Chaque année, en France, 225 000 personnes déclarent subir des violences conjugales. Même lorsque celles-ci parviennent à s’extirper de la situation, la violence ne s’arrête pas toujours. Les parents ayant des enfants en commun sont contraints de continuer à communiquer sur des sujets de santé, de scolarité, ou d’organisation générale… Des échanges qui laissent libre cours au harcèlement et aux menaces.
Pourtant, s’il existe aujourd’hui des solutions d’accompagnement et d’accueil des victimes de violences conjugales, les communications post-séparation restent totalement oubliées des initiatives de soutien. Eva NGalle en a fait les frais. Pour que son expérience ne soit plus vécue par d’autres victimes de violences conjugales, elle a imaginé une messagerie sécurisée qui permet de mieux réguler les échanges post-séparation afin de « maintenir un dialogue constructif dans l’intérêt des enfants ». Explications.
Interview de Eva NGalle, créatrice de l’application TI3RS.
D’où vous est venu l’idée de TI3RS ?
C’est fondé sur mon expérience personnelle. Je suis maman, j’ai vécu avec un monsieur violent pendant huit ans et nous avons un enfant ensemble. Lorsque je me suis séparée, mon fils avait trois ans. Même après la séparation, la violence a continué, notamment par le biais de nos communications téléphoniques. Nous étions obligés de rester en contact, de se donner des nouvelles parce que nous avions un enfant en commun. On se transmettait des infos sur la santé, sur la scolarité, sur les vacances, sur « quel jour tu le récupères, à quelle heure ? ». C’était la place libre aux insultes, au harcèlement et aux messages de menaces. Suite à ces messages, monsieur a eu deux ans d’interdiction d’entrer en contact. Cela relevait du contrôle judiciaire, il n’avait plus le droit de me contacter, et, de fait, moi non plus, car cela va dans les deux sens.
Quelles solutions ont été mises en place pour les échanges concernant votre fils ?
Suite à l’interdiction de contact, monsieur devait trouver un tiers de confiance pour faire passer les informations sur notre fils. Il n’a jamais proposé qui que ce soit, donc je n’avais personne à qui transmettre les infos, et je n’avais surtout personne pour prendre des nouvelles de mon enfant.
Au début, je demandais à mon avocate d’envoyer des mails sur des sujets de scolarité, par exemple. Mais les avocats ne travaillent pas le week-end, et ils ont bien d’autres choses à gérer que de transférer les messages de leur client. Souvent, quand mon avocate le voyait, c’était trop tard.
Ensuite, j’ai demandé à mon père d’être le tiers de confiance. C’était très compliqué pour lui, comme pour moi. Il n’était pas formé aux violences conjugales, ne comprenait pas vraiment, essayait un peu d’arranger tout le monde, et, en même temps, s’en prenait plein la figure.
J’ai par ailleurs demandé à des associations qui s’occupaient du passage de bras (le fait d’organiser le transfert de résidence de l’enfant avec un médiateur pour que les deux parents ne se croisent pas, ndlr) si elles avaient une solution pour ces communications obligatoires, sans succès. Je me suis tournée vers des forums et des groupes Facebook dédiés aux violences conjugales, demandant si quelqu’un avait une solution pour communiquer sans se faire harceler ou menacer. Toutes les personnes qui m’ont répondu étaient comme moi et bidouillaient une solution de fortune.
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Comment procédiez-vous ?
Pour ma part, j’avais installé un logiciel qui enregistrait tous mes appels au cas où il y aurait des insultes pour pouvoir aller porter plainte. Cela prenait beaucoup de place dans mon téléphone, je faisais un gros travail de tri a postériori pour supprimer ce qui n’était pas de lui, et je prenais des captures d’écran de tous nos messages. C’est ce que l’on fait toutes pour garder des preuves. J’imprimais en pdf tous nos mails. J’avais un dossier, avec un tableau où j’écrivais « tel jour, à telle heure, il m’a dit ça ». C’était horrible.
Certaines personnes m’ont dit que, quand elles sont allées porter plainte, on leur a demandé trois ans d’échanges. Imaginez faire 3 ans de captures d’écran d’insultes et de menaces, ce n’est pas possible. Je me suis dit qu’il devait y avoir un moyen digital de fluidifier tout cela.
C’est à cela que sert TI3RS ?
En effet, l’appli devient le tiers de confiance, qui s’occupe de transférer les messages d’un parent à l’autre, en filtrant les insultes, les menaces et en limitant le harcèlement avec la possibilité de choisir quand on souhaite recevoir les sms. Soit à un moment où l’on est seul, soit lorsqu’on est accompagné•e… À moi de voir quand et comment j’ai envie d’être joint•e. Et l’application donne surtout la possibilité de pouvoir télécharger les échanges pour aller porter plainte, passer devant le juge aux affaires familiales pour la garde…
L’idée est de libérer les personnes de cette charge mentale. TI3RS crée un numéro fictif par la même occasion, pour protéger la vie privée des deux parents, et apporter plus de sérénité dans les échanges. Car, aujourd’hui, on voit de nombreuses personnes acheter une deuxième carte SIM, dédiée uniquement à ces communications. Enfin, il n’est pas nécessaire que les deux parents acceptent de télécharger l’application pour pouvoir l’utiliser. La personne qui n’aura pas TI3RS recevra les messages comme de simples SMS.
Pour soutenir le projet :
- Le lien de la cagnotte
- Le lien pour s’inscrire à la phase de test de l’appli
- Le site de TI3RS pour en savoir plus
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :
- Le 3919 et le site gouvernemental Arrêtons les violences
- Notre article pratique Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?
- L’association En avant toute(s) et son tchat d’aide disponible sur Comment on s’aime ?
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