Elle avait été accueillie comme une petite révolution. La loi de « garantie intégrale de liberté sexuelle », surnommée la loi du « seul un oui est un oui (solo sí es sí ) », était une des mesures phares du mandat de Pédros Sanchez, président du gouvernement espagnol depuis juin 2018, à la tête d’une fragile coalition des gauches. Entrée en vigueur en octobre 2022, cette loi, reçue comme une percée majeure pour les droits des femmes en Espagne, avait pour objectif de replacer le consentement explicite au cœur de la définition des délits sexuels. En clair : un rapport sexuel où le consentement n’aurait pas été clairement verbalisé par chaque parti peut à présent être considéré comme une agression sexuelle, voire un viol. Une avancée de taille, donc, puisque avant cela, il incombait à la victime de démonter qu’il y avait eu violence ou intimidation pour faire reconnaître son viol.
Pour comprendre l’origine de cette loi, il faut revenir en 2016. L’affaire de « La Manada » [La meute en français, NDLR] bouleverse alors le pays. Cinq sevillans sont accusés d’avoir violé une jeune femme de 18 ans lors des fêtes de San Fermin, à Pampelune. La justice n’est pas du même avis : deux tribunaux considèrent d’abord qu’il s’agit d’abus sexuel. Ces décisions provoquent alors une vague de manifestations à travers le pays. Une mobilisation qui ne sera pas vaine : le Tribunal suprême reconnaît en 2019 qu’il y a bien eu viol et condamne les coupables à 15 ans de prison.
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Un texte à double tranchant
C’est donc dans le sillon de cette affaire que la loi « seul un oui est un oui » naît. L’idée ? Éviter une deuxième « Manada » en durcissant les sanctions pour délits sexuels.
Pourtant, un article du quotidien national El Pais, publié le 12 février 2023, révèle que la loi aurait également permis des réductions de peine : 46 personnes ayant commis des agressions sexuelles, soit un peu plus d’1% des 3900 détenus incarcérés pour ce type de délits, auraient ainsi bénéficié d’un aménagement de peine après son entrée en vigueur, en octobre dernier.
Le journal révèle également que parmi les 1479 décisions de justices révisées à la demande des avocats, et en application de la loi, 489 réductions de peine ont été accordées.
Un problème de définition ?
D’où vient ce dysfonctionnement ? Le texte de loi fusionne les notions d’abus sexuel et d’agression sexuelle (qui vont jusqu’au viol). Une modification qui, comme l’expliquent nos confrères de Médiapart, « fait disparaitre du Code pénal le délit d’abus sexuel. Cela entraîne, en toute logique, une fourchette de peines plus large pour le délit d’agression, puisque ce délit recouvre désormais un éventail de faits plus variés. Dans le cas des agressions avec pénétration (des viols dans le droit français), la fourchette passe ainsi de peines de 6 à 12 ans de prison, à des peines de 4 à 12 ans, avec l’option de faire jouer davantage de circonstances atténuantes ou aggravantes ». Le site espagnol InfoLibre, repris par Médiapart, détaille les implications concrètes d’un tel changement des textes : « un agresseur qui avait été condamné à la peine minimale sur la base du Code pénal antérieur à la réforme pourra bénéficier d’une réduction de sa peine, puisque la peine minimale [pour une agression] est désormais inférieure, depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi ».
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Une loi qui fragilise la gauche
Décrite par beaucoup comme un fiasco, cette loi cristallise bon nombre de tensions au sein de la coalition des gauches, à seulement quelques mois des élections générales qui se tiendront en Espagne en décembre prochain. Alors que le gouvernement a annoncé vouloir « corriger cette loi, sans nourrir la polémique », la gauche peine à se mettre d’accord sur les contours qu’une telle révision pourrait prendre. D’un côté, le parti socialiste appelle au durcissement des peines, de l’autre, le parti Podemos affirme qu’un tel durcissement consisterait en un retour en arrière, car il reviendrait à réintroduire le fait de devoir prouver l’intimidation ou la violence pour faire reconnaître un viol. Un climat d’instabilité qui pourrait bien laisser une voie royale pour la droite en décembre prochain…
Cet article est co-financé par le programme Erasmus+ de l’Union européenne.
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