Il y a un an, le hashtag #MeToo se répandait comme une traînée de poudre sur Twitter.
Toutes les femmes ayant joint leur parole pour qu’enfin on les écoute ont été distinguées, ont remporté des victoires, ont démontré leur force en lançant un mouvement d’ampleur…
Mais si le sujet est plus audible, le combat continue d’être d’actualité. L’occasion de relire cet article, et de se rappeler qu’il faudra encore du travail avant que la peur change réellement de camp.
– Article publié le 17 octobre 2017
« Moi aussi ». Comme une maladie honteuse qu’on avoue timidement, sauf qu’à cette échelle, ce n’est plus une maladie, c’est une véritable pandémie.
#MoiAussi en France.
#MeToo dans le monde anglophone.
#YoTambien en espagnol
#AncheIo, #QuellaVoltaChe en italien
#IchAuch en allemand.
…Et on arrive à la limite de ma capacité à retrouver les traductions du mot-clé qui défile depuis plusieurs jours déjà sur les réseaux sociaux.
C’est toujours une conséquence de l’affaire Weinstein, ce producteur-star accusé de harcèlement et d’agressions sexuelles par plusieurs dizaines de femmes.
Ça se savait, dans le milieu, que ce type avait un comportement extrêmement déplacé avec les femmes.
Comme en plaisante Vérino dans sa vidéo de la semaine, l’image d’un producteur libidineux qui abuse de son pouvoir, on se la représente bien, personne ne tombe véritablement de sa chaise en apprenant que ça existe.
Et c’est bien là le fond du problème, non ? On sait que ça existe, et ça n’étonne pas. Ça ne choque pas, ça ne révolte pas.
Mais depuis que les accusations portées contre Harvey Weinstein ont enfin été rendues publiques, prises au sérieux par la justice, les médias et la profession, la parole se libère.
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#MeToo, la terrible chaîne du harcèlement sexuel
Dimanche soir, l’actrice Alyssa Milano a partagé ce message sur son compte Twitter :
If you’ve been sexually harassed or assaulted write ‘me too’ as a reply to this tweet. pic.twitter.com/k2oeCiUf9n
— Alyssa Milano (@Alyssa_Milano) October 15, 2017
« Moi aussi.
Suggéré par un•e ami•e : si toutes les femmes qui ont été victimes de harcèlement ou d’agressions sexuelles écrivaient « moi aussi » en statut, on arriverait peut-être à montrer l’ampleur du problème. »
Mission accomplie : depuis dimanche soir, l’ampleur du problème a effectivement été comprise par la plupart des commentateurs.
En même temps, difficile de passer à côté des « moi aussi » qui fleurissent sur les réseaux sociaux.
Il y a celles qui racontent une, dix, trop d’histoires pour qu’on puisse croire à de la malchance statistique. À cette fréquence, c’est bien un problème systémique.
Il y a celles qui ne racontent pas, parce qu’aucun•e survivant•e ne doit son témoignage à qui que ce soit. Parce que certaines histoires ne se racontent pas en 140 caractères.
Parce que même dans l’élan de solidarité que ces hashtags porte ne suffit pas à (re)donner à certain•es le courage de parler.
Reminder that if a woman didn't post #MeToo, it doesn't mean she wasn't sexually assaulted or harassed. Survivors don't owe you their story.
— Alexis Benveniste (@apbenven) October 16, 2017
« Je rappelle que si une femme n’a pas posté « moi aussi », ça ne veut pas dire qu’elle n’a pas été victime de harcèlement ou d’agression. Les survivantes ne vous doivent pas leur histoire. »
#MoiAussi, et « la chasse aux porcs »
Ce mardi 17 octobre, Libération fait sa Une sur le sujet. « Porcs sur le gril » titre le quotidien, en référence à l’autre hashtag qui se maintient en « trending topics », c’est-à-dire parmi les plus populaires, depuis son lancement en France ce week-end.
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Bonjour! A la une de Libé ce mardi: «Porcs sur le gril». #balancetonporc https://t.co/MX57610Wq6 pic.twitter.com/kwN7VNrMhe
— Libération (@libe) October 17, 2017
Effectivement, si toute cette vague de témoignage peut en faire suer quelques uns, leur faire repenser leur comportement général vis-à-vis des femmes, je ne vais pas m’en plaindre.
Mais il serait réducteur de limiter le commentaire de ce qui est en train de se passer sur les réseaux sociaux à une envie de revanche.
Très peu de noms sont cités par celles qui prennent la parole, parce que le but ici n’est pas d’accuser, mais de témoigner.
À ce titre, le hashtag « balance ton porc » était donc certainement mal choisi, mais c’est anecdotique. Il ne s’agit pas, en effet, de « balancer » des noms : Twitter n’est pas un tribunal.
« Ne plus se taire est un enjeu démocratique » commente Raphaël Enthoven sur Europe 1. Mais pour le philosophe, « s’il est urgent que la loi change, c’est pour éviter qu’une justiciable se prenne pour une justicière ».
En effet, la délation sur les réseaux sociaux ne peut se substituer à un dépôt de plainte devant les autorités.
« Tant que ce hashtag ne sert pas à dénoncer des gens, à donner des noms, mais bien à rendre visible un problème de société, tout va bien », reprend Patrick Cohen.
Conclusion ? « Dénonce ton porc à la justice », comme si c’était une évidence à laquelle les victimes n’avaient pas pensé.
Sauf que, comme nous l’apprenions lors de la soirée dédiée au harcèlement sexuel sur France 2, mercredi 11 octobre : 95% des femmes qui dénoncent des faits de harcèlement sexuel perdent leur emploi, parmi celles qui ont été accompagnées par l’AVFT.
