie, ce manque de considération est difficile à supporter aussi :
« Nous avons été depuis le premier confinement en première ligne mais quelle reconnaissance avons-nous ? […] Nous attendons de la part du gouvernement un minimum de respect de notre profession ! Nous ne sommes pas des gardiens et gardiennes d’enfants mais des professionnels et professionnelles de la petite enfance. »
Ces deux assistantes maternelles interrogées par Madmoizelle sont donc opposées à cette mesure, notamment car elles ne pourront garantir un accueil de qualité.
Avec cette mesure, le bien-être des enfants est le grand oublié
Cette nouvelle mesure qui s’applique pendant la crise sanitaire est issue de situations censées être exceptionnelles — pallier l’absence d’un ou une professionnelle notamment — mais qui sont tout de même dommageables au bien-être des enfants.
La psychologue spécialiste du jeune enfant Héloïse Junier, qui a écrit nombre de livres à destination des professionnels de la petite enfance, confie également à Madmoizelle ses inquiétudes :
« Six enfants pour un adulte isolé à son domicile et qui n’a pas de relais sur place, c’est beaucoup !
C’est vraiment méconnaître le profil des jeunes enfants et leurs besoins que de promouvoir une telle perspective… »
Si l’on a des enfants, il est facile d’imaginer les situations compliquées dans lesquelles on peut se retrouver en ayant à sa charge plusieurs enfants. Lorsque je suis seule pour garder mes jumeaux de quatorze mois, je peux déjà éprouver des difficultés à répondre à leurs besoins et me sentir légèrement dépassée… Qu’en sera-t-il des assistantes maternelles qui pourront avoir à leur charge jusqu’à 8 enfants ?
Les mesures prises se font donc au détriment des enfants, pour que les parents puissent continuer de travailler — car oui, c’est ce qui semble être le plus important dans cette histoire.
Pire : cette réponse d’urgence à la crise sanitaire aurait pu être anticipée. En effet, le manque de moyens de garde à disposition est un problème de taille, qui ne date malheureusement pas d’hier…
Le problème chronique du manque de moyens de garde
Nous faisons face à un manque chronique du nombre de places en crèches et chez les assistantes maternelles en France — et la crise du Covid ne va pas arranger les choses.
C’est une situation terrible pour certains parents de se retrouver du jour au lendemain sans garde… et c’est un case-tête qui se résout bien souvent au détriment des femmes et de leur travail.
Les places en crèche sont déjà rares en temps normal et constituent une véritable bataille pour bien des parents qui doivent attendre des mois et se retrouvent dans des situations compliquées, le bec dans l’eau. Le coût d’une assistante maternelle, lui, est souvent bien supérieur à celui d’une place en crèche : certaines familles ne peuvent se le permettre.
Le nombre de places – en crèche et chez des assistantes maternelles – est insuffisant par rapport à la demande. Selon le dernier rapport de l’Observatoire national de la petite enfance, la capacité théorique d’accueil en France, tous modes d’accueil confondus, était de 1 358 300 places en 2017, soit 58,9 places pour 100 enfants.
Le gouvernement avait par ailleurs annoncé un grand plan avec la création de 30 000 nouvelles places en crèches d’ici 2022, alors que le Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, dans un rapport en 2018, estimait à 230 000 le nombre de solutions d’accueil à créer d’ici 2022…
Au lieu de créer des crèches, de valoriser des métiers essentiels et à forte responsabilité (ne dit-on pas que tout se joue avant un an ?) et de faire de ces emplois des postes attractifs, le gouvernement décide donc d’augmenter le nombre d’enfants par assistante maternelle pour répondre à une crise qui n’est pas nouvelle. Est-ce vraiment la solution que l’on attendait ?
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Image en une : © Yan Krukov/Pexels
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Les Commentaires
Et donc le fait que ce soit pire ailleurs, on doit se taire ? Je ne crois pas, non.