On peut parfois passer totalement à côté d’un évènement de grande ampleur se déroulant dans un pays lointain. Rater tout un peuple qui se révolte, un gouvernement qui tombe, une société bouleversée.
Mais je pense qu’il est quasi-impossible de passer à côté de la situation qui dure depuis plusieurs jours aux États-Unis, une soif de justice, un feu de colère alimenté par la facilité de partage des réseaux sociaux.
Laisse-moi tenter de t’expliquer quelle est l’étincelle qui a allumé ce brasier… et quel est le combustible qui lui permet de continuer à flamber.
L’histoire de George Floyd, celle d’une mort de trop
L’étincelle, on peut la situer au moment de la mort de George Floyd… ou plutôt dans la diffusion à grande échelle de ses derniers instants.
George Floyd, un homme noir tué par un policier blanc
George Floyd était un homme noir américain âgé de 46 ans. Ce 25 mai 2020, il a été interpellé en pleine rue car il aurait tenté d’écouler un faux billet de 20$.
Menotté, George Floyd est allongé à plat ventre sur le sol, près du caniveau. Un officier de police, un homme blanc nommé Derek Chauvin, l’immobilise en plaçant un genou sur son cou.
L’interpellation dure. Longtemps. George Floyd se plaint d’avoir mal, d’avoir du mal à respirer, demande au policier s’il peut enlever ne serait-ce qu’une partie du poids qui pèse sur sa gorge. En 8 min 46, la pression exercée ne baissera pas.
George Floyd finit par perdre connaissance. Il est emmené par une ambulance qui met près de 20 minutes à arriver ; pendant le trajet, son cœur s’arrête de battre. Il sera déclaré mort à 21h25.
Je te conseille la vidéo ci-dessous, du New York Times, pour bien comprendre comment ce moment s’est déroulé (des sous-titres en anglais sont disponibles).
Attention cependant : tu y verras l’interpellation de George Floyd, car plusieurs témoins ont filmé la scène. Et bien qu’il n’y ait ni sang, ni coup de feu, ce sont des images extrêmement douloureuses.
Deux autopsies différentes ont été réalisées, les deux aboutissent à un homicide : George Floyd a bien été tué par la pression exercée, sur son cou, par le genou de Derek Chauvin.
Ce dernier a été arrêté et mis en examen pour homicide involontaire. Ses collègues, qui ont regardé la scène sans intervenir, ont été licenciés.
La mort de George Floyd fait le tour du monde
Pour comprendre la situation actuelle aux États-Unis, il faut saisir le rôle-clé que les réseaux sociaux ont joué.
Voir la vidéo de Derek Chauvin, qui garde son genou pendant 8 min 46 sur le cou d’un homme disant « Je ne peux pas respirer », face à des passants le suppliant d’appliquer moins de pression… C’est insoutenable.
Le policier sait qu’il est filmé. Ses collègues aussi. C’est arrivé en plein jour, dans une rue passante d’un centre-ville.
Et pourtant un homme noir est mort, encore un, sans que personne n’ait rien pu faire pour l’aider. Et vu la vidéo, il est quasi-impossible de nier les faits.
Le mouvement #BlackLivesMatter, contre les violences policières racistes
Le mouvement #BlackLivesMatter (« Les vies noires comptent ») lutte contre le racisme systémique aux États-Unis, notamment celui perpétré par les forces de l’ordre envers les hommes afro-américains.
Il est né d’une injustice similaire à celle ayant frappé George Floyd : la mort du jeune Trayvon Martin, tué par le policier George Zimmerman, lequel avait été acquitté en 2013.
Mais il y a eu aussi Eric Garner
et Michael Brown, deux hommes noirs abattus par la police en 2014.
Plus récemment, il y a eu Ahmaud Arbery, assassiné par deux civils blancs en février 2020. Il y a eu Breonna Taylor, tuée en mai 2020 par des policiers ayant envahi sa maison par erreur à la recherche de son ex-compagnon.
La liste est déjà longue et pourtant il ne s’agit malheureusement que de quelques exemples, parmi les plus médiatisés.
Pourquoi la mort de George Floyd embrase les États-Unis
En cette fin mai-début juin 2020, des centaines de milliers de personnes ont défilé dans les rues de dizaines de villes américaines pour protester contre le racisme et les violences policières.
La mort de George Floyd a été l’étincelle, mais le combustible, ce qui fait que la colère monte et dépasse largement les militants et militantes du mouvement #BlackLivesMatter, c’est tout un contexte qu’il serait malaisé de résumer en quelques lignes.
Heureusement, HugoDécrypte a fait le taf, et c’est très pédagogique comme d’habitude !
Le « filet de sécurité » social des États-Unis n’est pas comparable avec celui de la France ; la crise liée à la pandémie de coronavirus et au confinement a frappé bien plus durement.
L’accès aux soins médicaux, à des aides de l’État, ce sont par exemple des choses bien plus fiables et solides en France qu’outre-Atlantique.
Beaucoup d’Américains (près de 40 millions) ont perdu leur emploi, n’ont pas de couverture santé, voient leurs proches violentés voire tués sans que la justice ne répare leurs torts…
Sans oublier que le chef de l’État, Donald Trump, est (à mes yeux) la pire personne à avoir au gouvernail en temps de crise. Depuis le début des manifestations, il met de l’huile sur le feu. Un exemple tout récent, par Le Monde :
Le président américain a promis lundi [1er juin, NDLR] de restaurer l’ordre, menaçant d’un ton martial le déploiement dans la capitale de « milliers de soldats lourdement armés » et policiers pour mettre un terme « aux émeutes » et « aux pillages ». […]
Tandis que Donald Trump s’exprimait dans les jardins de la Maison Blanche, la police dispersait avec du gaz lacrymogène des centaines de manifestants rassemblés à l’extérieur de l’enceinte.
