L’ABCD de l’égalité est le nom d’un programme d’éducation à l’égalité entre les filles et les garçons dès l’école primaire. Il a fait l’objet d’une expérimentation, c’est-à-dire qu’il n’a été déployé que sur un nombre restreint de classes cette année, dans le but d’être évalué avant d’être généralisé à l’ensemble des classes de primaires. Mais ce n’est pas sous ce nom que ce programme sera pérennisé.
Le ministre de l’Éducation Nationale, Benoît Hamon, était l’invité de Patrick Cohen dans la matinale de France Inter. Il a partagé les conclusions du rapport de l’Inspection Générale de l’Éducation Nationale (IGEN), qui dresse le bilan de l’expérimentation de l’ABCD, globalement positives :
« Le bilan est globalement positif, et j’ai décidé de mettre ce matin le rapport de l’Inspection Générale en ligne, pour que tout le monde puisse en mesurer l’intérêt ».
– La formation continue de 25 000 enseignants commencera dès la rentrée de septembre. La mallette pédagogique est à disposition des enseignants dès le 2 septembre.
– Il n’y aura plus de séances dédiées à l’égalité ?
– Elles peuvent avoir lieu.
– C’est à la discrétion des enseignants ?
– Nous ne voulons plus que cette question relève de la faculté d’un enseignant à adopter ou à rejet un module pédagogique. »
L’éducation à l’égalité entre filles et garçons à l’école passera donc par :
- la formation initiale des nouveaux enseignants
- des stages de formation continue dispensés aux enseignants en poste
- l’intégration de la culture de l’égalité dans les programmes scolaires, qui entreront en vigueur en 2016.
En parallèle, le détail du plan d’action pour l’égalité a été rendu public sur le site de l’Éducation Nationale et du ministère des Droits des femmes :
Partisans, opposants, pas contents
Pour la première fois sans doute depuis que ce programme a été lancée, partisans et opposants du projet semble tomber d’accord : cette annonce du gouvernement ne satisfait aucun des deux camps.
La confusion est de mise : alors que La Manif Pour Tous déplore le maintien de l’éducation à l’égalité dans les classes, Henri Guaino se félicite de son abandon. Faudrait savoir !
Côté partisans de l’ABCD, les réactions sont également très sceptiques. L’abandon du nom « ABCD » est critiqué comme étant un recul du gouvernement face aux idéologues « anti-genre », qui ont fait circuler (avec succès) les pires rumeurs sur ce projet :
Le compte twitter Collectif National pour les Droits des Femmes
Le bilan de l’expérimentation est très instructif
Conformément à ce qu’il avait annoncé sur France Inter, Benoît Hamon a effectivement rendu public l’intégralité du rapport de l’IGEN sur l’expérimentation de l’ABCD de l’égalité.
Un rapport plutôt succint, et très intéressant à lire.
Les auteurs mettent notamment en avant l’intérêt d’aborder les thématiques d’égalité au prétexte d’autres activités, et particulièrement pendant les cours de sports, propices à la déconstruction des stéréotypes. Le rapport clarifie, pour les derniers sceptiques, l’objectif recherché en cours, à savoir ne pas enfermer les enfants dans des comportements stéréotypés, conformes aux stéréotypes masculins ou féminins :
« On y insiste sur les différents modes d’entrée dans l’activité de manière à solliciter à la fois des « qualités dites féminines » et des « qualités dites masculines ».
Dans ces propositions, jamais on n’oblige les garçons à adopter des « valeurs ou comportements socialement perçus comme plus féminins » ou les filles des « valeurs ou comportements socialement perçus comme plus masculins ».
Il s’agit simplement de ne pas les enfermer dans certains comportements.
Les conseils donnés dépassent le seul fait de prendre en compte les différences garçons – filles ; ils touchent aussi aux différences d’habileté entre les élèves et peuvent contribuer à prévenir d’autres formes de dévalorisation voire de discrimination. »
La « théorie du genre » à l’école ? Pour la dernière fois : non !
À force d’entendre Vincent Peillon, le précédent ministre de l’Éducation nationale, clamer son opposition à la théorie du genre à chaque fois que la question lui était posée, il est compréhensible que certains parents s’étonnent d’entendre cette expression erronée dans la bouche d’un responsable politique de premier plan.
Mais pour ceux qui en doutaient encore, le rapport se penche clairement sur la question : il n’est pas question de « théorie du genre » à l’école. Il n’est pas question d’idéologie. Il est question de lutter contre les stéréotypes de genre, un objectif tout à fait conforme à la mission de l’école républicaine, n’en déplaise à la frange ultra-conservatrice de la société française :
« De manière générale, il n’y a rien de choquant dans ces fiches pédagogiques, absolument rien qui laisserait penser à la promotion d’une supposée « théorie du genre », mais simplement des exemples pour aider les enseignants à débusquer des implicites quant à la représentation sociale des filles et des garçons véhiculée par certains supports de travail ou relatives à des manières usuelles de faire, et les aider à faire en sorte que les élèves se posent des questions sur des faits ou des phénomènes qui sont considérés par eux (et par certains adultes) comme allant de soi.
