Article initialement publié le 14 février 2014
Hé, ho, dites-donc, c’est pas bientôt fini de roucouler dans les chaumières, là ? Je… Oui, ou de descendre des pots de glace devant la télé en marmonnant des insanités. Parce que c’est bien joli, hein, de choisir des camps en collant des petits Cupidons plein de coeurs partout ou en le décapitant gentiment, mais savez-vous seulement qui est ce petit être ailé qui sert de bouc émissaire à vos débordements hormonaux en tous genres ? Hein ? Vous le savez ?
Eh bien moi non plus.
Non je déconne, évidemment que je le sais : moi, au moins, j’ai eu la curiosité d’aller chercher parce que je suis payée pour ça pour me cultiver et partager mon savoir auprès des foules. Non, gardez les tomates pour plus tard, s’il vous plaît, c’est la journée de l’amour, je vous rappelle.
Ah, commence pas, hein.
Soyeux sérieux un instant. Cette image de Cupidon, cet angelot, parfois petit homme et parfois enfant (ce qui est assez dérangeant), qui fait tomber les gens amoureux en leur tirant dessus avec ses flèches magiques, vous l’avez sûrement déjà vue et revue. Peut-être même que vous faites le lien avec Éros, son homologue grec.
Curieuse de savoir comment une figure mythologique – une divinité, même – est devenue une représentation populaire de l’amour et du coup de foudre, je suis allée fouiller un peu. Et honnêtement, si on retrouve dans les mythes gréco-latins beaucoup des symboles de l’amour que nous connaissons aujourd’hui, je ne m’attendais pas à tout ce que j’ai trouvé.
Cupidon : au commencement était… Éros
Commençons par les Grecs, avec Éros, puisque l’on ne parle pas de Cupidon avant les Romains. Éros a plus d’une corde à son arc. D’accord, c’était nul, mais adapté : selon les poètes mythographes, il ne semble pas être la même divinité, même si on retrouve un thème commun à toutes les versions (spoiler : l’amour).
Hésiode, un poète grec ayant vécu au VIIIème siècle avant J.-C., serait en effet le premier à mentionner le petit dieu dans ses écrits… et il ne le décrit pas tout à fait comme un « petit dieu ». La Théogonie d’Hésiode, qui porte bien son nom et qui est un des fondements de la mythologie grecque puisqu’elle narre la cosmogonie des dieux et déesses, parle d’Éros comme de la divinité à l’origine du monde.
Un être primordial, qui s’est créé lui-même sans l’aide de personne ; il est la force complémentaire au Chaos, l’équilibre entre les deux ayant généré la vie : lorsque Chaos régnait, Éros a apporté l’ordre et l’harmonie sous la forme de l’amour qui lie les êtres ensemble (que celle qui a commencé à chanter The Power of Love se facepalm toute seule, merci).
Eros-Phanes, bas-relief gréco-romain, 2e siècle avant JC., Modena Museum. Via
Cette version d’un Éros cosmogonique le fait rejoindre le panthéon des « Premiers Dieux », ces deus otiosus (« dieu oisif », ou dieu créateur se retirant de la scène divine) qui précèdent en l’occurrence Zeus lui-même. Un ancêtre, donc, que dis-je, l’aïeul des dieux de l’Olympe, le gentil papy qui racontait des histoires aux enfants.
Ce qui est intéressant, c’est que même si ce n’est pas cet Éros-là qui a marqué notre imaginaire, cette notion de primordialité s’est tout de même perpétuée… mais pas nécessairement sous le même nom. L’Orphisme, un courant religieux lié au mythe d’Orphée que l’on fait remonter au VIème siècle avant J.-C., le nommerait ainsi « Phanes », l’être primordial dont la naissance (spontanée, pouf) a initié le monde, mais aussi « Physis » ou « Thesis », soit respectivement « Nature » et « Création ».
Platon le mentionne également dans son Banquet, que vous avez peut-être lu, ou fait semblant de lire, pour les cours de philo : Éros y est, encore, le plus ancien des dieux, qui est venu au monde par lui-même.
Mais surtout, l’entité reste fidèle à elle-même sur un point : étant l’origine, l’amour et la procréation, Éros unit.
Cupidon : Petit dernier et grande métaphore de l’Amour
Oui, je sais : c’est beau. Mais c’est la Saint-Valentin, mes canards, et on a toujours eu un petit coeur tendre, même chez les Grecs. Et ça ne s’est pas arrangé par la suite, quand les nouvelles générations de poètes se sont emparées du mythe d’Éros, pour que celui-ci devienne le petit dieu qui virevolte toujours autour de la déesse Aphrodite.
Comment est-on arrivés du Dieu Primordial à l’origine de la Création du Monde (avec des majuscules s’il vous plaît) au benjamin du panthéon de l’Olympe, ce petit dieu de l’amour malicieux qui ne veut pas s’habiller le matin (oui, Cupidon) ?