Ces manifestations se déroulent en temps réel, et tu dois voir passer beaucoup de choses sur Internet à ce sujet : des vidéos choquantes, des photos limpides…
Cependant, je tiens à te rappeler l’importance de vérifier tes sources, un réflexe indispensable surtout dans le cas d’une actualité aussi brûlante, avec des images fortes qui feront appel à tes émotions et te donneront envie de partager immédiatement.
Certaines personnes profitent de ce genre de situation pour poster des contenus mensongers, tordre la vérité. D’autres, sans faire exprès, montrent des choses qui ne sont pas toujours fidèle à la réalité.
Je te conseille, comme d’habitude, de te tourner vers les outils de fact-checking du Monde (Les Décodeurs) et de Libération (CheckNews). HugoDécrypte reste aussi une super référence.
Avant de relayer une info, fais une rapide recherche Google pour vérifier si elle a été confirmée par des médias ou sources officielles. Car même sans penser à mal, tu peux participer au succès d’une fake news !
Les marques et les stars soutiennent #BlackLivesMatter
La situation a pris une ampleur telle que les personnalités et grandes entreprises américaines ne peuvent rester silencieuses.
Beaucoup ont d’ores et déjà pris la parole, condamnant le racisme avec véhémence, soutenant #BlackLivesMatter et réclamant justice pour George Floyd, ainsi que pour tous et toutes celles qui ont été abattues par les forces de l’ordre censées protéger la population.
Ariana Grande est allée manifester, tout comme la chanteuse Halsey, très active à ce sujet sur les réseaux sociaux.
Billie Eilish a aussi posté un long message en réponse aux gens disant #AllLivesMatter (« toutes les vies comptent »).
Créé en réaction à #BlackLivesMatter, ce hashtag nie le racisme systémique qui mène les vies des personnes noires à, justement, « compter » moins.
Ce mardi 2 juin, de très nombreuses superstars américaines participent au #BlackoutTuesday en ne postant qu’une image noire sur leurs réseaux et en appelant à ne pas consommer pendant cette journée.
Différentes entreprises suivent le mouvement, comme Columbia Records ou la marque Fenty Beauty, qui cessent toute activité pendant 24h.
La mort de George Floyd, le début d’une révolution ?
N’étant pas experte en politique américaine ni en mobilisations populaires, j’aurais bien du mal à prédire comment ces mouvements vont évoluer.
J’espère évidemment une issue positive, une remise en question à l’échelle d’un État tout entier, une avancée vers plus d’empathie et d’égalité.
Je crains une escalade de la violence, un peuple abattu par sa police et son armée, une crispation des relations sociales qui met tout le monde en danger.
Et la présence de Trump au pouvoir est l’une des raisons qui font que j’ai du mal à être optimiste, pour tout t’avouer. Note bien que la prochaine présidentielle américaine, c’est le 3 novembre 2020…
La France et les États-Unis sont difficilement comparables, et ce à plein de niveaux : la densité de population, la taille du territoire, l’histoire nationale…
Je te conseille, à ce sujet, ce passionnant entretien paru dans Marianne avec le chercheur Mathieu Zagrodzki, auteur d’une thèse sur les polices de proximité en France et aux États-Unis. Extrait :
Les chiffres rendent la comparaison… incomparable.
Les polices américaines tuent plus d’un millier de personnes par an, pour 320 millions d’habitants. La police et la gendarmerie en France, une vingtaine, peu ou prou. Les proportions sont sans commune mesure.
Il est important de ne pas voir la situation outre-Atlantique comme un miroir de la réalité française. Ce qui ne veut pas dire que les violences policières et le racisme ne sont pas un sujet d’actualité ici aussi.
Les violences policières et le racisme en France
Récemment, la chanteuse Camélia Jordana a dénoncé les violences policières racistes dans ONPC — un discours condamné par le Ministre de l’Intérieur et des syndicats de policiers.
Dans la même veine, ce mardi 2 juin aura lieu devant le tribunal de grande instance de Paris une manifestation lancée par le comité La Vérité pour Adama.
Adama, c’est Adama Traoré, mort en juillet 2016 après avoir été interpellé par des gendarmes. Sa famille défend la thèse d’un homicide involontaire, d’entraves à l’enquête et de non-assistance à personne en danger.
La manifestation de ce mardi se déroule quelques jours après qu’une nouvelle expertise médicale a déterminé que la mort d’Adama Traoré n’avait pas été causée par les circonstances de l’interpellation.
Dans une actualité un peu plus lointaine, tu te souviens je pense des Gilets Jaunes, qui ont mis en lumière les violences policières à l’automne-hiver 2019…
Sans vouloir comparer l’incomparable, il est clair que le sujet est d’actualité : aux États-Unis, en France, et ailleurs dans le monde.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Je dis ça parce que je follow la chanteuse du groupe Starrysky sur twitter, qui contrairement à ses habitudes, s'est exprimée sur ses convictions en rapport avec la situation actuelle, puis a dit qu'on l'a reprochée d'être politisée, alors que d'après elle, ce n'est plus possible de ne pas l'être. Elle a ensuite annoncé qu'elle serait présente à la manif de Lille et qu'elle ne débatterait pas là-dessus. à mes yeux, ça correspond tout à fait au schéma décrit ci-dessus.