Mise à jour du 5 novembre — Suite à l’article d’hier soir, nous avons reçu plusieurs messages d’employé•e•s de Rue du Commerce faisant part de leur malaise face à cette opération de communication.
Dans un premier temps, nous avons contacté l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité. Stéphane Martin, le Directeur général, a accepté de nous répondre.
1400 plaintes déposées
Il nous a confirmé que notre article a « généré un nombre significatif de plaintes » : environ 1 400 à l’heure où nous avons échangé.
Les plaintes sont adressées au jury de Déontologie, la présidente en a été informée ce matin. La procédure d’examen repose sur le principe du contradictoire, toutes les parties sont donc informées.
La marque [Rue du Commerce] est au courant puisqu’elle a réagi publiquement, elle assume de provoquer avec humour. […]
Ce n’est pas leur agence de pub classique, qui est adhérente de l’ARPP et avec qui nous sommes en relation, qui est à l’origine de cette opération. C’est une initiative interne, semble-t-il.
Chacune des parties va être sollicitée pour faire valoir ses arguments. La plupart des éléments sont dans la plainte, mais les 5 premiers plaignants [pas les 1400 !] seront contactés, et auront la possibilité d’apporter de nouvelles informations
Le jury se réunira ensuite en séance plénière, afin d’examiner l’affaire.
Rue du Commerce « assume le côté potache, très premier degré »
Sylvie Latour, la directrice générale adjointe de Rue du Commerce, a accepté de nous répondre par téléphone. Elle assume totalement cette campagne, qui ne visait pas le bad buzz pour faire parler d’elle, mais bien le côté « humour potache et premier degré » :
On est plutôt potache, premier degré dans le parti pris qu’on a choisi. On a repris l’ADN de Rue du Commerce depuis sa création il y a douze ans, agitateur, trublion, avec des campagnes de communication du genre « tous les prix à poils », des campagnes très décalées.
On a besoin de se faire entendre, de se démarquer de la concurrence.
On peut entendre que la caricature qu’on a choisi ne plaise pas à tout le monde, je l’entends et c’est tout à fait respectable. Je peux comprendre que le parti pris caricatural qu’on a eu puisse troubler, et qu’on ne puisse pas plaire à tout le monde. […]
Franchement, je suis une femme, j’adore les femmes, et je reconnais que ce qu’on a fait, c’est premier degré. Je l’assume.
Au téléphone, le Stéphane Martin a souligné que l’ARPP avait également un rôle consultatif : les agences et les entreprises peuvent soumettre leurs publicités à l’ARPP pour avis, avant de lancer une campagne. Voici ce qu’il nous a répondu à propos de la campagne de Rue du Commerce :
S’ils nous l’avaient demandé, on aurait attiré leur attention sur certains points.
Sylvie Latour conteste cette analyse :
Le président Albert Malaquin a appelé l’ARPP, il les a eus au téléphone, ce n’est pas ce qui lui a été dit. On a expliqué notre démarche à l’agence, bien entendu.
Nous avons tenté de joindre à nouveau l’ARPP ce soir, pour obtenir confirmation, sans succès.
Toujours est-il qu’énormément de gens ont été touchés par cette campagne. Colère, insulte, humiliations, toutes les nuances du ras-le-bol ont été exprimés via les réseaux sociaux, y compris par des employé•e•s de Rue du Commerce, qui nous ont fait part de leur malaise :
Je suis une personne loyale et respectueuse des idées de mes supérieurs mais aujourd’hui j’ai beaucoup de mal à l’être parce que je ne comprends pas. J’ai mal au ventre de venir travailler ce matin, j’ai honte. J’ai honte en imaginant mon père fidèle client voir ses images grotesques qui ne correspondent pas à l’homme qu’il est.
Avouons-le, de notre côté, nous avons cru que Rue du Commerce avait intentionnellement provoqué un bad buzz, selon l’adage « il n’y a pas de mauvaise publicité ». Mais non, l’entreprise assume totalement vouloir, en 2014, faire de l’humour avec des clichés vus et revus sur les hommes et les femmes. Et tant pis si ses client•e•s et ses employé•e•s, hommes comme femmes, se sentent insulté•e•s par le procédé.
La prochaine séance plénière du jury de déontologie de la publicité devrait avoir lieu début décembre. Affaire à suivre… et la suite ici :
À lire aussi : Rue du Commerce persiste et signe, avec une version « interdite aux hommes »
Article initialement publié le 4 novembre —
Fou rire et consternation rue du faubourg Poissonnière, lorsque la rédac de madmoiZelle est tombée sur « la page interdite », la dernière opération marketing de Rue du Commerce.
