En un an, on n’a jamais autant abordé dans les médias les difficultés et les violences subies par les victimes de violences sexuelles ou conjugales lorsqu’elles souhaitent porter plainte.
C’est le mouvement #DoublePeine, qui en septembre 2021, mettait en lumière les défaillances du commissariat central de Montpellier dans son recueil des plaintes pour violences sexuelles.
Ce sont les résultats peu reluisants de l’enquête du centre Hubertine Auclert sur l’accueil dans plusieurs commissariats de Paris et de la petite couronne, montrant des victimes peu prises au sérieux, des questions intrusives et humiliantes, des dépôts de plaintes refusés… des résultats enterrés par la préfecture de police.
C’est le « sale pute » d’une violence inouïe, proféré par un agent qui croyait avoir correctement raccroché sur le répondeur d’une plaignante pour agression sexuelle, une affaire révélée par Mediapart. Un mois plus tard, sa plainte pour injure était classée sans suite.
Peut-on espérer un changement avec le lancement d’une plateforme en ligne pour faciliter le dépôt de plainte ? C’est le projet de Dépose ta plainte qui aujourd’hui vise à « offrir une alternative à la plainte classique en commissariat ». Une initiative portée par des justiciables, et soutenue par un comité éthique composé de professionnels du droit, d’acteurs du monde associatif et de la société civile, dont les associations Stop Fisha et Stop homophobie.
Déposer plainte sans avoir à se déplacer au commissariat
Une alternative, donc, et non une volonté de se substituer au procédé déjà existant. Dépose ta plainte répond « à un besoin réel », précise Aïcha, en charge des affaires publiques de la plateforme, « celui des victimes qui n’osent pas se déplacer en commissariat » :
« Pour les victimes, les barrières à l’exercice de leurs droits sont nombreuses. Barrières juridiques d’abord, car les victimes n’ont pas toujours connaissance de leurs droits, des différentes possibilités qu’elles ont pour les mobiliser et de l’interdiction des refus de plainte, barrières psychologiques ensuite, parce que cette procédure peut s’avérer éprouvante pour les victimes les plus vulnérables, et enfin barrières physiques car il faut se rendre au commissariat de police le plus proche et trouver le temps pour accomplir cette démarche. »
Et concrètement, ça donne quoi ? Aïcha nous explique ce que Dépose ta plainte va permettre aux victimes :
« Au cours d’une plainte traditionnelle, le justiciable dépose plainte au commissariat le plus proche et sa plainte est ensuite transférée au procureur compétent.
Notre plateforme, en s’appuyant sur l’article 40 du Code de procédure pénale, permet au justiciable d’envoyer une plainte au procureur de la République compétent.
C’est une démarche que le justiciable peut réaliser lui-même, mais qu’on facilite grâce au formulaire de qualification des faits, la possibilité de réaliser un constat en ligne pour toutes les infractions relatives à la haine en ligne, et l’envoi de la plainte générée directement au procureur compétent.
Quant à l’issue de la plainte, elle est la même quelle que soit la démarche : soit le procureur décide de ne pas poursuivre les faits dénoncés, soit il mène l’enquête puis saisit le tribunal. La réponse est envoyée par voie physique au justiciable dans un délai de trois mois. »
Concrètement donc, la plateforme n’invente pas une nouvelle procédure et ne garantit pas non plus l’issue favorable pour la plaignante. Elle permet simplement de sauter une étape et aux victimes de s’adresser directement à la justice via une procédure en ligne simple et balisée. Le service proposé est payant, à hauteur de 20 euros, permettant ainsi de couvrir les coûts d’impression et d’envoi des plaintes, comme l’explique la plateforme dans sa FAQ.
Un outil pour pallier le manque de moyens de la justice
Ce sont donc les justiciables elles-mêmes qui se retrouvent à créer d’autres moyens pour pallier l’inertie et le manque de volonté d’améliorer l’accueil et la prise en charge des victimes.
« L’existence de ce chemin de traverse s’explique par la lenteur des pouvoirs publics à développer des outils satisfaisants et par le manque criant de moyens pour la justice », constate en effet Aïcha.
En décembre 2021, les magistrats de la Cour de cassation votaient une motion dénonçant « une justice exsangue qui n’est plus en mesure d’exercer pleinement sa mission dans l’intérêt du justiciable ». Des mots qui traduisent un ras-le-bol général aussi du côté de la justice.
Pourtant, il n’est pas impossible d’améliorer l’accès à la justice pour certaines infractions : mi-mars, le gouvernement a lancé la plateforme Thésée, qui permet de porter plainte dans les cas d’arnaques en ligne.
L’idée de Dépose ta plainte n’est pas de faire un service perenne mais que l’État soit à la hauteur de l’enjeu face aux victimes : « Dès qu’une vraie solution de plainte en ligne sera mise en place, nous arrêterons nos services », affirme l’organisation de Dépose ta plainte. Il en faudra sûrement davantage pour changer en profondeur l’accueil et le suivi des affaires des violences sexistes et sexuelles. Mais ce premier pas pourrait permettre à certaines de se faire entendre quand elles en émettent le souhait et en ont le courage.
En 2021, 75 800 plaintes ont été déposées pour des faits de violences sexuelles selon le ministère de l’Intérieur.
À lire aussi : « Porte plainte » : OK, et après ? La solitude des victimes de viol une fois sorties du commissariat
Crédit photo : Anna Shvets via Pexels
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :
- Le 3919 et le site gouvernemental Arrêtons les violences
- Notre article pratique Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?
- L’association En avant toute(s) et son tchat d’aide disponible sur Comment on s’aime ?
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