Avant-propos de Fab — Avant de lire ce témoignage, je crois qu’il est important d’écouter l’épisode d’Histoires de Darons d’Emmanuel :
Emmanuel m’a envoyé un email intitulé « épilogue » avec ce texte, quelques jours après notre enregistrement, où il me disait : « Comme ça s’est pas goupillé pour que je le raconte pendant le podcast, j’ai écrit sur un sujet qui me travaille, dans la prolongation directe de l’année difficile avec Eliot. Ca te plaira peut-être de le lire. J’y vois un peu un épilogue de notre échange. Moi en tout cas ça me permet de boucler cette histoire. »
Je lui ai proposé de le publier sur Rockie, il a accepté et je l’en remercie du fond du cœur, parce que la libération de la parole masculine autour de la violence est vraiment essentielle.
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La violence, mais quel sujet de merde me direz-vous peut-être.
J’ai tendance à penser que oui.
Cependant, tandis que nous aimons à nous qualifier d’espèce intelligente et supérieure, nous voir saccager joyeusement l’écosystème sur lequel on vit me laisse à penser que nous ne sommes toujours que des animaux obéissants à de vieux instincts archaïques, dont la propension à la violence est une composante assez manifeste.
La violence, et sa définition
La violence a bien des formes : physique, verbale, sociétale etc…
Si je devais la définir, je crois que je dirais que la violence se résume à toute forme d’action qui restreint, volontairement ou non, la liberté et l’intégrité d’un être vivant.
Par exemple priver quelqu’un du savoir nécessaire à une prise de décision est une violence.
Dans mon enfance, je ne saurais dire quelle fut la première forme de violence à laquelle j’ai été confronté. Je vous invite à lire mon billet « le blond, la brute et le gluand » si vous avez envie de connaître celles que je vois dans mon enfance à l’école primaire.
J’ai eu une éducation chrétienne qui m’a fait intégrer que si tu es violent, alors tu es mauvais, et qui mettait en avant l’importance d’être bon, altruiste, de pardonner etc…
La société dans laquelle j’ai grandi confortait ces schémas, notamment dans les films que je découvrais en grandissant, où les personnes gentilles, vertueuses et respectueuses ont souvent le rôle du meilleur ami, le personnage qui meurt en général au bout de 20 minutes de film en voulant aider le personnage principal, le HÉROS.
Manifestement être bon est donc couplé à la capacité de se sacrifier pour ceux qui ont l’audace de transgresser les règles, bien sûr pour une cause qui défend l’intérêt général et souvent donc celui des opprimés face aux oppresseurs.
Mais la violence des autres ou du contexte est une chose, il y a aussi celle qui nous habite.
La découverte de la violence
J’ai découvert la mienne dans une cour de récré en 5ème.
Un camarade qui aimait beaucoup chahuter les autres avait trouvé en moi dès mon arrivée au collège un bon client, et il arrivait régulièrement à me faire pleurer par ses moqueries et bousculades, souvent en concluant que c’était « pour rigoler ».
J’étais susceptible, avec peu de confiance en moi et je me sentais honteux de ne pas être à la hauteur et de pleurer « comme une chiffe molle », parce que bien sûr, un bon garçon ne pleure pas comme une fille et tous ces genres de stéréotypes à la con.
Mais bon, a priori, d’après mon chaleureux camarade de plaisanterie, c’était simplement une carence de mon sens de l’humour, et j’étais tellement influençable que même ça je l’ai cru, un temps.
C’est vrai que ça aurait été dommage de me priver de cette fabuleuse compétence qu’est le masochisme à croire son bourreau.
Comme quoi ce qui semble être un jeu pour les uns peut être une souffrance pour d’autres.
Toujours est-il qu’un jour, ce camarade est venu me provoquer alors que j’étais entouré de plein d’amis dans la cour de récré alors qu’il avait plutôt jusque-là préféré les petits comités.
C’est peut-être le fait d’attaquer ma fierté frontalement sous le regard d’amis qui m’a fait voir rouge.
Je me souviens d’un sentiment de colère me remplir et l’avoir saisi violemment pour le repousser brutalement, puis j’ai aussitôt ressenti un mélange de culpabilité et de peur.
Culpabilité d’avoir mal agi, peur de provoquer une escalade de violence façon loi du talion, et surtout peur de la facilité avec laquelle j’étais devenu violent et donc, mauvais.
J’ai le vague souvenir de le voir très surpris, puis il était revenu vers moi la colère dans les yeux mais avec bien moins d’assurance, en tournant un peu la chose à la dérision en faisant genre on se met des petites claques entre potes.
Bizarrement il a été de moins en moins provocateur par la suite et assez rapidement il m’avait laissé en paix.