On vous la refait ici. En allant sur le site de Rue du Commerce, un écran d’avertissement vous barre l’entrée. On commence par le vif du sujet :
C’EST DE L’HUMOUR VOYONS ! LOL !
Bon, j’ai indiqué que j’étais une femme, on m’a laissée rentrer quand même. En cliquant sur l’onglet « Page interdite », il fallait entrer un mot de passe, communiqué par RueDuCommerce sur Twitter : « Chaleur » (alerte subtilité).
Des captures d’écran de cette page lamentable sont disponibles en fin d’article (avec un petit conseil d’action !).
Ce qui nous chagrine dans cette campagne, ce ne sont pas tant les stéréotypes sexistes caricaturant les femmes. Pensez-vous, on a l’habitude ! Il en faut quand même plus que ça pour nous chatouiller la plume. Les blagues à base de cuisine, les « ce que veulent les femmes », ces clichés sont déjà vus et revus dans la publicité.
En revanche, ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu un tel bingo de clichés sexistes réducteurs à destination des hommes. D’habitude, quand même, les marketeux laissent le beau rôle à ces messieurs. Pendant que Bobonne se délecte des nouveaux parfums de lessive, Môssieur s’extasie au volant de sa nouvelle voiture.
Mais non, pour Rue du Commerce, les hommes sont de gros beaufs en puissance. Et ce n’est pas nous qui le disons, mais les premiers concernés :
Oh, l’ironie.
Oh bah. Où est passée la légendaire solidarité masculine ?
« Il n’y a pas de mauvaise publicité »
En communication, l’adage selon lequel il n’y aurait « pas de mauvaise publicité » continue de conduire bien dans marques dans l’impasse. La tentation est grande de répondre à ces campagnes de provocation par l’ignorance, afin d’éviter d’apporter de l’attention (et donc du trafic) aux enseignes concernées.
À lire aussi : Renault Benelux et les « Women’s options » : décryptage d’un échec annoncé
Mais ça, c’était avant la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, entrée en vigueur cet été. Vous savez, cette loi qui prévoyait de renforcer la lutte contre les stéréotypes sexistes dans les médias ?
Il y a donc bien des « mauvaises publicités », qui sont d’ailleurs définies par les règles de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité, consultables sur leur site Internet. Citons-en un extrait :
Et si vous pensez que tout ceci est anecdotique, que ce n’est « que » de l’humour, cliquez sur ce lien :
À lire aussi : Les stéréotypes de genre sont dangereux pour la santé
Comment déposer une plainte auprès de l’ARPP ?
Tout est prévu, c’est fort pratique. Je vous propose de cliquer sur le lien suivant, et de renseigner le formulaire de plainte en bas de la page grâce aux informations ci-dessous :
Après vos informations personnelles, entrez les données suivantes :
- Nom de l’annonceur : Rue du Commerce
- Nom du produit : la Page Interdite
- Type de média sur lequel la publicité a été diffusée : cochez Internet
- Où avez-vous vu ou trouvé la publicité ? « sur le site rueducommerce.fr »
- Quand avez-vous vu ou trouvé la publicité ? Entrez la date et l’heure
Description de la publicité :
C’est un ramassis de clichés insultants reposant sur des stéréotypes sexistes.
Motif(s) de votre plainte :
Cette campagne de promotion ne respecte pas les principes énoncés dans les règles de déontologie de l’ARPP, et notamment celles relatives à l’image de la personne.
La diffusion de stéréotypes sexistes par un site à forte audience nuit tant aux hommes qu’aux femmes (oui, c’est une prouesse). Cette campagne vise à faire gagner de l’audience au site en faisant de la provocation, en misant sur l’indignation des personnes (nombreuses) qui ne manqueront pas d’être touchées par ces caricatures humiliantes.
Merci d’intervenir.
Pour terminer, on vous propose d’uploader un fichier : faites-vous plaisir dans notre sélection (ci-dessous), qui reprend les visuels proposés sur la « Page Interdite ». C’est cadeau ! Et comme cette campagne est aussi humiliante pour les hommes que pour les femmes, bonne nouvelle : tout le monde a intérêt à déposer une plainte.
Oh mais de rien voyons, si on peut se rendre utile…
Allez, je vous laisse, je vais envoyer mon formulaire. Quant à votre shopping de Noël, pensez à le faire sur un site qui ne méprise pas votre dignité d’être humain à des fins marketing…
Rue du Commerce, c’était bien. Mais ça, c’était avant…
À lire aussi : Macholand, une vigie citoyenne contre le sexisme
Belle opération pour Rue du Commerce, qui vient de perdre 100% de ses client•e•s au sein de la rédaction de madmoiZelle. On peut dire que c’est fédérateur.
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires