On dit d’eux qu’ils sont les conteurs de l’électro. Charlotte Adigéry et Bolis Pupul, duo gantois, se sont fait connaître avec leur EP Zandoli en 2019. Depuis, ils enchaînent les projets, comme leur premier album Topical Dancer, sorti en 2022, où les artistes parlent racisme, appropriation culturelle ou encore harcèlement sur des prods ultra-dansantes, dans un décalage toujours juste. « C’est parce qu’on est bavards dans le studio qu’on est bavards dans la musique ! » plaisantent-ils. Car pour produire ce son electropop, aussi éclectique qu’authentique, ils ont quelques petits rituels bien rodés : un thé d’abord, une promenade proche du studio, « et puis se parler pendant 1 h ou 2 h ou 3 h… » abondent-ils.
Et, lorsqu’ils ne sont pas en train de composer, ils célèbrent cette « amitié qui [les] inspire » sur scène. Madmoizelle est allée à la rencontre de ce duo complice.
Interview de Charlotte Adigéry et Bolis Pupul, musiciens derrière l’album « Topical Dancer ».
Madmoizelle. Votre musique est remplie d’ironie, de doubles sens et d’auto-dérision. Quel rôle occupe l’humour dans votre travail ?
Charlotte Adigéry. Nous nous sommes rencontrés grâce à Stephen et David Dewaele, les fondateurs de notre label Deewee. Ils nous ont proposé de collaborer parce qu’ils avaient l’intuition que nos sens de l’humour colleraient bien. Ils avaient raison ! L’humour est une manière pour nous d’aborder des sujets lourds, sans accuser ni pointer du doigt, en posant des questions… On veut garder la conversation ouverte. C’est aussi un vecteur qui permet de condamner certaines choses. Mary Poppins chante « A Spoonful of sugar helps the medicine go down » (Une cuillerée de sucre aide à faire passer la pilule, en français, NDLR). On se retrouve bien dans ces mots… On trouve qu’aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, toutes les conversations sont vite très polarisées. Le but, c’est d’avoir raison sans jamais se remettre en questions, avec beaucoup trop de sérieux. Nous, au contraire, on trouve que le sérieux peut être dangereux ! C’est là que l’humour devient vital.
Votre musique aborde des thèmes très variés, comme le harcèlement ou le sexisme. Comment choisissez-vous les sujets que vous traitez ?
Bolis Pupul. Il n’y a pas vraiment de formule magique. C’est comme dans notre travail de composition : parfois, c’est Charlotte qui commence un morceau, d’autre fois c’est moi… On en joue beaucoup. Ça donne de l’énergie et de la fraîcheur à nos projets. Les thèmes que nous abordons émergent de nos conversations. Ce n’est pas quelque chose que nous faisons consciemment. On est très bavards, on se raconte notre vie dans le studio, et après avoir discuté 2-3 heures, on se dit « Ah ! Et si on en faisait une chanson ? »
Dans des titres comme « Blenda » ou « Esperanto », vous abordez la question des origines. Pourquoi cela vous tient-il à coeur ?
Charlotte. Quand on vit en Europe de l’Ouest, et qu’on n’est pas blanc, on est confronté à cette différence tout le long de sa vie hélas. Pour nous, la musique permet de créer un endroit où tous ces aspects, ces identités ont le droit d’exister, ne sont pas bizarres, ou inférieures, ou difficiles à combiner. Boris est Belge et Chinois. Je suis martiniquaise et guadeloupéenne. Où que l’on soit, ici ou à Hong Kong pour Boris par exemple, on nous demande d’où on vient. Dans « Blenda », il y a cette phrase qui dit « I am here because you were there ». Je parle bien sûr du colonialisme et du néo-colonialisme dont je vois encore les dégâts actuellement à la Martinique. Je suis vraiment contente d’avoir écrit ce morceau et malheureusement, j’ai le sentiment que ce ne sera pas le dernier titre que j’écrirai sur ce sujet. J’ai encore plein de choses à raconter sur ce point-là. Il faut que je cherche à avoir encore le bon ton et que je m’informe très bien avant de sortir les armes !
Votre premier album, sorti l’année dernière, s’appelle Topical Dancer. Pourquoi ce nom ?
Charlotte. Topical veut dire « à sujet » ou « thématique » en français. Mais c’est aussi un jeu de mot avec « Tropical dancer ». À la sortie de l’album, les journalistes nous disaient « Topical dancer » c’est la danse qui pense. On est assez d’accord avec ça. Ce nom évoque aussi bien la danse que la conversation, c’est un équilibre entre le côté cérébral et le côté intuitif, corporel. On adore danser, on adore faire danser, mais on a aussi envie de parler de certains sujets, d’inviter à la prise de conscience, de sensibiliser.
Votre musique est ultra-dansante. Quel est votre rapport à la scène ?
Bolis. C’est très important pour nous que les gens s’amusent. C’est toujours un compliment, quand tu vois les gens danser. C’est peut-être pour cela aussi qu’on fait de la musique dansante. Et quand tu joues en live, c’est un jeu, une performance. Tu entres dans un personnage, tu choisis tes vêtements, tu as une mise en scène. Je ne me souviens pas d’un seul concert que l’on n’ait pas fait à fond. À chaque fois, quelles que soient les circonstances, si le public est nombreux ou pas, s’il est réceptif ou mutique… On aime être sur scène, on aime ce qu’on fait, et c’est ce qui nous donne de la force !
Charlotte. C’est vrai. Même quand je suis en studio, je pense déjà à la scène. Le plus dommage, je trouve, c’est de voir un artiste qui n’a pas envie d’être là. Nous, on a vraiment besoin de ça, de cette connexion avec les gens, de voir comment ils réagissent. J’adore danser et je m’oublie complètement quand je suis sur scène. C’est une forme de méditation très puissante.
Comment faites-vous, en tant que duo, pour rester sur un pied d’égalité, notamment dans l’incarnation de votre collaboration ?
Bolis. Quand on a commencé, c’était sous le nom de Charlotte uniquement. J’avais d’autres projets à côté, je faisais ma propre musique. On a commencé à se produire en live, à tout faire ensemble. Et on a eu le sentiment qu’utiliser un seul nom d’artiste n’était plus assez représentatif de notre travail. Pour la sortie de l’album, on a choisi d’apposer nos deux noms. Cela nous semble plus juste, même si le combo final n’est pas facile à dicter quand on prend un Uber et que le chauffeur nous demande notre nom sur Spotify ! [rires]
Charlotte. On veille aussi à ce que sur nos photos, Bolis n’ait pas l’air d’être mon producteur et moi sa chanteuse ! Et on se sent suffisamment à l’aise pour en parler avec l’autre si on sent qu’un déséquilibre s’installe.
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
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