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Féminisme

Lettre ouverte à mes agresseurs

Sarah, comme bien trop d’autres femmes, a été victime d’agressions sexistes et sexuelles. Par catharsis, elle a écrit une lettre ouverte à ses agresseurs qu’elle livre ici, dans l’espoir qu’elle puisse résonner pour d’autres.

À tous ces hommes qui m’ont agressée,

à ces pères, ces frères, ces fils, ces amis, ces collègues, dont on n’aurait jamais douté de la bienveillance,

à ces produits de notre société hétéro-patriarcale qui la consolident un peu plus chaque jour par leurs mots et leurs gestes abusifs,

à ceux dont j’ai oublié le nom, à ceux dont je ne le connaîtrai même jamais ; à toi, qui fus le premier à poser la main sur moi sans mon consentement en rigolant alors que je n’avais que 15 ans ; à toi, aussi, qui fus le premier à me faire comprendre ce qu’était une proie en me suivant jusqu’à chez moi, en t’agrippant à moi et en me caressant alors que je n’avais que 17 ans,

mais surtout à toi, toi qui m’a violée ; et à vous deux, qui avez abusé de votre position de supériorité hiérarchique, qui avez brisé la relation de confiance que nous avions et par là même brisé ma personne,

à vous, tous, qui m’avez privée de ma liberté et de ma dignité.

Vous m’avez blessée au plus profond de mon être

Ce dont je vous accuse est grave, ce que vous m’avez fait l’est encore plus. Que vous m’ayez touchée, agressée ou violée, vous m’avez chacun à votre façon déshumanisée. Vous m’avez blessée au plus profond de mon être, et vous avez pour certains trahi ma confiance.

Vous êtes la cause de mes maux, de ma souffrance, d’une blessure qui ne se refermera jamais complètement.

Nous ne partageons rien. Nous n’avons jamais rien partagé. Vous, et vous seuls avez commis une erreur, que dis-je, une agression, un crime.

Vous vous êtes octroyé le droit de porter atteinte à mon intégrité physique, comme si elle était dissociable de mon intégrité mentale. Vous vous êtes octroyé le droit de me toucher, et par ce geste d’une violence inouïe dont vous n’arriverez jamais à saisir la portée, vous m’avez privée de la liberté la plus fondamentale qui soit : la libre disposition de mon corps, et sa sécurité.

En crachant sur ma liberté de la sorte, vous m’avez ôté ma dignité.

Sans mon consentement (pour ceux qui auraient encore du mal avec ce mot, c’est-à-dire « sans mon accord ») vous n’aviez aucun droit de me prendre la main par surprise ni la caresser, ni d’essayer de m’embrasser à plusieurs reprises alors que je vous repoussais, pas plus que de me serrer contre vous alors que je voulais partir, ni d’insister encore et encore.

Et toi, oui toi, tu n’aurais pas dû me pénétrer alors que je te demandais en pleurant de cesser.

Ce faisant vous avez, tous, abusé de l’insupportable privilège suprême dont vous disposez : celui d’être des hommes, dans un monde fait par et pour les hommes.

Nous devons toujours être sur nos gardes

Rien de tout ce que vous m’avez fait subir n’aurait dû arriver. Vous avez chacun votre histoire, chacun eu un rapport différent à mon égard, vous m’avez chacun fait souffrir d’une manière si singulière et pourtant, vous êtes fondamentalement les mêmes.

Vous êtes intrinsèquement des prédateurs, des agresseurs. On notera au passage que l’agresseur a cette particularité d’être grammaticalement toujours masculin… Messieurs les Académiciens, n’ayez crainte, on épargnera ce terme dans notre révolution inclusive qui met en « péril mortel » notre langue française.

À la suite de ces épisodes traumatiques, j’aurais pu me noyer dans mes larmes. Je ne m’étais jamais sentie aussi mal, aussi vulnérable, comme lorsque j’ai peur de rentrer chez moi quand il fait nuit et que je ne sais pas à quel moment la menace surviendra.

Elle est là, la raison pour laquelle nous toutes devons toujours être sur nos gardes, mettre nos clefs en poing américain lorsque l’on rentre seule tard la nuit, changer de trottoir ou baisser la tête quand on croise un homme, demander à nos amies de nous dire lorsqu’elles sont bien rentrées, et tant d’autres réflexes instinctifs encore. Je ne m’étais jamais sentie aussi mal parce que j’avais une telle confiance en vous et que tout s’est brisé par votre faute.

