Roger Allers ça ne vous dit rien ? Vous lui devez vos plus beaux souvenirs d’enfance : Aladdin, le Roi Lion, La Petite Sirène, rien que ça, les fameux longs métrages qui ont signé le retour de Disney dans les années 90.
Roger Allers est tout à droite. Mais franchement. Regardez moi ce Lion. Il a ti pas l’air heureux ? Il est ti pas mignon ? #gagatime #vivelesannées90
Mais vous êtes un public exigeant. Un grand nom ne vous suffit pas. Pour la peine je vais vous en donner plein tous issus du monde de l’animation : Tomm Moore (oscarisé), Joan Gratz (idem) , Marjane Satrapi (l’auteure de Persepolis, César, prix du jury à Cannes), Joann Sfar (Le Chat du Rabbin)…
Je vous la fais courte, en réalité ils sont 7. Salma Hayek a littéralement fait un prix de gros sur le meilleur de l’animation mondiale, le tout sous la baguette de Roger Allers chargé de créer la cohérence de l’oeuvre. Autant vous dire qu’on est sur du très haut de gamme.
Une adaptation risquée
Que va alors faire cette fine équipe ? Un film d’animation, adaptant Le Prophète, un best seller du début XXème siècle traduit dans le monde entier. On y trouve de belles phrases comme :
« N’oubliez pas que la terre aime à sentir vos pieds nus et que le vent aspire à jouer avec vos cheveux » — Khalil Gibran
Ce n’est pourtant pas un livre facile. Conçu comme un guide spirituel mais sans dogme il ressemble d’avantage à un appel à la sagesse et à la spiritualité qu’à la religion. Son style est extrêmement poétique, imagé, bref, le défi était d’égaler une oeuvre culte et exigeante qui raconte l’histoire d’un prophète livrant ses derniers enseignements avant de quitter sa ville, enseignements présentés sous la forme de poèmes.
Dans le dessin animé, ce sont différentes séquences distinctes du fil narratif principal, la relation entre une mère et sa fille muette, qui mettent en scène ces poèmes sous la forme de discours d’un poète-héros ami de la famille.
Chaque animateur, selon ses penchants, a choisi d’illustrer un de ces discours tirés de l’oeuvre originale et a laissé libre cours à son imagination : c’est cette mosaïque qui forme le résultat final du film.
Lors de cette séance du Festival de Cannes, où j’ai pu découvrir ce projet c’est un gratin particulièrement impressionnant qui a fait le déplacement : Alfonso Cuarón, Gérard Depardieu, Julie Gayet, Mika… Or, fait étonnant même à Cannes, tous se sont déplacés alors que ce film n’est même pas… terminé !
Durant la séance, nous n’avons vu en effet que de — larges — extraits illustrant le style de chacun des animateurs et permettant tout à fait de se faire une idée du résultat final. Malheureusement ces extraits ne sont pas encore sortis publiquement et presque rien n’a encore filtré à l’intention du grand public.
Je peux cependant déjà vous dire qu’il sera superbe et voici quelques premiers arguments.
Une maîtrise artistique hors-norme
On ne met pas autant d’animateurs oscarisés sur le coup pour s’en sortir avec du déjà-vu du déjà-fait. Il y a là une vraie proposition, en terme d’animation tout d’abord : les styles se fondent avec élégance, l’animation est fluide mais le trait garde toujours un aspect humain, celui qu’on aime tant dans les dessins animés en 2D, cette patte chaleureuse.
Toutes les écoles sont représentées : la peinture à gros traits, la symétrie façon kaléidoscope, la peinture aux doigts, le style typique de Sfar ou encore les bons vieux crayons de couleur. En terme de technique on est sur de la débauche pure et chacun a pris soin de donner le meilleur de son talent.
Mais malgré ces différences marquées, l’animation est si fluide que c’est une impression de grande modernité qui ressort de ces cinq à six extraits alors que l’on oublie complètement la présence de l’ordinateur. Je sais que de nombreuses nostalgiques de la 2D ici apprécieront.
La beauté. Voilà. (Et accessoirement la seule image de presse, hauuum…)
Des poésies sublimées
Et quelle imagination pour rendre ces émotions si subtiles ! Ce n’est pas compliqué : la salle était en larmes à la fin de chaque extrait et complètement sous le choc.
J’ai lu Le Prophète, sans doute trop jeune, et il ne m’avait pas tellement plu parce qu’il m’avait semblé un peu HS par rapport à nos vies, trop « bien pensant », et ce dessin animé rend tout d’un coup ces poèmes vibrants et parlant rien que par la puissance des illustrations, divinement accompagnées par une musique imposante mais appropriée.
Un sentiment d’harmonie voire d’une forme de perfection se dégage et me fait dire que ce dessin animé fera date dans l’histoire du film d’animation. Grâce au mélange des styles et à la beauté des mots de Khalil Gibran, on touche à quelque chose d’universel que chacun peut se réapproprier.
Quel public-cible pour ce film ?
J’émettrais cependant quelques petites réserves concernant le public auquel ce film est destiné.
Les dessins sont hypnotiques et rapidement rythmés de telle sorte qu’un enfant restera aisément scotché devant son écran, mais pourra-t-il ne serait-ce que saisir le propos général des poésies ? L’animation est si fluide qu’il n’y a pas de temps pour l’incompréhension et d’éventuelles explications, le spectateur adulte sentira c’est certain une certaine ivresse à se laisser ainsi absorber, mais pour l’enfant je demande à voir.
De plus la référence directe à « Dieu » est vraiment fréquente, elle l’est déjà dans l’oeuvre de Gibran donc légitime, et surtout ici Dieu fait référence à une spiritualité et non à une religion.
Mais d’une part il n’est pas certain qu’un enfant soit à même de comprendre ces nuances vu la difficulté qu’ont certains adultes à la faire, d’autre part on peut se demander comment ça va passer auprès du grand public en France, avec notre rapport tout particulier à la laïcité.
Dans tous les cas, c’est un projet que Salma Hayek a défendu avec beaucoup de coeur et de plaisir avec son équipe, on sent que ce projet n’a rien de commercial, il est beaucoup trop audacieux pour ça dans sa composition.
Au contraire, il est évident que pour cette femme qui a passé la soirée à rappeler ses origines libanaises – Khalil Gibran était lui aussi libanais, il s’agit avant tout d’un projet personnel. Je pense à l’anecdote concernant son grand père, dont Le Prophète était le livre de chevet, et dont la lecture lui a permis après sa mort de perpétuer un lien avec lui.
Salma Hayek lors de la montée des marches le samedi 17 mai. Sur l’affiche « Ramenez nos filles », le slogan pour la libération des lycéennes nigérianes kidnappées.
Rendez-vous à l’automne donc et lorsqu’il sortira, foncez au cinéma sans aucune peur, vous êtes — a priori — entre de bonnes mains !
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Les Commentaires
Rien que de les revoir me rappelle de très bons souvenirs héhé