— Publié le 28 octobre 2013
Il te suffit de passer un petit moment sur l’Internet et les réseaux sociaux pour faire face à une étrange faune adepte du narcissisme aigu : l’humain. Comme la tendance du selfie le montre, l’Homme s’aime — ou du moins l’Homme a besoin qu’on l’aime. Pour ce faire, il passe souvent par une phase de mise en avant de sa personne.
Cette période se trouve en général entre la poussée de son premier poil et le moment où aller acheter des capotes chez Leclerc ne lui cause plus aucune crise d’angoisse, mais ça peut varier selon les individus.
Tu n’as pas forcément besoin d’être en pleine crise d’adolescence pour avoir envie de prendre une photo de toi sur les toilettes, au saut du lit ou quand tu viens de venir à bout d’un tuto beauté. C’est dans l’air du temps, il parait.
Cette fois-ci je te propose de te pencher avec moi sur un phénomène interne du selfie et de la conquête de la photo de profil la plus avantageuse : les poses trop « in »pour être au top.
Car oui, le truc c’est que la mode est à la pose animalière. Enfile tes bottes en caoutchouc et un bob camouflage, je t’emmène au plus près de la bête…
Anatomie d’une séance d’autoportrait
Imagine : tu viens seulement de t’inscrire sur ce petit réseau social qui monte, Facebook. Bien entendu, il faut te créer une identité virtuelle, et cela passe (entre autres) par le choix de ta photo de profil.
Te voilà face à ta webcam, prête a dégainer ton plus beau faciès quand un questionnement intense vient à toi : quelle tronche dois-je tirer au juste ?
C’est vrai, on a rarement vu des gens afficher une photo de profil digne d’un Photomaton ou de la pire des photos de classe — coucou le fond bleu nuageux. Non, il y a des codes à respecter, madame. Si tu es adepte du selfie, tu ne peux pas te pointer devant l’objectif et simplement appuyer sur le bouton. Ça serait trop facile.
Tu te questionnes sur la dilatation de tes pupilles, l’entrebâillement de ta bouche et la hauteur de tes sourcils. Alors tu tentes d’imaginer le sentiment que tu veux faire passer à travers cette photo. Si tu veux avoir l’air de dire « viens sur mon profil, on est bien sur mon profil », pourquoi ne pas leur envoyer un bisou ? C’est drôle, ça, comme approche non ? Et voilà, tu te lances, lèvres en avant.
Et puis… non. Tu as l’air d’un macaque. C’est beaucoup trop, tu n’assumes pas (ben ouais, on est pas sur Snapchat). Tu abandonnes. Après tout, sur cette photo tu veux simplement passer pour la meuf sympa et mignonne que tu es. C’est trop demander, ça ?
Alors tu tentes la mine boudeuse mais pas trop. Ça tombe bien, tu ressembles un peu à l’actrice de Pirates des Caraïbes, celle qui a toujours l’air de faire la tronche tout en restant incroyablement sexy. C’est parfait.
Te voilà comblée et fière de ta performance. Et puis… tu te rends compte que tu n’as pas le monopole de la pose « négligée mais pas trop ». Autour de toi gravitent plein d’autres petits clones de ton avatar. Tu te rends compte que la pose que tu arbores sur ta photo porte un nom et qu’elle est très à la mode chez les 12/25 ans.
Tu remplaces immédiatement ta photo de profil par un cliché de toi en vacances, de dos, devant une grande montagne. Tu souffles, soulagée. Libérée.
La duck face : apparition d’un mythe
Oui, la duck face est beaucoup trop populaire pour qu’on la présente et beaucoup trop old pour mériter un article complet sur sa petite personne. Même si elle s’apprête enfin à rendre l’âme, pour comprendre les nouvelles tendances il faut parfois savoir se pencher un peu sur les valeurs traditionnelles, et en comprendre les tenants et aboutissants.
La duck face c’est donc la fâcheuse tendance que les gens ont de faire un bisou imaginaire à la caméra, histoire d’avoir l’air swag. Ce doux nom provient du fait que lorsque tu t’essayes à ce genre de pose, tu ressembles clairement à une vieille cane qui piétine pour un bout de pain.
La bouche en trou d’balle, l’oeil vaseux… la pose fait carton plein quand le volume de ta lèvre supérieure atteint son maximum (et si tu arrives à la faire toucher ton nez, c’est encore mieux).
Voi-là.
Ce mouvement pas vraiment naturel a des origines plutôt floues. Il a peut-être été emprunté aux pin-up des années 60 et à leurs airs mi-étonné, mi-persuasif. Mais la tendance a véritablement explosé en 2010 avec le Tumblr AntiDuckface qui avait déjà compris que ça sentait un peu le moisi cette histoire.
L’idée était pourtant bien sympathique : vouloir simplement communiquer un peu d’amour au photographe. C’est louable ! Mais la pratique s’est répandu eà une vitesse proche de celle de la lumière, et tout a basculé.
La duck face est, en 2013, aussi connue qu’elle n’est redoutée. En général les adeptes de ce mouvement passé de mode sont hués dans la rue et il arrive qu’on leur jette des rouleaux de papier toilette enflammé. Mais quelques irréductibles décident de faire durer la mode. Ils bravent les diktats. Ils imposent leurs lèvres fièrement tendues. C’est beau.
