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Vie quotidienne

Mon amie est morte sous les coups de son conjoint — Témoignage

L’amie de cette madmoiZelle a succombé à la violence de son conjoint il y a un an. Elle nous raconte l’horreur de ce meurtre et le combat qui a dès lors commencé pour l’entourage de son amie, afin que justice soit faite.

Tous les ans à l’occasion du 25 novembre, la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, les médias, les politiques et les associations rappellent les avancées contre les violences faites aux femmes. Ces faits divers qui passent tant inaperçus dans nos journaux quotidiens sont ainsi mis sous les feux des projecteurs.

Aujourd’hui, ce sont elles que j’aimerais mettre en lumière, ces femmes disparues qu’on oublie bien trop souvent. Et ce parce que parmi ces femmes décédées en 2015 figure l’une de mes amies.

Une amie chère

Dans mes souvenirs, je la revois vêtue d’un petit col roulé rose pâle, toujours pimpante avec des boucles d’oreilles tombantes et du vernis sur le bout des doigts. Elle avait de fins sourcils cachés derrière des lunettes qui lui donnaient un air enfantin. Son chez elle ressemblait à un petit foutoir : le rangement, ce n’était pas son truc, et qu’est-ce que ça nous faisait rire avec nos ami•es.

Quand je sortais du lycée et passais la voir, je la retrouvais en plein karaoké, chantant pleine d’entrain sur du Céline Dion. C’était il y a plusieurs années et pourtant j’ai l’impression que c’était hier.

Elle était une de ces amies pipelettes avec qui on peut discuter des heures. Une de ces filles plus âgées qui nous fait réviser notre bac en riant et qui devient presque une grande sœur à qui on peut tout dire.

Puis elle est devenue cette fameuse première copine du groupe à devenir maman. Elle était si heureuse de donner la vie, d’être la mère d’un petit trésor. Elle voulait donner à son enfant tout ce qu’elle n’avait jamais eu.

Quand les faits divers ordinaires deviennent votre réalité

Un soir d’automne 2015, je fêtais le départ d’une autre amie pour un long périple d’un an à l’étranger. Tes ami•es de longue date étaient tous là, nous trinquions allègrement dans un bar. Tu devais peut-être passer nous voir, mais depuis la naissance de ton bébé, c’était forcément plus compliqué pour toi de venir même quelques heures.

Alors nous avons fait la fête, nous avons ri, mais tu n’es pas venue. Je ne me suis pas inquiétée, je me disais que tu avais dû t’occuper de ton enfant et que je t’aurais au téléphone le lendemain. Je t’ai en effet envoyé un sms, mais il est resté sans réponse.

Ce n’est que deux jours plus tard, un soir alors que je revenais de faire des courses, qu’un coup de fil m’a appris l’impensable : tu étais morte.

J’ai d’abord cru à un accident, un drame en voiture ou en moto qui t’aurait ôté la vie. Mais non, ce n’était pas un accident… J’ai supplié la personne au bout du fil de me dire que c’était une blague. Je voulais croire que tu étais à l’hôpital, qu’au pire des cas tu étais dans le coma ; je voulais juste me dire que ce n’était pas réel et que j’allais me réveiller d’une minute à l’autre de ce cauchemar.

Tu es morte durant cette nuit de fête, tuée par celui qui partageait ta vie et avec qui tu as eu un bébé. En entendant ces mots, j’ai senti un énorme vide sous mes pieds, je suis tombée lentement vers le sol en sanglots, accrochée au combiné en répétant « Dis-moi que c’est une blague, je t’en supplie dis-moi que c’est faux ». Mais j’ai vite compris que tout ça était bien réel. Sauf que j’étais loin d’imaginer tout ce qui allait suivre.

Un jour, sans que vous vous y attendiez, les faits divers deviennent votre propre réalité.

Plus tard, j’ai repensé à tous ces matins dans les transports en commun. Combien de personnes se trouvent assises dans les transports à lire la rubrique faits divers d’un quotidien ? Des crimes macabres de femmes étranglées, violées ou poignardées, on en a tou•tes lus.

