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Société

Affaire Miriam Cahn : « Montrer la violence est-elle nécessaire pour la dénoncer ? »

Après deux mois de polémique, le tableau Fuck Abstraction! de l’artiste Miriam Cahn, exposé au Palais de Tokyo, a été aspergé de peinture dimanche 7 mai 2023 par un homme de 80 ans, ancien élu d’extrême-droite. Rappel des faits.

L’art peut-il tout représenter ? Depuis deux mois, cette question divise l’opinion concernant l’œuvre Fuck Abstraction! exposée au Palais de Tokyo. Jugé pédopornographique, le tableau a fait l’objet d’une action en justice initiée par six associations réclamant son décrochage. Ces dernières ont néanmoins été déboutées par le tribunal administratif de Paris puis par le Conseil d’État en avril dernier.

« La sexualité comme arme de guerre »

Tout commence le 17 février 2023. L’exposition Ma Pensée Sérielle prend ses quartiers entre les murs du Palais de Tokyo, à Paris. Il s’agit de la première expo d’envergure en France de l’artiste suisse de 73 ans, connue notamment pour ses positions antimilitaristes. Dans deux salles sont réunis plusieurs tableaux très crus, représentant des scènes de violence et de viols. Parmi eux, Fuck Abstraction! montre un homme musclé face à deux silhouettes frêles, à ses pieds. L’une d’entre elles lui fait une fellation sous la contrainte.

La différence de taille entre les personnages est déstabilisante. S’agit-il d’enfants ? C’est ce qu’avancent plusieurs détracteurs. Une interprétation vivement démentie par l’artiste : « Ce ne sont pas des enfants. Ce tableau traite de la façon dont la sexualité est utilisée comme arme de guerre, comme crime contre l’humanité. Le contraste entre les deux corps figure la puissance corporelle de l’oppresseur et la fragilité de l’opprimé agenouillé et amaigri par la guerre. »

Twitter s’empare de la polémique

Le 5 mars, l’ancien animateur de télévision Karl Zéro publie sur Twitter une photo de l’œuvre et demande à sa communauté de faire pression pour que celle-ci soit décrochée. L’animateur est très suivi, notamment par certains cercles complotistes, s’étant fait l’écho à maintes reprises de théories concernant l’existence d’un prétendu réseau pédocriminel international dirigé par « des élites ». Le palais de Tokyo et l’artiste s’en défendent dans les jours qui suivent via un communiqué, et ajoutent, comme le rapporte l’autrice Margaux Brugvin sur Instagram, des messages d’avertissement au sein de l’exposition, un•e médiateur•ice devant l’œuvre pour « engager le dialogue » et un texte explicatif. Rien n’y fait : la polémique enfle sur les réseaux sociaux.

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Indépendamment, Innocence en Danger publie une lettre ouverte, réclamant que l’œuvre soit retirée de l’exposition. Selon l’association, l’œuvre ne condamne pas les actes qu’elle représente, ce qui rend cette violence « presque acceptable » aux yeux des visiteurs. Innocence en Danger rappelle que la monstration d’images pédopornographiques est punie par la loi. Accompagnés de 5 autres associations, elle saisit ensuite la justice pour demander le retrait de l’œuvre, ou, a minima, l’interdiction d’accéder à la salle pour les mineurs. Leur requête reste vaine. Pourtant, elle soulève de nombreuses questions pertinentes : le musée a-t-il failli à protéger ses publics les plus fragiles ? Est-ce son rôle d’assurer une mise en contexte (ou une mise en garde) appropriée pour ses œuvres les plus difficiles et complexes ? Aurait-il dû prendre davantage de précautions ?

L’instrumentalisation de l’affaire par l’extrême-droite

« Montrer la violence est-elle nécessaire pour la dénoncer ? ». C’est ainsi que Margaux Brugvin résume donc cette affaire, dans un long post Instagram. Pour l’autrice, ce débat fait partie, selon elle, d’un débat plus large sur le rôle et les limites de l’art, récurrent dans les cercles artistiques et militants.

Néanmoins, ce débat est hacké par l’extrême droite qui voit là une opportunité politique : le 17 mars, la députée RN Caroline Parmentier publie une vidéo d’elle devant l’œuvre, l’accusant d’être « une incitation, et un clin d’oeil à tous les pédocriminels ». Quelques jours plus tard, elle interpelle la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, à l’Assemblée Nationale. Cette dernière déplore un coup de com’ de la députée, rappelant au passage que l’artiste concernée dénonce dans son travail les crimes de guerre depuis 40 ans (Fuck Abstraction! traiterait d’ailleurs du massacre à Boutcha, en Ukraine, par les troupes russes). Les échanges entre partis atteignent leur paroxysme le 7 mai, lorsqu’un octogénaire s’en prend directement à la toile et y projette de la peinture violette. Interpelé immédiatement, son identité est révélée : il s’agit d’un ex-élu du Front National.

L’homme n’a aucun lien avec les associations qui réclamaient le retrait de l’œuvre. « Juristes pour l’enfance et les autres associations (ont) agi comme nous le faisons toujours, en saisissant la justice, en écrivant aux responsables et en informant l’opinion », martèle Juristes pour l’enfance auprès de l’AFP. Un rappel essentiel.

L’œuvre ne sera pas retirée. Au contraire, le Palais de Tokyo a annoncé qu’elle serait exposée en l’état jusqu’à la fin prévue de la saison, le 14 mai. Cette affaire contraindra-t-elle l’institution muséale à revoir la manière dont elle contextualise ses œuvres les plus complexes, face à un public parfois fragile ? Rien n’est moins sûr. Néanmoins, comme avance Margaux Brugvin dans son post Instagram, une petite lueur de positif ressort peut-être de cette polémique : celle-ci permettrait tout de même d’attirer l’attention sur le sujet de la pédocriminalité, qui, rappelons-le, touche un enfant sur cinq, et reste pourtant trop souvent évincée des discours publics.


Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.

Les Commentaires

7
Avatar de Anna Cassius
11 mai 2023 à 09h05
Anna Cassius
@Cafédusoir Je ne suis pas d'accord, sur quels critères se base-t-on pour juger la qualité d'une oeuvre et si elle mérite d'être exposée ou non ? Par ailleurs ce n'est pas aussi "impressionnant" techniquement qu'un Michel-Ange au premier regard, mais le travail de Miriam Cahn est de qualité. Son traitement des couleur, les textures, l'expressivité des visages, l'atmosphère inquiétante... Elle est exposée parce que son travail est abouti et cohérent, et engagé qui plus est. Après on aime ou on n'aime pas l'esthétique bien sûr ! Mais ça n'a rien à voir avec la qualité
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Voir les 7 commentaires

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