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Culture

La fantasy : petit guide d’un genre méconnu

C’est un genre plutôt d’actualité qui se découvre une petite popularité en France, et pourtant : la fantasy, comme la littérature de l’imaginaire en général, demeure obscure pour bien des gens. Sarah vous propose un petit guide récapitulatif.

Lectorat, vaste comme tu es, je me doute que tu dois être plutôt varié ; tu te composes probablement à la fois de grand-e-s lecteurs-trices de fantasy, de gens curieux mais sans plus, et de gens qui n’y connaissent pas grand-chose et/ou qui s’en fichent un peu parce que ce n’est pas leur truc. Et c’est très bien comme ça, parce que j’ai envie de m’adresser un peu à tout le monde pour parler de ce genre que j’aime très fort et qui fait partie de ma petite vie depuis un bon moment.

La fantasy, ce n’est pas récent, mais c’est un genre anglophone, qui a vraiment pris son essor en France grâce au succès récent et fulgurant de romans et sagas tels que Harry Potter, Le Seigneur des Anneaux ou Eragon, au travers notamment d’adaptations cinématographiques. De véritables phénomènes ayant contribué à la « démocratisation » d’un genre qui jusqu’ici était plutôt un truc d’initié-e-s, et qui à l’heure actuelle connaît une expansion sans précédent auprès du grand public.

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Pour qui n’est pas trop branché-e fantasy, finalement, ces géants inévitables du cinéma ont pu leur donner une idée de ce qu’est le genre, en évoquant magie, aventures et épopées, nains, dragons et autres créatures bizarres. Si ce n’est que le haut de l’iceberg, ce n’est pas faux pour autant. C’est juste que « la fantasy », eh ben… c’est vaste !

Le fait est qu’il est difficile de donner une définition claire du genre. Les libraires galèrent déjà assez en essayant de ranger les ouvrages concernés dans une catégorie — souvent dans un rayon « Fantasy/SF » un peu bâtard, dans le meilleur des cas. Croyez-le ou non, c’est un genre complexe, qui présente des similitudes avec d’autres genres tels que le fantastique, la science-fiction, ou le merveilleux. Et les frontières ne sont pas toujours facile à délimiter !

Mais commençons par le commencement, voulez-vous ? Après vous allez dire que je vous embrouille.

Des racines…

Et le commencement, c’est essayer de résumer une définition qui pourrait satisfaire tout le monde. La fantasy. C’est un genre qui opère, je dirais, une distance vis-à-vis de la réalité, mais ne s’en sépare pas tout à fait comme le merveilleux. Il ne joue pas non plus sur cette hésitation entre réalité et surnaturel qui caractérise le fantastique (a-t-il rêvé ? A-t-il bu ? Est-ce que ça s’est vraiment produit ou y a-t-il une explication rationnelle ?).

Dans la fantasy, on assume pleinement l’insertion du surnaturel, que ce soit à base de quêtes initiatiques mêlant de pauvres mortels aux nains, sorciers, elfes et artefacts magiques, ou de drôles de créatures qui font la manche dans une rue normale pendant qu’a lieu une bataille de sorciers à quelques mètres.

Ce que résume Colin Manlove, un chercheur britannique qui a travaillé sur la fantasy (oui madame, ça existe), en ces termes éloquents que vous ai traduit avec brio : la fantasy, c’est « une fiction aux teintes de merveilleux, et qui use de l’élément fondamental et indispensable qu’est le surnaturel avec lequel les protagonistes mortels de l’histoire ou les lecteurs deviennent au moins partiellement familiers ».

On aurait ainsi tendance à délimiter le territoire de la fantasy à partir du rapport au surnaturel dans l’histoire. En gros. D’ailleurs on reparlera des sous-genres, ça va être marrant.

Enfin, pour ce qui est des origines de la fantasy, attention, je casse tout j’ai peur de rien : non, Tolkien n’a pas inventé la fantasy. Paf. Il l’a plutôt « ré-inventée », comme le suggère Anne Besson (les références à la fin de cet article, mes petites loutres), dans le sens où il l’a remise au goût du jour. Mais il ne fait que partie des précurseurs, parmi lesquels on retrouve des écrivains de l’ère victorienne, une époque pleine de paradoxes tout à fait propice au développement de la fantasy.

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Tolkien, ce hobbit.

Il s’agissait en général d’individus passionnés par un Moyen Âge idéalisé, un « âge d’or » et une nostalgie que l’on retrouve pas mal dans ce type de littérature. Tolkien a notamment été influencé, selon ses propres dires, par l’écrivain William Morris, un homme idéaliste et plutôt prolifique. William écrivait des « fantaisies » (The Well at the World’s End en 1986), The Wood beyond the World en 1984) et traduisait épopées médiévales et sagas scandinaves pour le plaisir.

Il a été le premier à traduire l’Edda en Prose de Snorri Sturluson, une oeuvre parmi tant d’autres qui l’a incontestablement influencé et qui ont ainsi par la suite influencé Tolkien et compagnie. L’influence du folklore et de la mythologie nordiques dans la fantasy contemporaine n’est donc pas un hasard ? Eh non, jeunes padawans.

