Live now
Live now
Masquer
racisme-ordinaire-temoignage
Société

« Tu viens d’où ? », le racisme ordinaire de la primaire à Tinder

Sur Tinder ou en soirée, beaucoup de gens aiment demander à Kalindi d’où elle vient. Une phrase a priori anodine témoignant pourtant d’un racisme ordinaire qui l’épuise.

L’année de mes quinze ans, j’ai passé un été dans le Perche, chez une tante dont la maison recueille mes souvenirs depuis gamine.

Tout autre adulte étant absent cet été-là, ma tante et son mari m’ont emmenée un soir à un cocktail, chez des amis plutôt chic qui avaient, je m’en rappelle très bien, une certaine agilité dans le lever de coude.

Un racisme ordinaire enduré depuis petite

Je passai un agréable moment, car j’aimais la présence d’adultes et les ambiances alcoolisées. Ma tante me présenta à ses amis, des Parisiens qui passaient leurs week-ends dans le Perche.

L’un d’entre eux s’approcha de moi, me pinça doucement la joue, en ajoutant :

« Qu’elle est jolie, cette petite Afghane ! »

Je n’oublierai jamais cette réflexion, qui en plus de se gourer lourdement sur mes origines, avait quelque chose de dérangeant, sans que je ne sache vraiment mettre de mots dessus. 

Très vite, je compris que le problème résidait dans le fait de me réduire à ma particularité physique (ma couleur de peau et mes traits) au lieu de me considérer simplement comme un être humain.

J’étais une jeune fille « pas d’ici », et même si le ton de ce monsieur s’apparentait plus à de la fascination pour moi qu’à de la répulsion, il me traitait différemment en raison de ma couleur de peau et de mes traits.

En quelques mots, il était parvenu à me faire sentir comme une bête curieuse, un singe savant.

Un peu étonnant en 2008, mais bon.

Réduire une personne à ses particularités physiques et ethniques

Petite déjà, j’avais constaté, ayant fréquenté une école composée à 98 % d’élèves blancs, que mes origines suscitaient beaucoup d’intérêt auprès des autres enfants, surtout des garçons.

L’un d’entre eux, notamment, m’apostrophait régulièrement d’un : « Eh la Chinoise ».

Non seulement lui aussi se gourait lourdement sur mes origines, mais en plus il prononçait cette phrase avec l’intonation d’ordinaire réservée aux insultes.

Ce qui l’avait encouragé à choisir la Chine ? Mes yeux étirés, qu’à l’époque mes camarades qualifiaient de bridés.

Je me souviens, pour le coup, avoir expliqué à ce petit garçon que je n’étais pas Chinoise du tout, mais que mon papa venait de l’Île Maurice, un joli pays de l’Océan Indien où les serins faisaient leurs nids.

Une clarification dont le gamin n’eut strictement rien à secouer puisqu’il m’appela « La Chinoise » tout le reste du CP, avec un mépris étonnant pour un si petit enfant.

Dans un article paru en 2020, je décryptais en détails comment ce type de phrases a fait naître chez moi un complexe très tenace sur ma couleur de peau et mon physique de manière générale.

Ni noire, ni blanche, j’ai passé un gros morceau de ma vie à pâtir d’origines que les gens ne parviennent pas à identifier, qui suscitent un intérêt permanent et fatiguant.

Ma couleur de peau, couplée à mes traits et mon nom, sont sujets à toutes les interrogations.

Et si on me traitait juste comme une personne, non comme une métisse à grand nez au nom de plante vénéneuse ?

Le racisme ordinaire en soirée

En 2014, j’étais à une soirée étudiante, dans un bar merdique qui passait du Pitbull à en saturer les enceintes, quand je rencontrais la première personne qui me fit sortir de mes gonds.

Loin d’être amusée par l’ambiance très masculine du pub dont tous les écrans diffusaient des vieux matchs de foot, j’allai griller une clope au fumoir avec deux copines.

Un mec fonça sur moi, me toisa dans un mélange de désir et de mépris avant de me demander le plus naturellement du monde :

« T’es d’où, toi ? »

Je lui répondis sur un air exaspéré que j’étais Française, et née dans le 15e arrondissement de Paris.

« Non, mais c’est pas ce que je veux dire. C’est quoi tes origines ? »

Avant même que je puisse lui signifier que l’endroit où étaient nés mes parents ne le concernait pas, vu qu’on n’avait pas élevé les cochons ensemble et qu’il n’avait même pas pris le temps de me saluer, il continua :

« Attends, vas-y je devine ! T’es Espagnole ? Ah non attends, Égyptienne ? Ou peut-être Libanaise ? »

Mais… What ??

Désormais mes origines, à savoir mon histoire personnelle, celle de mes parents, de leur rencontre, de leurs potentielles difficultés dues à des pays de résidences éloignés, leur intégration : tout cela n’était devenu qu’un simple jeu pour un type que je connaissais ni d’Ève ni d’Adam.

Depuis, ce phénomène s’est reproduit une bonne vingtaine de fois. Au moins.

La frontière floue entre curiosité et agression

Alors je sais. JE SAIS que l’intention derrière cette question n’est pas malveillante.

Je sais qu’elle est parfois même positive, et révèle l’envie de mon interlocuteur de s’intéresser à moi.