La violence traumatisante
Autre souvenir de ma violence, cette fois à la piscine avec le collège. J’avais peur de l’eau et je regardais avec angoisse certains copains en faire couler d’autres et essayer de leur maintenir la tête sous l’eau.
Si je prenais bien soin de me tenir à l’écart d’eux, je me suis retrouvé en jouant à portée de l’un d’eux qui a commencé à chahuter et à me couler.
Je crois que la première fois est passée pas trop mal mais il est revenu à la charge me mettant la tête sous l’eau et essayant de me contraindre à y rester.
Je me souviens me débattre pour reprendre de l’air, je me souviens de ce sentiment de panique me gagner d’un coup alors que je n’arrivais pas à remonter.
Puis la colère est venue, et en une fraction de seconde je me suis dit dans un grand calme que puisque mon copain ne comprenait pas qu’il me faisait souffrir, j’allais devoir le lui faire comprendre.
C’est finalement assez flou, je me souviens me débattre, l’attraper et l’emmener avec moi vers le fond.
Je crois me rappeler de son regard apeuré une fois à la surface, probablement comme le mien l’était aussi.
Bref ce sont des souvenirs, je ne sais pas si ou comment mon cerveau les a déformés, mais ils restent néanmoins des marqueurs dans ma mémoire.
J’ai bien d’autres souvenir de peurs de la violence des autres, ou de la mienne.
Tout ça pour dire que j’ai toujours craint la violence des autres comme celle qui est en moi, sachant qu’elle déclenche très souvent des phénomènes en cascade et que celui qui a le dernier mot est souvent celui qui a complètement perdu pied.
Ah,
la fameuse loi du talion : oeil pour oeil, dent pour dent. Ego pour ego, bêtise pour bêtise.
La découverte de la paternalité
Pour faire simple, la première année avec mon premier fils a été dure car il dormait très peu la nuit et pleurait beaucoup.
Nous nous sommes rapidement épuisés ma compagne et moi et en ce qui me concerne, j’ai fini par me mettre à hurler à certains moments, notamment alors que je venais de le poser dans son lit et qu’il se mettait à pleurer tandis que je refermais doucement la porte de sa chambre.
Il y a bien sûr tout un contexte qui, pour ma part, faisait que j’étais à bout physiquement, par le manque de sommeil, et moralement par le manque de confiance en moi : j’étais en échec par rapport à l‘image du père idéal à laquelle je croyais devoir correspondre.
Je me rends compte aussi aujourd’hui, que j’avais aussi un complexe par rapport à ma compagne, qui exerce un métier que je trouvais plus « prestigieux » que le mien et qui me paraissait réussir tout ce qu’elle faisait tandis que moi je ne me sentais que doutes et inertie.
Mais si ça s’était arrêté là, ça aurait été même trop beau.
La violence dans la paternalité
J’étais en colère envers moi de ne pas être à la hauteur, envers mon fils qui n’était pas comme il aurait été sensé être, toujours selon mes schémas de réussite et du père normal, et qui soulignait donc mon échec.
Et encore en colère d’être en colère contre mon fils. C’était sans fin, c’était délétère, mais c’est toujours facile à dire après coup ou vu de l’extérieur, car au moment où on le vit, c’est vraiment difficile de mettre le doigt dessus et de changer de dynamique.
Donc mes cris, mes pleurs, et puis, malheureusement des gestes violents ont commencé à venir. Il est arrivé quelque fois que je le saisisse brusquement par le bras en serrant quand il ne m’écoutait pas, et je me détestais longuement de ces dérapages.
Et surtout il y eut ce jour, où je ne sais plus pour quelle raison futile, agenouillé dans la cuisine, j’intimais à mon fils qui avait un peu plus d’un an de se calmer, et il s’est mis à rire.
Et j’ai vrillé.
Ce rire était probablement un simple rire nerveux, je me demande aujourd’hui pourquoi il a déclenché ma colère et ma violence, mais je crois que je l’ai assimilé à une moquerie.
J’ai cru qu’il se moquait de moi, ce dont il était cérébralement incapable à cet âge. Si on compare au souvenir que j’évoque plus haut, je me suis déjà retrouvé en pleurs et démuni face aux moqueries, et c’est peut être simplement cet écho à mon enfance qui a été déclencheur.
Que ce soit clair : j’essaie juste de comprendre, pas d’excuser. Les choses sont ce qu’elles sont et je ne peux qu’essayer de les accepter. Comprendre est d’ailleurs, je pense, une étape qui aide quand on veut changer.
J’ai donc plaqué mon enfant contre le meuble de la cuisine en lui intimant d’arrêter, ce qu’il ne pouvait faire et il avait donc toujours ce rire. Et je l’ai à ce moment profondément détesté. J’avais la main sur son torse et j’ai eu envie de serrer.
