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Féminisme

Le jour où l’un de mes élèves de maternelle a agressé sexuellement sa camarade

Agathe a dû gérer une agression sexuelle dans sa classe de maternelle. Entre culture du viol et protection infantile, elle livre son témoignage, éclairé par des expertes interviewées par Esther.

Mise à jour du 30 juillet 2017 — Suite aux (trop) nombreux commentaires et messages reçus, qui font part d’expériences vécues similaires à celle décrite dans cet article, nous avons lancé un appel à témoins sur ce thème. Si la lecture de ce témoignage fait remonter des souvenirs, vous pouvez nous envoyer votre histoire.

Publié le 23 juillet 2017 — En juin, nous avons reçu un témoignage qui faisait état d’une histoire bien plus commune que ce que l’on peut imaginer.

Agathe*, institutrice en toute petite et petite section de maternelle, nous racontait avoir dû faire face à une agression sexuelle entre deux élèves de sa classe, âgé•es de 3-4 ans.

Il s’agit d’un sujet extrêmement délicat, qui concerne d’autres personnes que celle qui témoigne directement.

J’ai donc contacté différentes spécialistes pour m’aider à analyser la situation, et à donner des clés pour gérer ce genre de cas.

Pédopsychiatre, militantes associatives très sensibilisées au sujet, spécialiste de la mémoire traumatique : toutes m’ont répondu avec l’expertise qui est la leur.

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Agathe, une institutrice formée aux problématiques féministes

Agathe démarre son témoignage en expliquant qu’elle travaillait auparavant dans le domaine des droits reproductifs et sexuels, de l’éducation à la sexualité et que par conséquent, elle est très sensibilisée à toutes les problématiques liées aux violences sexuelles.

« L’autre jour, dans la cour de récré, la petite Elodie*, le visage traversé de trois belles traces de griffures, accourt vers moi et me dit :

« Madaaaaame, Thomas* il a mis son doigt dans le trou de mes fesses ! »

J’étais occupée avec d’autres enfants, je n’avais rien vu.

Mon passé associatif et les différentes formations que j’ai suivies pour savoir réagir en cas de violences sexistes et sexuelles m’ont permis de mettre immédiatement le mot « viol » sur cette agression. »

Mettre son doigt dans les fesses d’une petite fille, c’est un viol ?

Sur ce point, juridiquement, un viol est effectivement défini comme « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise. »

Or, c’est bien de cette manière là qu’Elodie a décrit les faits à son institutrice :

« J’ai demandé à la petite fille de m’expliquer précisément ce qu’il s’était passé :

« Il m’a griffée, il a retiré mon pantalon, et il a mis son doigt dans le trou de mes fesses. »

On fait difficilement plus clair. Elodie est une petite fille très dégourdie. Elle a de la personnalité, sait se faire entendre, elle a beaucoup de vocabulaire, construit des phrases complexes et exprime ses idées, elle ne m’a jamais menti.

J’ai demandé au petit Thomas ce qu’il s’était passé, il m’a raconté la même chose. »

Parmi les spécialistes que j’ai interviewées à ce sujet, il fait peu de doute que l’agression commise sur Elodie correspond à cette définition juridique du viol. Cependant, il s’agit d’une agression commise par un enfant de 3-4 ans.

Christine Barois, pédopsychiatre, m’explique :

« Il ne faut pas le banaliser, bien sûr, mais je pense que la connotation sexuelle n’y est pas pour un petit garçon de cet âge. »

Son avis est partagé par Emmanuelle Piet, Présidente du Collectif Féministe contre le Viol qui travaille également au service de la Protection Maternelle et Infantile :

« À trois ans, l’intentionnalité est difficile à définir. On ne considère pas avant 12 ans, l’âge où on peut être envoyé en prison ou centre éducatif fermé, qu’il y a une intention. À trois ans, on cherche à protéger. »

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Commettre une agression sexuelle, un viol à 3 ans, comment est-ce possible ?

Ce qui interpelle le plus mes interlocutrices, et ce qui m’a interpellée moi aussi à la lecture de ce témoignage, est ce qui a pu pousser un si jeune petit garçon à réagir comme cela.

Dans son témoignage, Agathe rapporte les explications de Thomas :

« Lorsque je lui ai demandé pourquoi il avait fait ça, il s’est mis à pleurer à chaudes larmes :

« Elle voulait pas jouer avec moi ! »

Thomas est un petit garçon adorable, toujours souriant, il n’avait jamais été violent. Très joueur, il a aussi du mal à gérer la frustration, il se chamaille souvent avec ses camarades pour partager les jouets. »

Il semble donc s’agir d’une intention de punir, et non pas d’un jeu de « touche-pipi » comme les enfants expérimentent parfois à cet âge. Alicia*, qui travaille au Planning Familial, s’interroge :

« Je pense qu’il n’y avait pas une volonté sexuelle dans l’acte, il faut voir comment un enfant en arrive à cet acte pour la punir, comment il en arrive à penser que c’est une punition qui serait normale.

