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Société

Sexisme en plaidoirie : quand les violences poursuivent les victimes au tribunal

Comme si le statut de victime n’était pas une peine suffisante, les violences continuent parfois jusque dans les arguments sexistes employés par la partie adverse.

Les victimes de violences sexistes et sexuelles sont parfois poursuivies jusque dans les tribunaux. En l’occurrence, dans des plaidoiries qui peuvent, elles aussi, se révéler sexistes, les avocates et avocats de la partie adverse usant parfois, en toute légalité, de violences verbales contre des victimes d’ores et déjà traumatisées.

La plaidoirie sexiste, « reflet d’une problématique systémique »

Si les mots employés lors d’une plaidoirie sur fond de sexisme font autant de dégâts, c’est parce qu’ils se font l’écho de violences verbales d’ores et déjà imposées aux femmes au quotidien.

« Les pseudo-arguments sexistes n’ont rien à faire en plaidoirie », soutient Maître M., 45 ans, avocate au barreau de Paris. L’emploi de propos sexistes sous couvert d’« immunité de la robe » ne serait selon l’avocate que le « reflet d’une problématique systémique que l’on refuse d’adresser ».

L’immunité de la robe

L’immunité de la robe relève de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et prévoit une immunité judiciaire au discours prononcé ou écrit par l’avocat, tant qu’il existe un lien avec les faits. « Cela concerne également les propos tenus à la sortie d’une audience », confirme Eric Morain, avocat au barreau de Paris.

Clara, 23 ans, à l’origine du compte Instagram @surviv_hante, a fait face au sexisme tout au long du procès pour viol dans lequel elle se trouve plaignante. Le 23 juin 2018, à la fin d’une soirée entre copains, Clara part, sans autre choix, se coucher dans le même lit que celui qu’elle prenait alors pour un homme repenti. Ce dernier a quelques années auparavant, déjà agressé sexuellement la jeune femme avant de lui présenter ses excuses pour ces mêmes faits. Cette nuit-là et par deux fois, il attend que Clara tombe de fatigue pour la pénétrer sans son consentement. Démunie et sans aide immédiate, elle n’a d’autre choix que d’attendre le petit matin pour se sortir du danger. Le lendemain, sur les conseils de sa mère et de son petit-ami, la jeune femme décide de porter plainte, et effectue toutes les analyses médicales nécessaires pour appuyer celle-ci. Elle découvre des mois plus tard les résultats de ses analyses sanguines, révélant la présence de morphine ingurgitée à son insu lors la soirée. Un élément d’importance qui sera pourtant totalement occulté lors du procès.

« La cour m’a demandé à plusieurs reprises si je trouvais ça normal qu’une fille dorme avec un garçon », relate la jeune femme, « le concernant, on le dédouanait, sous prétexte que ‘la testostérone a pris le pas sur les neurones’ ». Toute la vie sexuelle et sentimentale de Clara est notamment étalée au grand jour, ainsi qu’une analyse psychologique erronée, mêlant ainsi sexisme et validisme

Face à ces attaques variant d’un procès à un autre, les victimes de violences sexistes et sexuelles cherchent à se préparer au mieux, mais les ressources peinent à émerger. 

« On avait espoir que ça serait moins violent grâce à #MeToo »

« J’appréhendais que l’on ne me croit pas », confie Samantha, 24 ans, plaignante dans le cadre d’un procès pour viol aux côtés de Karine, 25 ans, et respectivement 18 et 19 ans au moment des faits, « c’est plutôt du côté de l’avocate adverse que le coup a bien été joué ». Pour Samantha, le choix d’une avocate plutôt que d’un avocat relève de la stratégie, permettant l’usage de propos sexistes plus acceptés par la cour. Durant sa plaidoirie, l’avocate argue qu’une femme aujourd’hui peut être libérée, avoir des rapports sexuels dans un taxi avec un homme et avoir des regrets par la suite, mais que cela ne serait pas un viol. Des propos violents que Samantha reçoit de manière stoïque sur les conseils de son avocat. « C’était dur d’encaisser des réflexions et des remarques de la part d’une autre femme », continue la jeune femme.

« On avait espoir que ça serait moins violent qu’avant, grâce à #MeToo, et si ça a effectivement un peu changé, le sexisme était quand même bien là », note la plaignante. « #MeToo a permis de changer les propos, l’avocate ayant en effet parlé de consentement, d’attitude, etc, mais mon avocate pense que cela aurait été encore plus hardcore avant #MeToo », souligne Karine. L’avocate axe notamment sa plaidoirie sur ce qu’elle nomme « le flou de consentement », appellation qui fait réagir Samantha a posteriori. « Il n’y a pas de flou de consentement, il y a un consentement ou il n’y en a pas », précise-t-elle.

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Unsplash / Tingey Injury Law Firm

Se préparer aux violences sexistes à la barre

Du côté de Clara, la préparation au procès a dû principalement se faire de sa propre initiative. Elle se rapproche alors d’associations d’aide aux victimes de violences sexistes et sexuelles, qui la préviennent des propos qu’elle serait amenée à entendre. « Je ne pensais pas que les remarques atteindraient ce niveau de connerie », déplore-t-elle. Clara retient de ce procès l’injonction à passer pour « la parfaite victime, ni trop effacée, ni trop agressive ».

Le verdict rendu fait l’effet d’un dernier coup de poignard à Clara, qui fait une tentative de suicide au sortir de la salle d’audience. Retenue de justesse par des membres de l’association alors à ses côtés, Clara tire les leçons de ce geste salvateur. « N’allez pas seule au procès, faites appel à des personnes de confiance, parce que vous n’en ressortirez pas indemne », conseille de fait Clara, « c’est un traumatisme supplémentaire ». 

L’après-procès : l’importance des soins psychologiques

Si le temps a bien souvent son rôle à jouer dans l’apaisement des douleurs occasionnées par les propos tenus lors des procès pour violences sexistes et sexuelles, un accompagnement psychologique peut également être bienvenu.

« Je pense que même en étant préparées à la plaidoirie, il est impossible de l’être totalement à un verdict », souligne Samantha. Concernant le violeur de Samantha et Karine, alors que l’avocat général réclamait douze ans de réclusion criminelle accompagnés d’un suivi socio-judiciaire, l’intéressé, pourtant en situation de récidive légale, n’écope que de six ans dont deux fermes avec aménagement de peine. Malgré leur détresse, aucun accompagnement psychologique n’a été proposé ou suggéré aux deux jeunes femmes après le procès. Celles-ci le trouvent finalement par leurs propres moyens, mais regrettent l’abandon des victimes de violences sexistes et sexuelles, une fois les procès terminés. « Je trouve honteux que cette charge nous incombe », explique Karine. La charge financière est lourde pour la jeune femme, les CMP (centre médico-psychologique) alentours, gratuits, étant complètement engorgés. Clara, elle, a reçu l’accompagnement gratuit d’une psychologue spécialisée située au commissariat où elle décide de porter plainte.

En somme, si #MeToo a changé certains prismes du sexisme en plaidoirie, bien des facettes de ces violences sont encore à pointer du doigt. Karine a par ailleurs cofondé en ce sens le collectif Viol Crime Impuni, dans un esprit de sororité bienvenu face aux violences supplémentaires encore infligées aux victimes de violences sexistes et sexuelles.

Image de Une : Unsplash / Tingey Injury Law Firm

À lire aussi : Lutter contre le sexisme dès l’adolescence, c’est la promesse du jeu de cartes Moi c’est Madame


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