C’est conforme aux objectifs visés par l’ABCD de l’égalité et respectueux des finalités de l’école. »
Des outils de support et de formation à améliorer
Le rapport relaie les critiques des enseignants ayant participé à l’expérimentation vis-à-vis des outils qui étaient mis à leur disposition, notamment via le site de l’ABCD. :
« Dans un ensemble qui est globalement de qualité, il est cependant regrettable de trouver des discours militants non identifiés comme tels et insérés au cœur de développements à portée scientifique, d’entendre des propos parfois confus ou contradictoires, un langage relâché, des exemples malvenus qui peuvent dévaloriser un discours globalement intéressant si l’on fait abstraction de ces éléments, faiblesses en partie dues à la précipitation des conditions d’enregistrement et de diffusion. »
La « mallette pédagogique » et le nouveau site annoncés dans le plan d’action présenté ce matin tiendront-ils compte de ces critiques ?
La contestation externe, une crise mal gérée
Le mois dernier, un article du Figaro relayait « la gêne » du ministre de l’éducation face à l’ABCD de l’égalité. Il citait vaguement « La question des limites entre ce qui relève de l’école et de la famille » ainsi que « les difficultés à se positionner par rapport à ce conflit de légitimité » de certain•e•s enseignant•e•s.
Le rapport s’attarde plus longuement sur ces difficultés, et plus particulièrement sur les Journées de Retrait des Écoles. Rappelons-le, les opposants à l’ABCD de l’égalité avaient fait circuler de folles rumeurs
auprès de parents concernés. Si les rumeurs en question peuvent faire sourire tant elles sont ridicules, les craintes et l’incompréhension des parents ont été entendues par le corps enseignant.
Des opposants s’étaient procuré la liste des classes qui expérimentaient l’ABCD, ainsi que la liste nominative des enseignants concernés par les stages de formation. À Montpellier par exemple, ils sont allés jusqu’à téléphoner à ces enseignants en canular, pour les informer de l’annulation de leur stage de formation.
Mais lorsque des parents inquiets sont allés solliciter l’école pour avoir des réponses à leurs interrogations, ils ont été satisfaits :
« Parfois, des parents qui ne comprenaient pas les messages reçus [NDLR : les SMS de rumeurs] sont eux-mêmes allés interroger leurs interlocutrices ou interlocuteurs habituels dans l’école et ont été rassurés ».
Ces épisodes ont été une véritable prise de conscience, un peu violente, du fait que l’école ne bénéficie pas d’une légitimité intrinsèque auprès des parents : elle doit convaincre en permanence :
« Les enseignant(e)s rencontré(e)s expriment le sentiment qu’un lien qu’ils croyaient de confiance avec les parents a été fragilisé.
Les plus atteint(e)s sont en général des professionnel(le)s très investi(e)s dans des quartiers difficiles, qui pensaient avoir construit une relation solide avec les parents et qui ressentent une cruelle déception. […]
Les professeur(e)s n’auraient jamais imaginé que des parents puissent voir l’école comme source de danger, jamais pensé qu’on puisse suspecter l’école – et eux en même temps – d’avoir un projet organisé qui les autoriserait à attenter à la pudeur des enfants, à violer leur intimité, à intervenir sur leur sexualité, à manipuler leur conscience. »
Et le rapport interroge la manière dont l’école doit s’y prendre pour mener à bien sa mission, pour pouvoir aborder avec les enfants des thématiques sensibles :
« Comment faire pour que les enfants ne soient pas gênés par les discours et les attentes de l’école quand leur vie personnelle et familiale est nourrie de référents culturels très éloignés de ceux que porte l’institution scolaire ?
Même des sujets qui semblent plus anodins que l’égalité filles-garçons, parce que plus prosaïques, sont complexes à traiter (santé, hygiène, alimentation, développement durable..).
Comment amener en souplesse les enfants à remettre en cause leurs représentations, sans que les membres de leur famille, avec qui ils peuvent discuter de leur vécu scolaire, ne soient choqués ?
Comment faire pour ne pas donner l’impression aux enfants-élèves que l’école juge les pratiques qu’ils vivent au quotidien en famille ? »
Le rapport insiste sur les précautions à prendre lorsqu’un sujet d’actualité, politique et potentiellement polémique est introduit à l’école. Les erreurs de communication ne pardonnent pas, leurs conséquences sont amplifiées par la capacité de réactivité des réseaux sociaux.