Harcèlement sexuel:95% des femmes qui le dénoncent perdent leur emploi.(Chiffre de l'AVFT repris ds le doc sur la 2) pic.twitter.com/PQVrB7Nb0j
— Aurélie Casse (@AureCasse) October 11, 2017
Sauf que, lorsqu’on voudrait dénoncer des faits similaires commis dans l’espace public, la police fait parfois partie du problème qu’il faudrait éradiquer…
Invitées de C à Vous, la journaliste et romancière Colombe Schneck, ainsi que l’actrice et animatrice Virginie de Clausade ont longuement commenté l’intention derrière leurs témoignages.
Toutes expliquent bien que leur objectif, en prenant la parole, n’est pas d’obtenir justice ni réparation — les réseaux sociaux ne sont effectivement pas le lieu pour ça.
Vous avez été agressée sexuellement? Le CFCV est à votre écoute et vous conseille au 0800 05 95 95. https://t.co/a9axHV6Ziy #balancetonporc
— Fondation des Femmes (@Fondationfemmes) October 15, 2017
Elles expliquent que ces phénomènes de harcèlement et d’agression n’ont rien à voir avec de la drague, que c’est bien l’ampleur du problème qui est dénoncé, à travers cette démarche de témoignage massif, davantage que les agresseurs, ces « porcs » en question.
« Je pourrais donner des noms, mais le propos n’est pas ça : on ne va pas envoyer tout le monde en taule.
Le propos, c’est qu’il y a une prise de conscience collective, et qu’on est tous témoins. Ça concerne tous les milieux. Tout le monde en a, des histoires.
C’est tous milieux, toutes catégories sociales, toutes religions, c’est tout le monde. »
(Je crois n’avoir jamais assisté à un plateau TV mixte, durant lequel aucun homme n’interrompt les femmes qui parlent. C’est apaisant, vous n’avez pas idée.)
#MoiAussi, symptôme enfin visible d’un pandémie à éradiquer
Ce qui est frappant depuis plus d’une semaine maintenant, depuis que l’affaire Weinstein a éclaté, c’est qu’on semble ne plus pouvoir ignorer le problème.
Face à la vague de témoignage, leur nombre vertigineux, les tentatives d’expliquer ces anecdotes par l’exception sont bien dérisoires.
Les « non mais toi, t’attires les relous. Non mais toi, t’as pas eu de chance. Non mais y a vraiment des mecs pas nets qui traînent… » ne font plus le poids face à des hashtags déclinés dans plusieurs langues, à travers la planète.
Agressions sexuelles : la parole se libère sur Twitter dans le monde entier https://t.co/A57WNYnydL #MeeToo #balancetonporc #AFP pic.twitter.com/5ThPIG2K2q
— Agence France-Presse (@afpfr) October 16, 2017
Le nombre de témoignages démontre ce que les féministes expliquent constamment : le sexisme est un problème culturel, profondément enraciné dans notre société.
Il n’est pas importé de je-ne-sais quelle culture étrangère, il n’est pas le fait d’une religion en particulier, il n’est pas la conséquence d’un manque de culture ou d’éducation dans tel ou tel milieu social.
Il est partout, omniprésent, et ces #MoiAussi le rendent enfin visible.
Les racines des violences sexistes, l’hypothèse de Florence Darel et Sophia Aram
Une question reste en suspens : comment est-ce possible que tant de femmes soient victimes de harcèlements et d’agressions sexuelles, qu’elles soient si nombreuses à le subir, si peu nombreuses à le dénoncer qu’alors, et encore moins nombreuses à obtenir justice ?
Comment est-ce possible que tant d’hommes se sentent en droit de traiter leurs collaboratrices, leurs subordonnées, ou de parfaites inconnues comme de la chair fraîche présentée en buffet ?
Comment est-ce possible que tant d’hommes soient les témoins de ces agissements, baignent dans cette culture sans réagir ?
Tous ne sont pas des « porcs », tous devraient cependant se sentir concerné par le problème que nous sommes en train de dénoncer.
Florence Darel, l’une des victimes d’Harvey Weinstein, a eu ces mots lors de son interview par Yann Barthès, sur le plateau de Quotidien. Ils éclairent bien les racines du problème :
« Les religions depuis des siècles ont fait que les femmes portent un poids, celui d’être celles par lequel le péché arrive.
Quand est-ce que les hommes vont être adultes, et considérer que les femmes ne sont pas un trophée, ne sont pas un butin qu’on ramasse quand on a le pouvoir ? »
Florence Darel, victime d’Harvey Weinstein, sur Quotidien.
#balancetonporc et Religions, le billet de Sophia Aram
Sophia Aram a repris cette citation de Florence Darel, pour développer le propos dans son billet du lundi 16 octobre, sur France Inter :
« Comment des hommes en viennent à considérer les femmes comme des butins, comme une extension de leur propriété, de leur pouvoir, comment, culturellement, en sont-ils là ?
Comment des femmes finissent par culpabiliser de cette situation, par quel truchement ce piège abscons s’est-il refermé sur les femmes ? […]
Si on en est encore là, c’est parce que c’est encore ancré dans le fondement de nos sociétés. »
Comment, culturellement, en sommes-nous là ? Tant de femmes, dans la culpabilité, la honte et l’omerta ?
Tant d’hommes, dans l’abus d’un pouvoir qu’on ne leur a jamais donné, dans l’incrédulité face à la parole des femmes ?
Une chose est sûre : ce n’est pas inscrit dans notre patrimoine génétique. Si ce n’est inné, c’est donc acquis… On va donc pouvoir s’en défaire.
Je vous propose qu’on s’y mette dès à présent. Vu l’ampleur du problème, on peut aisément décréter qu’il y a urgence.
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