Mais, ce que ces personnes ne comprennent pas, et c’est normal car très peu d’éducation est faite à l’école sur la mixité, c’est que réduire une personne à ses particularités physiques et à sa couleur de peau n’est ni plus ni moins que du racisme ordinaire.

D’après Jérôme Jamin, professeur de science politique à l’Université de Liège, ce racisme ordinaire est la conclusion de préjugés. 

Il explique :

« Le préjugé est d’abord un jugement, une conviction produite par un individu ou un groupe avant même de disposer de la connaissance nécessaire pour se faire une opinion ou une idée en la matière.

Face à une menace, à une situation que l’on ne contrôle pas ou que l’on ne comprend pas, le préjugé peut mobiliser du racisme ordinaire, c’est-à-dire une association plus ou moins inconsciente d’éléments négatifs avec la couleur de peau, l’origine ou la culture d’un groupe d’individus. »

Je trouve que le terme de « micro-agressions » racistes définit très bien ce que je ressens lorsqu’on me demande d’où je viens avant même de me dire bonjour.

Le « tu viens d’où ? » est lassant même lorsqu’il n’est pas méchant

Je le redis : je sais que ces interrogations sont rarement malveillantes.

Souvent, un « tu viens d’où » est prononcé avec une curiosité joviale, qui démontre la bienveillance totale de l’interlocuteur ou de l’interlocutrice (plus rarement dans mon cas).

Alors, je ne m’énerve quasiment jamais, j’essaie de faire, du mieux que je peux, de la pédagogie en expliquant pourquoi il est selon moi déplacé de poser cette question à une personne que l’on ne connaît pas.

Je me heurte souvent à de l’incompréhension, mon interlocuteur étant persuadé que sa démarche ne témoigne que de l’intérêt pour ma « différence », comme je l’ai expliqué plus haut.

Parfois, heureusement, j’ai un partenaire de discussion qui ne demande qu’à être davantage éveillé, et nous entamons alors ensemble des discussions passionnantes !

Tinder et le racisme ordinaire

Le lieu où j’ai sans aucun doute le plus de réflexions sur mes origines demeure Tinder.

En effet, jouer au grand jeu des origines semble être la carte préférée des hommes qui m’abordent, en se pensant originaux.

Et honnêtement, je n’ai pas le temps de faire de la pédagogie sur Tinder !

Je supprime donc tout mec qui commence par un : « Eh c’est quoi tes origines ? » et dresse ensuite la liste des pays d’où je pourrais venir.

Heureusement, j’aurai désormais deux articles à envoyer à tous ces hommes qui pensent flatteur de m’attribuer des origines imaginaires, avant de les rayer complètement et définitivement de l’application.

Qui sait, peut-être que ça les fera réfléchir ?

Témoignez sur Madmoizelle

Pour témoigner sur Madmoizelle, écrivez-nous à :
[email protected]
On a hâte de vous lire !


Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos podcasts. Toutes nos séries, à écouter d’urgence ici.

Les Commentaires

112
Avatar de Nastja
5 juin 2020 à 22h06
Nastja
Quelqu'un a Big Uppé un de mes posts donc je suis retombée sur ce sujet.

Juste le weekend dernier quelqu'un essayait de deviner mes origines. C'est tombé comme un cheveu sur la soupe. En plein milieu de la conversation du style "ah au fait !"

Quand je vous dis que ça m'arrive sans arrêt...
2
Voir les 112 commentaires

Plus de contenus Société

Copie de [Image de une] Horizontale – 2024-12-12T103045.066
Daronne

« Mon mari a donné un bout de son foie à notre fille de 9 mois »

Copie de [Image de une] Horizontale – 2024-12-10T145633.472
Société

« Crèche, messe de minuit : je ne suis pratiquante qu’à Noël »

Copie de [Image de une] Horizontale – 2024-11-25T111624.319
Santé

« Et si mon corps était en perpétuelle réaction inflammatoire ? » : Charlie, 29 ans, raconte ses années d’errance face aux effets secondaires des contraceptions féminines

20
Copie de [Image de une] Horizontale – 2024-11-28T150710.132
Beauté

Elle avait dévoilé son crâne pendant le concours Miss Grand, Safiétou Kabengele nous raconte les coulisses de son parcours de miss

Copie de [Image de une] Horizontale – 2024-11-20T111708.991
Lifestyle

« L’alcool est une condition sociale et on peut rapidement être mis de côté si on ne la remplit plus » : Elena, 36 ans, raconte comment elle a arrêté de boire

Source : Getty Image / MARIA DUBOVA
Féminisme

Ève, 42 ans : « Quand il m’a demandé où était le nettoyant après six mois de vie commune, j’ai pleuré »

5
Copie de [Image de une] Horizontale – 2024-11-15T163147.788
Livres

Samah Karaki : « C’est la culture sexiste qu’il faut questionner, pas la présence ou l’absence de l’empathie »

Copie de [Image de une] Horizontale – 2024-11-13T154058.525
Santé

« Ah, on dirait que t’as le cancer » : Laure raconte comment l’alopécie affecte son quotidien

6
[Image de une] Horizontale (24)
Culture

3 raisons de découvrir Agatha, le nouveau thriller psychologique à lire de toute urgence

Copie de [Image de une] Horizontale – 2024-10-30T170053.120
Santé

« On n’en parle pas assez, mais être malade prend du temps ! » : Solène raconte son quotidien avec une maladie chronique invisible

1

La société s'écrit au féminin