Des gros titres prônant le drame familial ou le meurtre passionnel viennent inonder nos lectures chaque jour sans même que l’on s’en révolte. Les médias raffolent souvent du spectaculaire et les gens s’arrachent les nouvelles séries à base d’enquêtes et de crimes.

Et puis un jour, sans que vous vous y attendiez, ces faits divers deviennent votre propre réalité. La femme qui est décrite dans ce maudit journal, vous connaissez son odeur, le son de son rire, sa couleur préférée ou encore son artiste favori…

La violence cachée

Quand j’ai rencontré son conjoint la première fois, il me paraissait timide, discret, et je me disais que c’était normal, qu’il n’était pas évident de rentrer dans un groupe. Mais au fil du temps, j’ai remarqué qu’il était dur, jaloux, possessif et « bizarre ».

Quand on promenait le chien de mon amie ensemble, il la harcelait presque pour savoir quand est-ce qu’on rentrait et ce qu’on faisait alors qu’on était à deux rues de chez eux. J’avais le sentiment qu’il voulait tout contrôler.

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Elle me le disait elle aussi que sa jalousie lui pesait, ce sur quoi je l’ai conseillée — mais je n’aurais jamais imaginé qu’il serait capable d’une telle barbarie. Je crois qu’en réalité on n’imagine jamais vraiment les gens capables de ça.

J’ai mangé à sa table, j’ai dormi dans leur salon, dans le lieu où elle est morte sans pouvoir penser que quelques mois plus tard, il s’acharnerait sur elle à cet endroit.

Elle avait commencé à me parler des violences qu’elle subissait quand elle s’était dit qu’elle devait partir, c’est-à-dire environ cinq mois avant de mourir. Elle m’avait alors raconté que son conjoint n’était pas juste jaloux, mais qu’il avait déjà eu des gestes violents : gifle, tirage de cheveux… et parfois devant ses frères et sœurs.

Mais avec le recul, je crois qu’elle ne m’a peut-être pas tout dit. C’était une fille forte, débrouillarde et un brin féministe. Je pense que d’un côté elle était elle-même persuadée qu’elle arriverait à se sortir de là seule, sans inquiéter les autres.

On était quelques uns à le savoir : on lui a donc proposé de partir, de l’héberger, de l’aider, de la protéger à de nombreuses reprises. Mais elle paraissait forte, sûre d’elle et planifiait de partir après l’hiver, le temps de trouver un logement d’urgence ou autre. Elle avait surtout peur de partir et qu’il la retrouve, lui fasse du mal et prenne son bébé.

Elle voulait préparer au mieux son départ pour être certaine qu’il ne pourrait pas l’atteindre.

Elle était aussi quelque peu « coincée » car ils avaient pris un crédit pour leur logement, et ils travaillaient ensemble… Elle voulait donc préparer au mieux son départ pour être certaine qu’il ne pourrait pas l’atteindre.

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Le début d’un combat

Lorsqu’on perd quelqu’un, on doit accepter qu’on ne le reverra plus, c’est une sorte de première étape vers le deuil. Je n’ai pas pu dire au revoir à mon amie, je n’ai pas pu la prendre une dernière fois dans mes bras et rire avec elle. Alors le manque est arrivé instantanément.

Je donnerais n’importe quoi pour pouvoir entendre sa voix, là maintenant, l’apercevoir même au loin et encore mieux, la sentir près de moi à nouveau, vivante.

J’ai dû apprendre à jongler avec ce manque et tout un tas d’autres émotions plus fortes les unes que les autres. Dans cette affaire, sa famille et ses proches, nous devrions avoir le sentiment d’être « victimes » et se sentir protégé•es et soutenu•es. On devrait se sentir dans un cocon qui nous soigne un peu, au lieu de ça nous avons bel et bien dû démarrer un combat.

Cette bataille a débuté lors de ton enterrement. Il t’a tuée mais il nie, alors que toutes les preuves sont là. On voulait t’enterrer en paix après tout ce que tu as vécu, pour te donner le repos que tu mérites. Mais on a dû attendre son accord, sa foutue signature sur un papier administratif pour ta mise en terre. Oui, en 2016, en France, même après avoir tué sa femme on peut décider de son enterrement.

