Ce matin, dans un titre d’article qui filait des astuces pour trouver le sommeil, j’ai encore croisé ma Némésis, ma pire ennemie depuis 14 mois, l’expression qui me donne instantanément envie de casser des briques à mains nues (ou de me rouler en boule en position fœtale selon l’énergie du moment), j’ai nommé les quatre petits mots les plus mal assortis de la langue française : « dormir comme un bébé ».
Dans la bouche de celles et ceux qui l’emploient, cette expression signifie dormir beaucoup, d’un sommeil profond et apaisé, et elle représente un idéal pour les insomniaques et les adultes aux nuits trop courtes (« aaaaah, j’espère que je vais dormir comme un bébé cette nuit »).
Dormir comme un bébé : voilà ce que cela signifie vraiment
Je ne sais pas à quel bébé cette expression fait référence, mais clairement pas au mien. Depuis 14 mois, ma fille dort « comme un bébé », et voilà ce que cela signifie vraiment :
- Elle a encore besoin d’être bercée pour trouver le sommeil (et maintenant qu’elle fait presque douze kilos, c’est comme tenir à bout de bras un gros sac de rando plein à craquer pendant 15 minutes).
- Dès qu’elle a un petit pet de travers (littéralement), elle se réveille plusieurs fois par nuit. C’est aussi le cas quand elle a une dent qui pousse, un rhume, vécu trop de nouvelles expériences dans une journée, trop chaud, trop froid, fait une sieste trop tardive, etc.
- Parfois, sans raison apparente, elle décide vers 3 heures du mat’ de faire la grève du sommeil (sans nous avoir envoyé de préavis ni ses revendications) et ensuite, on passe généralement deux heures avec un petit démon qui nous escalade en poussant des glapissements joyeux (oui, parce qu’on pensait que la ramener dans notre lit allait l’aider à se rendormir, erreur classique des débutants).
- Quand elle dort (sisi ça arrive quand même), elle est loin d’avoir un sommeil « profond et apaisé » : elle bouge dans tous les sens et fait des bruits de vélociraptor, au point qu’on doit mettre des Boules quies pour dormir dans la même chambre qu’elle (genre, quand on part en weekend chez des gens).
Parfois, dans de rares moments de béatitude, il arrive qu’elle s’endorme seule pour la sieste, qu’elle enchaîne quelques bonnes nuits et qu’elle ait une bouille trop mignonne pendant qu’elle rêve. Dans ces occasions-là, on se dit que ça y est, notre fille a enfin capté le sens de l’expression « dormir comme un bébé ».
« Dormir comme un bébé » : la plus grosse arnaque de la langue française
On se réjouit en pensant qu’on est arrivé au bout de 12, 13, 14 mois de galère
… Et puis, il suffit d’un rien pour que tout rebascule du côté obscur, celui de la privation de sommeil façon Guantanamo.
Bref, l’expression « dormir comme un bébé » est la plus grande arnaque de la langue française, peut-être une invention du lobby nataliste pour convaincre les gens de se reproduire et surtout, elle ne correspond pas à ce que vivent de nombreux bébés, pour qui le sommeil n’est pas un long fleuve tranquille, mais un apprentissage se faisant au détriment de la santé mentale des mères et des pères.
Allez, quelques chiffres pour finir de vous convaincre de la nullité totale de cette expression :
Une étude québécoise récente sur une large cohorte (plus de 360 dyades mères-bébés) indique qu’à 6 mois, plus de 50% des enfants n’arrivent pas à dormir huit heures d’affilée (et 38% plus de six heures d’affilée) et à 12 mois, 43% environ des enfants n’y parviennent pas et près de 28% sont incapables d’enchaîner six heures de sommeil d’affilée. 28% des enfants ont au moins encore un réveil nocturne à 2 ans.
Voilà, pensez-y la prochaine fois que vous avez envie d’employer l’expression « dormir comme un bébé », des jeunes parents vous entendront peut-être et le manque de sommeil peut pousser à commettre l’irréparable. Genre, vous prendre dans les bras pour vous bercer frénétiquement en chantant « PETIT ESCARGOT PORTE SUR SON DOS SA MAISONÊTTEUH ». Vous êtes prévenue.
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