Mais il n’y a pas que Morris qui pousse le bouchon un peu trop loin (je n’assume pas cette blague). On considère que la fantasy est née des évolutions du fantastique pendant la période victorienne, avec par exemple le mouvement littéraire du gothique (Frankenstein, de Mary Shelley, Le Château d’Otrante, de Robert Walpole…) qui donne une place plus imposante au surnaturel dans l’intrigue en le mêlant à l’horreur.

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Ceci n’est pas Gandalf, mais Odin.

Car on note déjà un attrait pour ce type de littérature à l’ère victorienne, période historique connue pour les grands bouleversements sociaux et industriels qu’elle a traversés… et parallèlement à la montée du progrès, une fascination pour le spiritisme et le surnaturel. Peut-on expliquer ce paradoxe par un besoin de s’échapper du quotidien par l’imagination ?

Quoi qu’il en soit, quelques années plus tard, la littérature du XIXème siècle observe une montée en flèche du merveilleux au travers de la littérature pour enfants.

…aux ramifications

Ce rapprochement avec la littérature jeunesse peut expliquer la tendance subsistant encore aujourd’hui à voir la fantasy comme un genre puéril, dont l’intérêt se traduit par un besoin d’évasion, en faisant ainsi un « genre du rêve ». Cette perception du genre est restée tenace en France, et cette idée d’évasion, de rêve et de licornes à paillettes n’a pas fait que redorer son blason auprès des lecteurs français.

Hormis le fait que du coup, on qualifie facilement la fantasy de kitsch ou de puérile, ce vague snobisme n’a pas aidé à la tentative de catégorisation du genre. La distinction la plus généralement admise est une distinction anglophone, bien sûr, qui provient en grande partie des critiques littéraires Zahorski et Boyer ayant écrit sur la fantasy.

Il s’agit de couper la fantasy en deux : la high fantasy et la low fantasy. La low fantasy correspond aux récits se déroulant dans notre réalité à nous (ce qui peut être une ville imaginaire correspondant à nos standards en matière de réalisme, comme la Newford de Charles de Lint), et qui de ce fait se rapproche davantage du genre fantastique. La high fantasy en revanche, se tient dans un monde fictif (aussi appelé « monde secondaire » par Tolkien) qui possède ses propres lois, cosmogonies et fondations, sa propre rationalité en somme.

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Via

De là découlent toutes les petites sous-catégories qui fusent de partout. Même si certaines reviennent, comme l’heroic fantasy/epic fantasy, qui désigne en général des épopées fantastiques dans des mondes parallèles (Le Seigneur des Anneaux, mais aussi les aventures d’Elric de Melniboné par Michael Moorcock ou la Belgariade de David Eddings), ou la fantasy urbaine grâce à Harry Potter, eh bien il y a une petite tendance à inventer une nouvelle catégorie dès qu’on ne sait pas exactement comment classer un bouquin.

En gros, tout le monde ne s’accorde pas sur une seule manière d’organiser le vaste genre de la fantasy. Est-ce important ? Bah, peut-être pas… Mais se mettre d’accord au moins sur la high/low fantasy pourrait aider les potentiels nouveaux lecteurs à y voir plus clair et savoir ce qui est susceptible de l’intéresser. Ici par exemple, on fait un peu fourre-tout.

Mais pour toi, lectorat, je fais un effort.

Des conseils lectures (totalement subjectifs) pour commencer ?

Ce n’est pas évident de conseiller des romans de fantasy. Il y en a tellement que j’ai lu, et tellement que je n’ai pas lu, et je ne vais pas penser à tout, et puis ce choix de titres est d’une part, comme le titre l’indique, « totalement subjectif », et d’autre part opéré parmi les plus connus. Je veux dire, si tu commences à découvrir un genre, tu as envie de trouver ton bouquin facilement et aussi de découvrir quelques « classiques » pour te faire une idée avant tout, non ?

Dans tous les cas, cette (si petite) liste est loin d’être exhaustive, alors n’hésitez pas à vous échanger entre vous dans les commentaires vos titres préférés ! Bref.

  • Heroic fantasy/epic fantasy/sword and sorcery/fantasy médiévale

Oui, j’ai un peu tout mis dans le même sac.

Tu veux de l’épique et tu n’as rien contre l’idée de suivre des sagas et des cycles qui mettent 20 ans à se terminer ? On est dans ta catégorie. Promis, je passe les oeuvres de Tolkien. Mais ça me coûte.

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Tu as la série L’Assassin royal de Robin Hobb, où tu suis les aventures du bâtard Fitz dans un monde fantastico-médiéval pas forcément facile à vivre.

En plus gentil, il y a La Belgariade de David Eddings, et en plus méchant, quelque chose que tu connais probablement un peu, Le Trône de fer de George R.R. Martin… a.k.a. Game of Thrones (enfin, le VRAI titre de la saga, c’est A Song of Ice and Fire, mais ne chipotons pas).

Autres grands classiques : La Roue du temps de Robert Jordan, L’Arcane des épées de Tad Williams et les aventures d’un des nombreux héros (les « champions éternels ») de Michael Moorcock.