Il a décidé que tu devais mourir, puis de ton enterrement, il t’a possédée et la justice lui a laissé ce droit. Il a fallu attendre plus d’une semaine après ta mort pour pouvoir enfin t’emmener te reposer en paix.

Il s’en est suivi la recherche d’un avocat, la galère de l’aide juridictionnelle et les interrogatoires où chacun des mots que tu as pu avoir, de tes déplacements sont devenus vitaux.

Il fallait prouver qu’il te frappait avant, il fallait justifier, chercher ces morceaux de toi devenus des trésors pour ce combat. Pourquoi ? Parce qu’aussi impensable que cela puisse l’être, le « présumé coupable » plaide l’accident. Sa famille te dépeint alcoolique, profiteuse, intéressée et colérique.

Il faut qu’on montre qu’avoir un caractère fort ne veut pas dire qu’un soir on attaquera notre conjoint avec un couteau.

Il faut qu’on se justifie, qu’on explique que non, tu « trinquais » de temps en temps mais n’avais aucun souci avec l’alcool. Il faut qu’on montre qu’avoir un caractère fort ne veut pas dire qu’un soir on attaquera notre conjoint avec un couteau. Il faut que nos propos tiennent la route, parce qu’ils sont scrutés.

Je me demande alors si c’est vraiment nous qui avons perdu quelqu’un. Je me demande pourquoi aucune main ne nous a été tendue pour trouver un avocat et remplir la paperasse. Nous sommes accablés de chagrin, mais nous n’avons pas le temps de sombrer car nous devons nous battre.

Notre combat était avant tout de savoir la vérité et de te rendre justice. Malgré tout, avec le temps, nous avons appris que nous ne connaîtrons jamais vraiment la vérité. Nous savons à peu près le nombre de coups qu’il t’a portés, on connait les armes horribles qu’il a pu utiliser, on sait que tu as passé dix heures à te vider de ton sang avant que la police n’arrive, après qu’il soit allé déclarer ta mort, mais ce fameux « Pourquoi ? » restera sans réponse.

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Pourtant les questions ne manquent pas. J’avais invité le « présumé coupable » à notre soirée : il savait donc que nous étions tou•tes réuni•es et que quelque part personne ne pourrait te sortir de là. Et puis les armes du crime me semblent suspectes : ce n’étaient pas des choses qu’il laissait habituellement traîner, elles étaient toujours rangées.

Le deuxième combat était ton bébé. Avec un père en prison et une mère disparue, où irait-il ? Après quelques mois dans une famille d’accueil très bien, le juge des enfants l’a placé dans la famille de son père, le « présumé coupable ». Comment est-ce possible ?

Je ne voulais pas y croire non plus, mais personne ne pouvait le récupérer de ton côté alors la justice a préféré le mettre là-bas plutôt que dans une famille d’accueil.

Pour couronner le tout, ta famille n’a le droit qu’à un week-end de garde par mois. Je t’ai perdue toi mon amie, ma foi en la justice, ton bébé et quelque part un combat.

Un an après, du champ de bataille à la salle d’attente

Un an après, le rythme a changé. Pendant un an j’ai eu la sensation d’être sur un champ de bataille complètement larguée à tenter de faire quelque chose pour aider, défendre ta mémoire et affronter ce raz-de-marée comme je le pouvais.

Désormais, j’ai rejoint une salle d’attente pesante. J’attends sans un bruit qu’on vienne frapper à cette porte imaginaire pour nous dire qu’il est l’heure du procès. L’heure de le voir lui, en face de nous, à déballer ses arguments comme un vendeur de tapis pour se sortir de là.

J’essaye de me préparer à ne pas pleurer ce jour-là, je me prépare à entendre tous ces détails crus et barbares sur ta mort, le tout devant une assemblée impassible et son visage devant nous.

Je devrai rester forte, revêtir un masque pour ne sombrer ni dans la colère ni dans la faiblesse. Je devrai surtout entendre la sentence, peut-être qu’il ne prendra même pas dix ans nous a-t-on dit… On nous a demandé de nous préparer psychologiquement. Et que pourrais-je faire alors, dis-moi ?