Ça pose question et c’est inquiétant autant pour l’enfant qui a agressé, que pour l’enfant qui est victime. »

Emmanuelle Piet considère qu’il peut y avoir des antécédents de violences sexuelles, et en effet toutes mes interlocutrices concordent sur ce sujet :

« Il faut réfléchir sur pourquoi il est agresseur. Encore une fois, à 3 ans, s’il y a intentionnalité de punir c’est qu’il l’a vu à la maison, ou ailleurs, des copains lui ont peut-être déjà fait. »

Comment prendre en charge et signaler une agression de ce type ?

À ce stade, se pose donc la question de la prise en charge, du signalement. Agathe, dans cette posture, a voulu de suite en parler avec le directeur de l’école :

« Je suis allée immédiatement prévenir ma collègue de maternelle de l’agression pour qu’elle me remplace en surveillance de récréation, et je suis allée m’entretenir avec le directeur de l’école.

Je ne suis pas encore familière des procédures de l’Éducation nationale concernant les agressions sexuelles, mais je ne m’attendais pas à ça : le directeur a ri. »

Y compris en revenant sur le sujet plus tard, Agathe s’est heurtée à la légèreté de ses collègues :

« Pour lui, je m’agitais beaucoup pour pas grand chose :

« – Tu sais, ça arrive tout le temps en maternelle, faut pas t’en faire, moi je m’inquiète vraiment pas ! » »

Pourtant, en la matière, les différentes spécialistes interrogées s’accordent : une prise en charge est nécessaire pour les deux enfants.

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Mémoire traumatique et assistance sociale

Laure Salmona, coordinatrice de l’enquête « 

Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte » commandée par l’association Mémoire Traumatique, insiste :

« Il faudrait que la petite fille soit prise en charge par un•e pedopsychiatre, et l’agresseur aussi.

On sait que c’est fréquent car un quart des violences sexuelles perpétrées sur des mineurs l’ont été par des mineurs. En général, les agresseurs sont souvent eux-mêmes victimes. »

C’est pourquoi toutes recommandent de s’adresser à une assistante sociale pour Thomas, et à une psychiatre pour Elodie, en commençant éventuellement par un•e psychologue ou infirmièr•e scolaire. Laura Salmona poursuit :

« La spécificité de la mémoire traumatique, c’est qu’il y a ce qu’on appelle une effraction psychique. Ça va créer un état de stress extrême qui va faire monter entre autres les niveaux de cortisol.

Ça va faire disjoncter le cerveau, c’est une dissociation péritraumatique : comme un système de sauvegarde mais qui du coup va empêcher la personne de traiter l’événement dans la mémoire autobiographique, à la place ça reste bloqué dans la mémoire traumatique qui si elle n’est pas intégrée, peut ressurgir n’importe quand.

Donc en fait la petit fille a sans doute une mémoire traumatique et si on ne peut pas mettre de mots dessus, si on ne l’aide pas à en faire une mémoire autobiographique ça risque de ressurgir plus tard sous forme de flashback.

Même chez les nourrissons ça peut s’imprimer : plus tard ils ont « oublié », il ne savent pas qu’ils ont été agressés, mais ils ont toutes les caractéristiques d’une personne traumatisée. »

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Qu’encourt-on si l’on ne signale pas une agression ?

Ce qui avait poussé Agathe à nous envoyer son témoignage, c’était avant tout son désoeuvrement devant les réactions des collègues, voire des parents des enfants.

Outre le directeur minimisant les faits, une autre enseignante s’est adressée directement à Elodie :

« Sa première réaction a été de prendre un ton et un regard méchant, et d’appeler Elodie pour la disputer :

« – Mais enfin ! Et pourquoi elle s’est laissée faire celle-là ! Elodie, viens ici ! Pourquoi tu as laissé Thomas te faire ça ? – Je me suis pas laissée faire madame ! – Pourquoi tu l’as laissé enlever ton pantalon ? On montre pas ses fesses à tout le monde ! » »

L’article L434-3 du Code pénal pourrait permettre de poursuivre les enseignant•es, car ne pas signaler des abus subis par une personne vulnérable (par excellence : un•e mineur•e) est passible de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Cependant, le contexte particulier de cette agression conduit Emmanuelle Piet à relativiser cette possibilité :

« Je pense que ce serait seulement donner l’impression aux gens qu’ils n’ont plus le droit d’agir comme bon leur semble que de les sanctionner pour ne pas avoir signalé cet acte. De toutes façons une affaire comme celle-ci sera classée en raison de l’âge du petit garçon.

Ça n’empêche pas qu’il faille sensibiliser au consentement dès le plus jeune âge. »

La prévention : clé de désamorçage des agressions sexuelles

En effet, après la réaction des enseignant•es, c’est celle des parents qui a étonné Agathe et qui prouve qu’il y a encore du travail en termes de sensibilisation.