C’est peut-être avant tout cela qui m’a profondément détruite : je vous ai détestés d’avoir tout foutu en l’air. Vous n’étiez pas que des banals agresseurs comme j’en ai tant connu et que j’arrive à oublier en à peine quelques heures. Non, vous, vous représentiez tant de choses positives pour moi, vous étiez des repères qui semblaient me comprendre et tout, par votre faute, s’est effondré en un instant.

Nous ne partageons rien. Nous n’avons jamais rien partagé. Vous, et vous seuls avez commis une erreur, que dis-je, une agression, un crime.

Ce n’était pas ma version des faits. C’était les faits. Vous étiez là.

Je vous ai écrit à chacun pour vous dire tout le mal que vous m’aviez fait, des mois ou des années plus tard. Je disais ne rien attendre de vous, pas même vos excuses, mais je me mentais à moi-même. Je ne sais pas à quoi je m’attendais ; j’étais prête à tout encaisser, sans que rien, quelles qu’auraient été vos réponses, ne puisse m’atteindre.

Vous avez un à un répondu avec une telle lâcheté que je suis restée sans voix. Le pire n’est pas tant que vous ne vous étiez pas rendu compte que vous étiez des porcs sur le coup, mais qu’après ces échanges, vous pensiez encore malgré tout n’avoir rien fait de mal.

Ce que je vous ai dit n’était pas ma version des faits. C’était les faits. Vous étiez là.

Tu étais là lorsque nous couchions ensemble et que j’avais mal, que j’aurais voulu arrêter mais que tu as continué pour finir de te vider. Je n’étais plus consentante. J’en ai pleuré et tu n’as eu aucune considération à mon égard, absolument aucune. Tu ne t’es soucié que de toi, je n’étais plus rien. Tu m’as déshumanisée. Tu m’as trahie et tu m’as blessée au plus profond de mon être.

Et toi, tu étais là quand je te disais que non « je n’avais pas le béguin pour toi » et que j’essayais tant bien que mal de me défaire de ton étreinte. Tu étais là quand tu as mis le pied dans la porte et que terrorisée, je t’ai supplié de partir avant de m’effondrer.

Et vous, ah vous, mon chef bien-aimé… Vous qui avez eu la délicate audace de me dire « Mais enfin, je ne t’ai pas violentée ni violée, quand même » quand j’ai osé vous confronter. Je n’ai même pas eu les mots ; ils me manquent toujours face à un tel affront. 

Le fardeau que nous devons porter

Je ne vous déteste pas, je ne vous méprise pas, je ne vous en veux même plus. Cette lettre est le dernier fragment de considération dont je vous témoignerai. Quoi que… il n’y a pas encore prescription, et les preuves vous accablent.

Que cette lettre puisse vous faire porter le poids de la culpabilité sur vos épaules et qu’elle vous fasse vous rendre compte de votre carence en humanité. Mais avant tout autre chose, qu’elle puisse renforcer le lien de sororité qui nous uni toutes et qui finira par vaincre l’hétéro-patriarcat que vous incarnez au plus profond de vous.

Mais rassurez-vous Messieurs, ce petit grain de poussière n’est rien, absolument rien, en comparaison avec le fardeau que je dois porter ou ceux que mes sœurs doivent porter et qui n’a pas fini de s’alourdir. Je ne souhaite à personne de vivre avec un tel poids, pas même à vous. Je ne vous souhaite rien de mal (mais rien de bon non plus, mon altruisme a ses limites).

Alors que notre parole à toutes, que notre force et que notre résilience vous anéantissent, vous et votre misérable conscience.

Une femme (mais cela aurait pu en être une autre).

À lire aussi : Lettre à mon père pour qui le patriarcat n’existe plus

Crédit photo : Volkan Olmez / Unsplash

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Les Commentaires

1
Avatar de Mefo
27 octobre 2021 à 10h10
Mefo
Bonjour Sarah,
Tu, je te dis "tu" car entre soeurs, on se tutoie. Tu as écris ces mots pour te soulager un peu d'un poids immense et pour qu'ils résonnent dans le coeur des autres. Tes mots me touchent, tes mots me transportent et me donne du courage car grâce à eux, grâce à toi je me sens moins seule. Tu es forte et courageuse et surtout tu n'es pas seule, jamais.
Merci Sarah.
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