Un « manque manifeste » : la communication publique en cause
On y reparle du genre, ce mot qui continue de cristalliser tant de fantasmes. De même que le terme « égalité », qui ne devrait pourtant pas porter à controverse, mais le discours des idéologues opposants a été plus audible, plus accessible que celui du gouvernement, des défenseurs de ce projet.
Le rapport pointe le manque d’information préalable des parents comme « un manque manifeste », ayant contribué à faire enfler la polémique : « il est toujours plus délicat d’avoir à se justifier a posteriori que d’avoir à expliquer par avance ».
C’est effectivement au sujet de la communication qui entoure l’ABCD de l’égalité que le bât blesse, depuis le début.
Le précédent ministre de l’Éducation Nationale, Vincent Peillon, a passé la majeure partie de son mandat à claironner son opposition à « la théorie du genre », tout en affirmant son attachement « à l’égalité ». Comme s’il existait une « théorie du genre », et qu’il était un rempart face à elle…
De ce fait, pendant de très longs mois, le ministre a laissé planer le doute auprès de tou•te•s celles et ceux qui n’étaient pas convaincus par la nécessité de lutter contre les stéréotypes de genre dans les écoles. Il a contribué à faire de ce genre un mot tabou, un mot porteur de craintes et de fantasmes.
Il a fini, bien trop tard, par réfuter l’expression « théorie du genre » lors d’une question au gouvernement, à l’Assemblée Nationale.
Trop tard. Pendant que le ministre avançait prudemment avec ce genre qui dérange, le ministère des Droits des femmes, co-sponsor du programme, communiquait allègrement sur les enjeux de ce projet. Un déséquilibre qui a eu pour effet de renforcer les détracteurs de l’ABCD, qui y voyaient clairement un « agenda féministe » :
« Le dispositif expérimental ABCD de l’égalité a été lancé de manière partenariale par notre ministère et le ministère des droits des femmes.
La communication publique semble avoir été plus active de la part de notre partenaire. Dès lors l’action a paru relever davantage d’une volonté déterminée de militantes féministes, ce que ne pouvait que confirmer – aux yeux des contempteurs du dispositif expérimental – l’affichage des ressources sur le site dédié puisque la parole y est donnée à des femmes seulement. »
Apparemment, donner la parole aux femmes, c’est suspect. La route est longue les enfants, la route est longue…
Que l’on arrête de parler de « différences fille/garçon », par pitié
Ce sont ces erreurs de communication qui sont pointées par le rapport, mais on ne peut pourtant pas dire que la leçon a été retenue.
Au micro de France Inter ce matin, Benoît Hamon a présenté avec force et conviction les modalités du futur programme d’éducation à l’égalité entre les filles et les garçons. C’était plutôt convaincant, jusqu’à ce qu’il prononce cette phrase, en réponse à une question d’un auditeur (à 8 minutes) :
« Une fille et un garçon sont égaux en droits. Ils sont différents, mais sont égaux en droits. Ils doivent se respecter l’un et l’autre. Et pour les filles, il n’y a pas de métier réservé. Pour les garçons, il n’y a pas de formation réservée. »
Allons bon. Il faudra peut-être veiller à ce que M. Hamon aille tester en personne le module de formation continue des enseignants. Il y apprendra sans doute (on l’espère en tout cas), que les filles et les garçons sont aussi différents que deux filles entre elles ou deux garçons entre eux.
Sauf à considérer qu’avoir les mêmes organes génitaux est un critère d’identification pertinent, mais dans ce cas, va-t-on également apprendre aux blonds et aux roux qu’ils sont « différents mais égaux en droits » ?
Qu’il faille calmer les hystéries qui perdurent autour de l’éducation à l’égalité à l’école, on peut parfaitement l’entendre. Mais il faudrait garder à l’esprit que ce sont de pareilles approximations de communication qui ont fortement contribué à nourrir ces hystéries au départ.
Alors reprenons depuis le début :
- Le genre n’est pas une théorie
- Le genre n’est pas un gros mot, il faut l’expliquer, le débarrasser de ses interprétations mensongères, et ne surtout pas renoncer à expliquer ce terme.
- Parler des différences filles/garçons comme si elles étaient naturelles est précisément le genre de stéréotypes contre lesquels il est important de lutter.
- Pour les plus sceptiques, rappelons que les stéréotypes de genre ont des conséquences bien réelles sur la santé des adolescents.
Monsieur le ministre, arrêtez s’il vous plaît d’essayer de parler aux opposants de « la théorie du genre » en empruntant leurs éléments de langage. Cette technique de communication a été un échec.
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires
Je n'y avais pas pensé mais le pire c'est que c'est probablement juste, bien vu...
Merci Marie.Charlotte pour cet article approfondi et très clair.
J'aimais bien, dans l'ABCD, le fait que l'on parle d'égalité tout court, ici on ajoute "entre filles et garçons", ce qui, d'une, exclue d'autres inégalités, et de deux, fait comme toujours du sexe la variable absolue...