Agathe s’est sentie obligée de remettre les choses dans leurs contexte lorsque la mère d’Elodie lui a tenu le même discours culpabilisant que sa collègue :

« J’ai recadré la conversation immédiatement en rappelant qu’elle n’avait rien fait de mal, qu’elle était victime et qu’elle avait très bien réagi. »

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Quant au Papa de Thomas, « il était horrifié, très gêné, il ne comprenait pas » selon Agathe.

« Il m’a demandé si nous en avions discuté avec son fils. J’ai dû lui expliquer que j’avais seulement pu revenir rapidement avec lui sur les faits.

Mais lui non plus ne souhaitait pas lui en reparler :

« Ça risque de faire beaucoup et de le traumatiser, non ? »

Je lui ai expliqué que Thomas était au courant que je prévenais ses parents et qu’il s’attendait à ce qu’on lui en reparle. Je croise les doigts pour qu’il l’ait fait, sans conviction. »

Pourtant, c’est cette discussion qu’il est essentiel d’avoir avec les enfants, dès le plus jeune âge. Là encore, tous les avis convergent.

Emmanuelle Piet rappelle que depuis 1987/1989, on est censé sensibiliser les enfants dès la maternelle aux agressions sexuelles en leur apprenant à reconnaître et rapporter ces faits :

« On utilise leur vocabulaire pour expliquer que si on ne veut pas se faire toucher « les nichons » ou « le zizi » il faut le dire, qu’il faut le rapporter si ça arrive. Malheureusement c’est encore très peu fait. »

Aujourd’hui, comme indiqué sur le site d’Eduscol, « L’article L.312-17-1 du code de l’éducation prévoit qu’une « information consacrée à l’égalité entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences commises au sein du couple » est dispensée à tous les stades de la scolarité ».

À lire aussi : Au Royaume-Uni, l’éducation sexuelle va devenir obligatoire dès 4 ans !

Une solution : parler aux enfants de consentement

De son côté, Agathe, face à l’absence de réaction de ses collègues a fait de son mieux avec les moyens du bord :

« Après avoir tenté de joindre le numéro vert d’aide aux victimes de viol, sans succès, j’ai contacté mon ancienne collègue ayant suivi de nombreux enseignements quant à l’aide aux victimes de viol.

Elle m’a expliqué que le protocole dans ce genre de situation, c’est de faire un signalement, mais que les écoles ne le font que très rarement car cela leur donne « mauvaise presse ».

Elle m’a aussi dit à ce moment-là qu’un signalement n’a pas forcément de répercussions judiciaires. ».

En effet, c’est aussi pour proposer à l’agresseur et à la victime de rencontrer le psychologue scolaire comme nous l’évoquions plus tôt.

« Bien entendu, le directeur m’a ri au nez lorsque je lui ai soumis l’idée. Je me suis donc débrouillée toute seule. J’ai re-discuté avec les enfants de la notion de consentement.

Chaque élève a parlé de ses limites, des moments où ces limites n’avaient pas été respectées, de l’intimité, de comment réagir quand ce genre de chose se produit et de l’importance de s’écouter les uns les autres, savoir dire et savoir entendre.

Je leur ai appris un petit nombre de phrases essentielles :

« Ton corps t’appartient ! »

« Quand c’est non, c’est non ! »

Et on s’est aussi tous·tes entraînés à crier le plus fort possible :

« NOOOOOON ! »

* Ces prénoms ont été modifiés.

À lire aussi : « Stop au déni » interpelle sur les violences sexuelles qui touchent les mineurs

Quelques information pour savoir réagir en cas d’agression sexuelle :

Pour les cas se produisant à l’école, il existe un guide pour « prévenir, repérer et agir » contre les violences sexuelles.

En cas de besoin, n’hésitez jamais non plus à joindre les numéros d’urgence :

  • Celui du Collectif Féministe contre le Viol, Viols femmes informations : 08 000 595 95
  • Le Numéro Violences Femmes Info : 39 19
  • Service National d’Accueil Téléphonique de l’Enfance en Danger : 119

Sachez aussi que vous pouvez joindre le rectorat de votre académie, mais également les Maisons de solidarité ou Unité Territorial de Prévention et d’Action Sociale (UTPAS) où vous trouverez des assistant•es sociales aptes à vous répondre.

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Les Commentaires

55
Avatar de Kolibawa
5 septembre 2017 à 12h09
Kolibawa
Il y avait un article de @Fab il me semble qui parlait du fait qu'un enfant poursuivait sa fille pour lui faire des bisous et l'école s'en foutait.

On ne peut pas attendre de petits garçons qu'ils ne soient pas des agresseurs si les adultes voient ce genre de harcèlement comme un signe mignon d'amour.
5
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