J’ai compris dans cette fraction de seconde, horrifié, que j’étais capable de faire du mal à mon fils.
Réussir à refuser la violence, et accepter ses failles
Quelque chose s’est passé, j’ai refusé cette envie de violence, la tension de ma colère s’est répandue dans tout mon corps contractant chacun de mes muscles. Je suis resté figé dans cette tension, avant de me détourner et d’aller pleurer dans un coin de la pièce, détruit.
Ça a été un moment de bascule. Si je n’ai pas compris sur le moment les ressorts de cette violence (et je ne la comprends peut-être toujours pas vraiment), j’ai réalisé jusqu’où elle pouvait m’amener, et j’avais le sentiment que la violence appelle la violence.
Il était donc hors de question d’aller plus loin dans cette forme de relation.
J’ai dû m’accepter, accepter cette faille, et la gérer. Il est difficile pour moi de dire ce qui a permis de sortir de cette pente. Un mélange de plusieurs choses :
- La volonté de sortir de cette forme de relation. Ça peut paraître évident, mais c’est la base.
- Nous avons partagé nos peines avec ma compagne, nous étions solidaires dans nos souffrances, et parler permettait de poser des mots et d’évacuer.
- La lecture de documents sur la construction du cerveau de l’enfant m’a permis de mieux comprendre et de me dégager des intentions que je pouvais prêter à mon enfant ( croire qu’il provoque, ou « fait un caprice » ou ce genre de projection infondée)
- Me sentir bien dans mon boulot. J’ai trouvé par la suite un travail où on m’a fait confiance et j’ai pu faire grandir mon estime de moi.
- Noter dans un carnet tout ce que je faisais de bien pour arrêter de focaliser sur les quelques moments où j’avais foiré.
- Se tourner vers ce que je voulais faire du présent et vers quel avenir je souhaitais aller, plutôt que de rester dans le passé à me flageller avec ces souvenirs.
- Apprendre à m’aimer.
- Aller voir une personne extérieure (psy, kiné, ou autre pro de la santé)
Moi, sur recommandation d’une amie, je suis allé voir une dame que j’appelais affectueusement par la suite la « goutologue« . Elle avait fait des trucs avec un pendule, m’avait prescrit des essences naturelles en gouttes à boire.
De premier abord je trouvais ça plutôt rigolo sans savoir si j’étais convaincu, mais je trouve que ça a été efficace.
Cette histoire est déjà bien longue, mais j’en arrive au point qui me taraude aujourd’hui.
Quelle éducation donner à un enfant par rapport à la violence ?
Il m’a fallu du temps pour comprendre et accepter que si j’ai eu des gestes violents par le passé, je ne suis pas pour autant une personne violente.
Rien ne peut être manichéen. Nous ne sommes pas des miroirs à deux faces avec un côté mal et un côté bon. Nous sommes des putains de boules à facettes avec une multitudes de sentiments qui s’associent et se confondent au gré des contextes.
Personne ne peut être réduit à « violent », « intelligent », « doux », « audacieux » etc… Je crois que nous avons tous un catalogue infini en nous.
Il est vrai que certaines attitudes peuvent nous caractériser plus ou moins, cependant il serait je trouve très réducteur de croire que nous sommes limités à quelques traits principaux de caractère, tant les sentiments sont provoqués aussi par des contextes et tout un tas d’autres facteurs que je n’ai probablement pas à l’esprit.
Bref, je pense qu’il est important que je puisse transmettre ce genre de réflexion à mes enfants, et éviter l’écueil « la violence c’est mal » et de leur faire croire que la moindre violence en eux serait signe qu’ils sont mauvais.
D’autre part, même si la violence peut être considérée comme une forme d’échec, c’est malheureusement chez certaines personnes un mode de fonctionnement, et pour établir la communication avec ce genre de personne, j’ai tendance à croire qu’il faut être en capacité de répondre à leur violence pour qu’ils te considèrent comme égal, et donc digne d’échanger avec toi.
Je ne dis pas que la violence, c’est bien, hein, qu’on se comprenne.
En ce qui me concerne elle fait partie des aspects dont l’humain devrait arriver à s’émanciper s’il veut pouvoir se prétendre être plus qu’un simple animal. Néanmoins elle fait partie intégrante de nous et la nier serait la favoriser.
Je crois qu’au fond, bien peu de choses nous séparent de la personne qui secoue son bébé, ou du violeur, ou de l’assassin.
Je réfléchis et je me pose la question. J’aimerais faire en sorte que mes enfants soient en capacité d’accepter et composer avec leur propre violence, et peut-être que la connaître intimement leur permettra aussi de mieux composer avec celle des autres.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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