Bon, et je ne peux pas te parler de « sword and sorcery » sans mentionner Conan le Barbare : de la baston et des méchants sorciers. Tu fais ce que tu veux, hein.

  • Fantasy arthurienne

Aaah, il y en a des choses à faire autour des légendes arthuriennes ! Et tu penses bien que la fantasy s’en donne à coeur joie — suffisamment pour en faire une catégorie à part. On y trouve d’ailleurs des petits chefs-d’oeuvre…

Mon petit chéri, le fabuleux Cycle d’Avalon de Marion Zimmer Bradley, revisite l’intégralité de la légende du point de vue des femmes.

Pour une fois dans les classiques, le français Jean-Louis Fejtaine avec La trilogie des elfes qui part aux origines même du mythe arthurien.

Et enfin, en plein dans le mythe, Pendragon de Stephen Lawhead.

  • Fantasy urbaine

On est dans mon sous-genre de prédilection, mais il va me falloir faire un choix. Tu ne peux PAS ne pas essayer les romans de Neil Gaiman, notamment la référence en fantasy urbaine Neverwhere, ou le fantastique American Gods qui est aussi une mine pour les amateurs de mythologie.

Il y a China Miéville dont je cite le si bizarre Kraken, et un des derniers succès fantasy, Les rivières de Londres de Ben Aaronovitch — accessoirement un moyen très fun de (re)-découvrir Londres.

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  • Light fantasy

Tu veux rire ? Mais genre, pas de la parodie d’oeuvre toute simpliste, hein. De la fantasy parodique qui joue avec tous les codes du genre avec génie et subtilité ? Lis les Annales du Disque-Monde de Terry Pratchett. C’est tout. Tu suis les aventures farfelues de bien des personnages qui se croisent sur ce vaste Disque-Monde, et ça devrait t’occuper un moment.

Mais si tu ne veux pas commencer par un si gros morceau (tsss), sache que Neil Gaiman et Terry Pratchett se sont associés un jour (et un peu plus) pour écrire cette petite merveille hilarante qu’est De bons présages.

Enfin, je consacrerai sûrement un jour un article au steampunk et à l’uchronie, parce que c’est encore un monde à part dont il y a trop à dire, et pour moi à lire encore. En attendant, je peux déjà vous dire de lire absolument Les Voies d’Anubis de Tim Powers, parce que c’est juste fifou.

La fantasy en France, un genre encore marginal ?

Je terminerai ce récapitulatif chaotique et pourtant si peu complet en revenant sur la marginalité de la fantasy en France. Si le genre connaît, comme je le disais plus haut, son petit succès en ce moment, c’est principalement grâce aux grosses ventes des gros blockbusters. Au niveau littéraire, on continue de snober un peu la fantasy, comme un genre, oui, puéril, et qui ne se rénove jamais, se satisfaisant des mêmes ficelles.

C’est, déjà, ne pas savoir (comme vous le savez maintenant) que la fantasy ne s’arrête pas à des anneaux magiques et quelques bastons à l’épée. Mais il faut bien voir que certains motifs, tels que le héros en quête d’un objet magique pour contrer les plans machiavéliques du seigneur du Mal par excellence, ou la beauté irréelle d’une elfe mélancolique, constituent le schéma basique de bien des romans de fantasy.

Car la fantasy fonctionne en effet sur un système de stéréotypes. J’irais même jusqu’à dire que le cliché est le propre de la fantasy : passée cette relation un peu particulière avec le surnaturel, le genre présente des structures redondantes, oui, mais vieilles comme notre propre monde. Figure du héros, rites de passages, mysticisme ou structures initiatiques… Autant de choses que l’on retrouve aussi bien dans les contes de fée que dans nos mythes les plus anciens.

D’une certaine manière, on peut dire que la fantasy se renouvelle, dans le sens où elle présente une constante révolution et ré-utilisation de nos plus vieilles croyances et valeurs. Et puis, elle laisse la part belle à l’imagination, mais est-ce bien « puéril » pour autant ?

Pour aller plus loin… (ouvrages de référence)

  • La Fantasy, Anne Besson
  • La Fantasy, Jacques Baudou
  • Gothic, Fred Botting
  • Modern Fantasy : Five studies, Colin Manlove
  • Fantastique, fantasy, science- fiction : mondes imaginaires, étranges réalités, Léa Silhol (etc.)

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Les Commentaires

69
Avatar de Kathelvellon
19 janvier 2018 à 15h01
Kathelvellon
Merci pour cette saine rébellion contre le mépris de la "vraie" littérature ! Je voudrai citer ici un auteur "de fantasy" qui combine l'originalité et l'intelligence de l'intrigue à la beauté de l'écriture : Jean-Philippe Jaworski. Je conseille surtout la petite merveille qu'est "Gagner la guerre", l'autobiographie d'un spadassin assez peu recommandable dans un univers où la magie existe mais n'est pas le ressort principal, et qui s'inspire fortement de la Renaissance italienne. Tiens, je vais le relire !
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