Je vois ton bébé grandir chaque fois un peu plus quand il vient dans ta famille, et j’espère naïvement qu’un jour tu rentreras dans la pièce ; j’attends mais tu n’es jamais revenue. Tu n’as pas eu le temps de le voir faire ses premiers pas et aujourd’hui il court gaiement. D’ailleurs il était dans un centre d’accueil quand il les a faits : quand nous l’avons revu, il marchait.

Il y a une photo de vous deux accrochée sur le frigo : il t’embrasse parfois et serre fort le frigo comme si tu étais face à lui.

Nous essayons d’entretenir la seule chose qui reste de toi : ton souvenir.

Nous essayons d’entretenir la seule chose qui reste de toi : ton souvenir. Mais à chaque fois cela me tord le ventre de me dire qu’il n’entendra jamais le son de ta voix, qu’il ne pourra jamais t’appeler maman ou connaître la femme que tu étais.

Je trouve qu’il a tes yeux, c’est apaisant chaque fois que nos regards se croisent. Mais la brutalité de tout ça, c’est lorsque d’une seconde à l’autre, il a soudainement un air de son père. Cela me serre le cœur, ce mélange d’amour et de colère qui m’envahit à ce moment-là.

Dis-moi, comment va-t-on lui dire que « papa a tué maman » ? Comment va-t-il se construire ?

J’essaye aussi de protéger les tiens, comme tu l’aurais voulu. Je propose des sorties à ta petite sœur, à une de tes super copines et son fils. Nous avons fêté ton anniversaire comme si tu étais encore parmi nous, puis celui de ton bébé — il a adoré la girafe en peluche que je lui ai offerte.

Bientôt ta sœur fêtera son anniversaire et une chaise restera vide autour de la table et nous penserons à toi. J’essaye de m’occuper d’eux, mais tu es irremplaçable et tu nous as laissé à tous un vide immense et inexplicable.

J’essaye aussi de croire que tu me regardes et je tente de te rendre fière. Tu sais, l’année de ta mort, j’ai eu 20 à mon mémoire sur les violences faites aux femmes et ton nom brillait symboliquement sur la première page des remerciements. Ton décès a été l’une des pires choses dans ma vie mais aussi la meilleure, le début d’une force et d’une rage incroyables que j’ai désormais dans le ventre.

Ce soir je vais prier pour toi, ton repos, ton salut et ta mémoire. Mais aussi pour ces 121 autres femmes françaises mortes, et toutes celles dans le monde qui souffrent. J’inviterai chacun•e à se rappeler que cela n’arrive pas que dans les séries policières et à ne pas oublier de dire « Je t’aime » à celles qui comptent pour nous. Tu sais finalement ma belle, tu es devenu mon plus grand drame mais aussi ma plus belle force.

Le 25 novembre, c’est la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Si vous êtes victime de violences conjugales ou connaissez quelqu’un qui l’est potentiellement, appelez le 3919.
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Les Commentaires

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Avatar de Etoile d-araignee
28 novembre 2016 à 11h11
Etoile d-araignee
Je ne parviens pas à imaginer, rationnellement, quels arguments une structure publique de protection peut avancer pour laisser un enfant à un homme qui, s'il n'a pas été jugé, a des présomptions aussi graves qui lui sont reprochés.
Je veux dire, ça n'est pas un cas où le conjoint peut dire (même si c'est faux) : "Elle est tombé dans l'escalier, elle s'est cassé la nuque, j'y peux rien".
Non, c'est un cas où quelqu'un a porté des coups d'un objet contondant, et a laissé la victime se vider de son sang. Il y a aucune possibilité d'accident.
Le simple fait qu'il ne soit pas en prison en attente de procès me sidère. Alors qu'en plus, sa famille garde l'enfant...

Pour avoir été des deux cotés, du coté de l'amie impuissante, et du coté de la victime, cet article me brise le cœur. Je ne peux que souhaiter énormément de courage à la rédactrice de l'article (même si, manifestement, elle en a déjà beaucoup, la force de caractère qui se dégage de cet article est impressionnante).
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