Le 23 mars 2023 était lancée une pétition appelant à dissoudre la BRAV-M, cette unité de police motorisée dont la violence s’est illustrée lors des dernières manifestations contre la réforme des retraites. « Loin d’assurer un retour à l’apaisement, son action participe de l’augmentation des tensions, y compris à l’encontre des forces de l’ordre » peut-on lire dans le texte qui rassemble à ce jour plus de 250 000 signatures. Le rapporteur du dossier doit partager, ce mercredi 5 avril, sa décision de soumettre (ou non) la pétition à un examen parlementaire. Acte de résistance citoyenne essentiel ou simple goutte d’eau dans l’océan d’un système profondément inégalitaire ? Analyse avec Gwenola Ricordeau, professeure associée en justice criminelle à la California State University, Chico, militante abolitionniste du système pénal et autrice de plusieurs livres sur le système pénal (Pour elles toutes. Femmes contre la prison ; Crimes et Peines. Penser l’abolitionnisme pénal ; 1312 raisons d’abolir la police).
Interview de Gwenola Ricordeau, autrice de « 1312 raisons d’abolir la police » (éd. LUX)
Madmoizelle. Le même jour que la pétition, la CNCDH a publié un rapport alertant sur l’explosion des violences policières lors des manifestations spontanées qui ont suivi le recours au 49.3 pour faire adopter la réforme des retraites par l’Assemblée. Faut-il s’inquiéter de cette hausse ?
Gwenola Ricordeau. J’entends l’intérêt qu’il peut y avoir à ce que ce type d’organisme fasse ce genre de rapport. Mais, ce n’est évidemment pas un phénomène nouveau et ces rapports ne font que « découvrir » ce que les mouvements de lutte contre les violences policières, notamment dans les quartiers populaires, dénoncent depuis très longtemps. L’actualité est régulièrement émaillée par des débats autour d’homicides policiers ou de violences d’État.
Le meurtre de George Floyd aux États-Unis a été suivi d’un flot de témoignages de personnes qui semblaient découvrir le racisme de la police et le fait que la police tue. Mais, cette « découverte scandalisée » face aux agissements de la police fait partie d’un cycle politico-médiatique bien rôdé.
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En quoi consiste ce cycle ?
On peut le comparer au cycle des violences conjugales. Par beaucoup d’aspects, on y retrouve les mêmes dynamiques d’abus, comme le déni de la « victimation » (dire « les violences policières n’existent pas ») et le retournement de la culpabilité. Nous sommes actuellement dans cette phase en France. Emmanuel Macron pointe la responsabilité des personnes qui seraient « venues faire la guerre » à Sainte-Soline. Le gouvernement et tout le camp réactionnaire rejettent la responsabilité du nombre très élevé de blessés graves sur les manifestants, comme si, « finalement, c’était de leur faute ». On observe aussi des formes de déni des victimes (« il était fiché S ») comme si ce qui leur arrivait était mérité.
C’est typiquement ce que font les agresseurs et les auteurs de violences domestiques. Après cette phase vient celle des fausses promesses. On parle de réforme et de changement, alors que dans les faits, ce n’est qu’un éternel recommencement. Ces promesses de réformes servent à ne rien changer et entretiennent la dépendance à ce système.
Comment en sortir ?
Je me situe dans un courant que l’on appelle l’abolitionnisme pénal. C’est un courant d’idées, mais aussi un mouvement politique avec des luttes en faveur de l’abolition du système pénal, et donc d’institutions comme la prison et la police. L’abolitionnisme part du constat que ces dernières ne fonctionnent pas au regard de ce qu’elles sont censées faire. Si on attend de la police qu’elle réduise le niveau de crime, qu’elle lutte contre ce que l’on appelle aujourd’hui « la criminalité », alors elle ne remplit pas ses missions. En revanche, elle fonctionne pour bien d’autres choses, à commencer par maintenir un ordre social qui est profondément cruel et inégalitaire.
Nous, abolitionnistes, remettons en cause la légitimité de l’institution policière. Nous pensons qu’elle n’est pas légitime car elle se maintient en nous promettant toujours de se réformer, de faire mieux. Mais, à notre sens, elle n’est pas réformable. On ne peut pas l’améliorer. On nous accuse souvent d’être utopistes, mais nous pensons qu’au contraire, c’est la croyance que la police pourrait servir notre sécurité qui est utopiste.
Ensuite, se pose la question de la stratégie. Comment faire rupture ? Tous les abolitionnistes ne sont pas d’accord sur la manière de procéder. Pour certains courants, il faut d’abord attaquer la police, dans une perspective insurrectionnaliste, de confrontation directe. D’autres souhaitent créer des espaces dans lesquels on vit sans police, des alternatives qui rendraient la police obsolète. Pour d’autres encore, il faut procéder par étape en commençant par affaiblir l’institution policière. C’est dans cette tactique que s’inscrivent les revendications états-uniennes en faveur de « Defund The Police » (définancez la police, en français), par exemple.
La pétition contre la Brav-M participe-t-elle de cet effort ?
Effectivement, on peut voir ce type d’initiative comme une manière de fragiliser l’institution policière. Mais, pour évaluer si cette dissolution constituerait une réelle victoire, il faut voir la manière dont elle est obtenue. S’agit-il d’une concession cédée, à un moment donné, par le pouvoir en place ? La police restera raciste et continuera à tuer. Ce genre de manœuvre est une manière habituelle, pour le réformisme, de présenter ce qui serait des améliorations, mais qui, en réalité, ne changent strictement rien à l’institution elle-même. Et, on sait que les forces dissoutes sont généralement remplacées par d’autres forces de police…
Néanmoins, il peut quand même y avoir un intérêt tactique à demander la dissolution de la BAC ou de la BRAV-M, pour des raisons liées à la mobilisation, d’élargissement de la lutte, de propagation d’une critique radicale de la police.
Observe-t-on tout de même quelques avancées ?
Effectivement, ces dernières années, je pense qu’il y a, dans l’espace féministe français, d’avantage d’interrogations, de remises en cause du système pénal. Il y a des questionnements qui n’existaient pas cinq ans plus tôt, qui sont aussi le résultat d’une insatisfaction envers #MeToo. Certes, #MeToo a permis une libération de la parole, mais il a aussi apporté son lot d’injonctions, à la plainte, à recourir au système pénal. Cette insatisfaction pose des questions importantes, même si le féminisme dominant reste foncièrement un féminisme carcéral, c’est-à-dire un féminisme qui prône la nécessité d’avoir une meilleure police, mieux formée, etc.
Pourtant, la punition ne permet pas de résoudre les rapports de domination. Par exemple, punir des auteurs de violences faites aux femmes ne va pas mettre fin au patriarcat, ni à la culture du viol. C’est pourquoi dans mon livre j’appelle à « défliquer » le féminisme, comme les autres luttes progressistes. Car je ne pense pas que la police puisse contribuer à l’avancée de nos luttes.
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Les Commentaires
Mais en tant que femme racisée, je ne suis pas protégée non plus par la police
C'est pour ça qu'on est dans une impasse. Abolir la police , oui, mais derrière, des gardes fous militants quand le milieu militant merde, car il merde souvent et tue des gens, c'est pourquoi le livre d'Elsa Deck Marsaut est à mon avis fondamental, et un livre à retenir, un indispensable pour les luttes : https://www.revue-ballast.fr/elsa-deck-marsault-transformer-notre-rapport-a-la-justice/