Vendredi, j’étais paisiblement en train de savourer les exquises nouvelles du Monde pour célébrer la douce journée de lutte contre les violences faites aux femmes (des journalistes agressées, Reporters sans frontières qui suggèrent que – bon, les femmes journalistes, vaudrait mieux pas qu’elles se pointent dans ces zones-là, et un magazine féminin toujours plus en forme qui nous conseille « d’être prudentes ») et de vous préparer un article sur les pseudo-sciences, lorsque quelqu’un est venu me souhaiter « une bonne fête ».
Je ne sais pas pour vous, mais personnellement l’histoire des catherinettes, ça me gonfle… Et ça m’a donné envie de revenir sur quelques éléments liés au mariage et à son pendant – le célibat.
Si le couple est le modèle dominant, il n’est peut-être plus la norme : allongement de la durée d’études, couples plus tardifs, augmentation des divorces… Nous connaissons aujourd’hui plus de périodes de célibat que nos aînés. Serions-nous des générations de petits solitaires sans cœur ?
Pour Kaufmann, la normalité actuelle serait d’expérimenter une séquence de vie « en célibataire ». Pour lui, le terme même de célibataire serait à revoir, puisqu’il définit tout autant celui qui le subit que celui qui le choisit et est erroné quant à la réalité des situations (officiellement, celui qui vit en couple sans être marié ou pacsé est célibataire). Nous pourrions plutôt parler de « vie en solo ».
Le sociologue souligne également que nous nous placions autrefois dans une logique de « destin » : on naissait dans telle classe, dans une lignée de tel corps de métier, les mariages étaient des arrangements sociaux et l’individu était clairement le produit de sa condition sociale. La donne n’est plus la même, et nous sommes aujourd’hui soumis à une injonction d’être « soi », de se réaliser, d’être heureux, d’être libre.
Le couple n’échappe pas à cette nouvelle règle, et nous vivons dans l’idée qu’il existe quelque part une « moitié », une « âme sœur », ou pire « un prince charmant » avec lequel nous pourrions bien nous unir « par amour ». Mais finalement, toutes ces idéalisations peuvent être perverses : comment s’accommoder d’une vie quotidienne banale lorsque l’on a rêvé à des histoires extraordinaires ?
Former un couple peut dans ce cas s’avérer décevant, pas à la hauteur de nos ambitions… De son côté, le célibat est également idéalisé – les médias font valoir l’idée d’un célibat oisif, hédoniste, grâce auquel on aurait « du temps pour soi ». Selon Kaufmann, la vie en solo permet effectivement de profiter de petits plaisirs (manger ce que l’on veut lorsqu’on le veut, dormir tant qu’on le souhaite…) et de diriger nos vies selon nos propres prérogatives. Mais finalement, le problème est le même – célibataire ou non : pour bon nombre d’entre nous, la vie quotidienne ne sera jamais exceptionnelle…
Paradoxalement, s’il est porté aux nues, le célibat peut aussi être pénalisant et vecteur de préjugés sociaux, surtout lorsqu’on est une femme*. Pour Bella de Paulo et Wendy Morris, les couples sont favorisés dans la vie quotidienne (avantages financiers, réductions fiscales…) tandis que les personnes seules sont discriminées. Les deux psychologues se sont penchées sur les innombrables études psychologiques réalisées sur le sujet : généralement, les couples sont vus comme plus heureux, plus généreux, plus confiants… Mais les recherches sont biaisées : la catégorie « célibataire » inclue les personnes veuves ou divorcées – et non pas les « célibataires » au sens strict. Dès lors que l’on compare les couples aux célibataires hors veufs/divorcés, les résultats se rapprochent et il n’a plus vraiment de différences significatives entre le bien-être des couples et des non-couples… Si même les chercheurs s’attendent à ce que les personnes seules soient malheureuses, qu’en est-il du reste de la population ?
Jugeons-nous tous sévèrement nos célibataires ?
Est-ce ce culte du couple qui fait qu’en 2011, on en vient à tripoter des nénés dans le noir pour trouver l’amour (ne faites pas les innocentes, vous savez très bien de quoi je parle, je vous vois) ? Est-ce parce que l’on nous serine depuis notre tendre enfance que Barbie doit se marier avec Ken ou que l’on nous raconte qu’Ariel est prête à laisser tomber sa queue de sirène pour pécho un prince charmant à peine entrevu que l’on devient plus tard obnubilé par la quête du partenaire ? Est-ce plus facile de ne pas vivre en couple aujourd’hui ? Vous en pensez quoi, vous ?
* Vous savez ce qui est le pire dans tout ça ? C’est que si le célibat est pénalisant pour les femmes d’un point de vue social, le mariage l’est quant à lui d’un point de vue professionnel : dans une étude mesurant le « coût » du mariage pour les femmes, De Singly a constaté que celui-ci était un réel handicap pour la carrière des femmes – lorsqu’il était favorisant pour celle des hommes. Encore pire ? Une femme mariée avec deux enfants gagnerait moins qu’une femme célibataire ou qu’un homme avec deux enfants. Une fois mariées et s’étant reproduites, les femmes sont perçues comme moins capables, moins compétentes, moins disponibles… J’ai envie de vous hurler : SCREWED dans toutes les situations, hein.
Pour aller plus loin
– Une conférence de De Singly sur la crise de la vie conjugale – Et une interview de Kaufmann sur la vie de couple + une conférence – Un article du Point (pas si récent mais vraiment complet)
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