La sparrowface, petite nouvelle
Non, désolée Jack, c’est pas de toi qu’on parle.
Alors que la duck face a connu son apogée et amorcé sa longue descente dans les limbes un peu honteuses de l’Internet, une nouvelle pose semble bien disposée à reprendre le flambeau.
Découvre donc cette étrange pratique qui provient tout droit du pays du Soleil Levant : la sparrowface. Cette tendance a elle aussi hérité d’un nom emprunté au monde animal : « sparrow » signifie « moineau ». Et là je crie au scandale, car veuillez m’excusez mais je n’ai JAMAIS vu le moindre moineau faire cette tronche-là. Jamais. Même pas dans les Pixar ou un autre truc du genre.
Démonstration parfaite de la sparrowface. Ressemblance avec un oiseau ? Je ne crois pas non.
J’imagine que ce nom a été choisi parce que la sparrowface ressemble clairement à la duck face, en beaucoup moins démonstratif. Elle te fera simplement ressembler à un piaf tendant son tout petit bec pour picorer une miette sur la terrasse d’un restau. Un petit être triste et seul. Voilà.
Mais ne va pas croire que cette nouvelle mode est la duckface du pauvre, oh que non ! C’est une véritable révolution.
La sparrowface est la nouvelle manière très à la mode de poser devant l’objectif. Pour être top moumoute il te faudra prendre une moue renfrognée mais pas trop — l’idée n’est pas de faire fuir tes potentiels nouveaux admirateurs, malheureuse. Pour ce faire, il te suffit de te placer devant un objectif et de pincer un peu tes joues tout en entrouvrant la bouche. Voilà un air lascif des plus charmants. Tu ressembles un peu à un blobfish affamé, mais crois-moi c’est très beau.
Pour te donner une image plus précise, tu peux tenter de reproduire à l’identique la tête de Keira Knighley sur toutes ses photos officielle. La créatrice de tendances, c’est elle.
Et là franchement c’est rien encore.
Pourtant, même si la sparrowface a l’air d’avoir convaincu pas mal de monde,
je ne crois pas en un avenir long et stable pour elle. À partir du moment où une tendance est montrée du doigt — pas forcément un gros doigt réprobateur, mais un doigt quand même — elle est déjà has been.
Je pense donc que la sparrowface va aller très gentiment se ranger entre Peter l’Anguille et le Harlem Shake sur l’étagère des choses qui ont marché pendant 48h avant de sombrer dans le vide quasi-intersidéral.
Mais pour l’instant, on ne parle que d’elle.
C’est pire qu’une invasion de zombies.
Et comme chaque mode a ses gourous, voici Kim Kardashian qui dort les yeux ouverts…
…et Doutzen Kroes qui va chercher une baguette multicéréales au volant de sa Kangoo.
Une seule question : POURQUOI ?
C’est vrai, pourquoi l’humain a-t-il besoin de se mettre en scène quand il est en train de réaliser son portrait ? Et surtout, pourquoi préférer ressembler à une pintade plutôt que de faire un sourire White Now sincère et plein d’entrain ?
Tirons quelques hypothèses.
- Les humains vivent dans des grottes et ne se rendent pas compte qu’ils posent tous de la même façon devant leur objectif.
- Les animaux c’est mignon, tenter de leur ressembler c’est une idée cool.
- C’est la mode et la mode c’est bien.
- C’est la mode et la mode c’est beau.
- C’est la mode et si t’es pas à la mode t’es nul-le.
- D’ailleurs tu devrais même pas te poser la question, rejoins le mouvement, hop hop.
Ben ouais ! Les *insérer le nom d’un animal à plumes ici*faces sont certes une mode, mais elles sont également porteuses de sens dans le langage de l’Internet. C’est un peu triste, mais un-e adepte de la duckface va souvent être considéré-e comme quelqu’un d’avenant mais un peu vulgaire, alors que la moue boudeuse de la sparrowface se rapporte plus à celle des mannequins lors des shootings ou des défilés : cette personne est désirable, on l’envie.
Duck face : quelque chose qui est attardé, stupide, et qui insulte les canards partout.
L’humain aime adhérer à un groupe, et s’il faut qu’il se trempe entièrement dans un demi-litre de gloss pailleté, peu importe. Il endurera toutes les souffrances nécessaires.
Ce phénomène de mode est souvent mis en avant par des gens qui plébiscitent l’auto-dérision sur la toile. C’est vrai, si l’humain aime suivre la mode, il aime aussi par-dessus tout se rendre totalement ridicule (cf. Jackass et la tektonik).
À la base, les poses aux noms animaliers, c’était pas une si mauvaise chose. C’est juste un concept qui a dégénéré, une fausse bonne idée quoi — un peu comme le retour de Vitaa.
Allez, on découvre largement toutes ses dents, on retrousse légèrement le nez, on tend le cou à fond et on invente la horseface. Je sais, tu as le droit de crier au génie.
100 like dans les cinq minutes assurés. Tu peux me dire merci.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Cela dit pour un mec c'est aussi horrible !