Je l’avoue, je n’ai pas trouvé de meilleure transition que : l’Amour, les enfants. Et c’est un peu nul, alors je vous laisse à vos interprétations personnelles.
En attendant, cet Éros-ci est comme un petit minion (mais pas jaune), et il est le fils d’Aphrodite dans la plupart des récits mythologiques. Mais ce n’est pas très clair, parce que, par exemple, il est présent à la naissance d’Aphrodite (Vénus) dans un tableau très célèbre. Fantaisies d’artistes que tout cela.
La naissance de Vénus, de Bouguereau. Via.
Dans ce type de scène, il est accompagné notamment d’Himéros, son jumeau versant de manière totalement assumée dans la luxure : une sorte de jumeau maléfique qui se pose, comme Éros, à poil avec un arc et des flèches, et qui incite le désir sexoual dans le c… oeur des gens. Il serait un peu plus sombre, aussi, dans le sens où il représenterait l’amour non partagé, ou même l’absence d’amour dans le désir.
Mais Himéros est assez peu mentionné, et rejoindra avec les Romains le rang plein de plumes des Érotes, auxquels nous reviendrons plus tard.
Éros tout seul est dans un premier temps jeune, certes, mais pas forcément un petit gamin potelé. Il peut être un beau jeune homme, toujours accompagné de son arc et de ses flèches — car Éros allume la flamme cruelle de l’amour à la fois dans le coeur des hommes et des dieux… C’est probablement ainsi qu’il est devenu ce petit dieu malicieux, désobéissant, à l’origine de tant de problèmes dans les récits mythologiques, et qui n’a plus vraiment besoin de la part sombre de son jumeau Himéros.
Le petit dieu de l’amour ne parvient pas à être tout à fait dénué de sensualité dans ses représentations (surtout quand il pousse Zeus à aller copuler un peu partout). L’amour qu’il représente devient à nouveau, comme pour l’Éros cosmogonique, une force qui soumet même les dieux. Une force, une blessure à la fois douce et cruelle, et infligée souvent à l’aveuglette. Soupir.
Des Érotes à aujourd’hui (et Cupidon)
Après, j’ai l’impression que si l’idée générale est restée bien ancrée dans les moeurs, l’histoire d’Éros et notamment sa généalogie se sont pas mal compliquées — et lorsque les romains ont eu leur Cupidon, du latin Cupido (désir), à la fois son homologue romain et une entité à part, ça n’a rien arrangé.
Plus souvent décrit comme étant le fils d’Aphrodite (tout en assistant à sa naissance… bref), celle-ci aurait été aidée dans sa tâche de procréation par Arès, mais aussi, dans d’autres versions, par Hermès. Des esprits plus tordus en ont fait un fils un peu (bon, ok, très) incestueux entre Zeus et sa fille Aphrodite. J’ai cru voir passer des versions où sa mère, en fait, c’est Artémis. Enfin, bonjour le trouble identitaire, à la fin. Tu m’étonnes que l’amour soit aveugle.
La naissance de Cupidon, Master of Flora. Via
Certains poètes, enfin, ont apporté la touche finale à notre Cupidon actuel, en lui ôtant toute origine particulière ; l’amour n’a ni père ni mère, et Éros est devenu un petit dieu ailé de plus appartenant au cortège d’Aphrodite, les Érotes (« amour » et « désir »), pour compléter l’image de déesse de la beauté et de l’amour et tout et tout de celle-ci. Ces petits êtres insaisissables représentent l’amour spirituel mais surtout physique.
Ce sont les Érotes qui, étant devenus une figure récurrente dans l’art hellénistique, se sont transposés dans l’art et la mythologie romaine comme les petits Cupidons, ou petits amours. Entre-temps, la figure bien individuelle de Cupidon a enflammé l’imagination de bien des poètes mythographes, et il a eu le temps non seulement d’éprouver des coeurs, mais aussi d’éprouver le sien, comme dans l’histoire de Cupidon/Éros et Psyché, la belle mortelle qui deviendra son épouse immortelle… après en avoir particulièrement bavé. (Spoiler : elle meurt.)
Ah, l’amour.
Eh ben tu vois.
NB : Cet article étant forcément loin de contenir tout ce que l’on peut dire sur Éros/Cupidon, n’hésitez pas à apporter votre pierre à l’édifice dans les commentaires, avec une référence ou une anecdote mythologique ! Et les autres, n’hésitez pas à aller lire lesdits commentaires…
Les Commentaires
Si, si, vous avez raison toutes les deux, c'est probablement une des des versions les plus connues
Quant au tableau, non t'inquiète, il me fait flipper aussi ! De manière générale, j'ai eu beaucoup de mal pour ma recherche iconographique, parce que j'aimais pas trop comment Cupidon me regardait sur ses toiles (Tu remarqueras qu'au final il n'y en a aucune où il est tout seul...)