Parler d’argent, en France, c’est encore tabou. Pourtant, c’est un sujet passionnant, et par certains aspects féministes. Dans notre rubrique Règlement de comptes, des personnes en tout genre viennent éplucher leur budget, nous parler de leur organisation financière en couple ou en solo, et de leur rapport à l’argent. Aujourd’hui, c’est Mathilde qui a accepté de nous ouvrir ses comptes.
- Prénom : Mathilde
- Âge : 28 ans
- Métier : Salariée agricole
- Revenus mensuels : 1 000€ par mois et 1 500€ pour sa partenaire, soit 2 500€ mensuels à deux
- Famille : Elle et sa compagne, Coralie
- Lieu de vie : Un appartement social, en Côtes d’Armor
Les revenus de Mathilde et de sa compagne
Après avoir travaillé plusieurs années dans le domaine de l’écologie, Mathilde s’est lancée dans l’agriculture pour pouvoir agir plus concrètement en faveur de la protection de la biodiversité.
Aujourd’hui, elle travaille trente heures par semaine en tant que salariée agricole, dans une ferme qui produit des artichauts et de la semence légumière (graines de chou-fleur, brocolis, épinards…). Elle explique :
« J’ai un contrat agricole TESA, un contrat simplifié et très souple pour l’employeur. En agriculture, on travaille avec du vivant et la météo. La charge de travail n’est pas constante dans l’année, il y a certains jours où je ne travaille pas par exemple (en cas de tempête, ou de canicule). En saison creuse, je travaille trente heures par semaine sur quatre jours, puis trente-six heures par semaine sur quatre jours en été.
Cet emploi est temporaire. En effet, je veux m’installer comme paysanne en maraîchage, houblon et microbrasserie à la ferme. Nous recherchons donc une ferme à acheter en Bretagne avec ma partenaire. »
Son temps partiel lui va bien, car il lui permet d’avoir une journée de libre par semaine pour se consacrer à ses projets — « wwoofing en maraîchage bio pour gagner en expérience, recherche d’une ferme à acheter, démarches administratives dans le cadre de l’installation en agriculture… »
Pour ce travail, elle gagne 1 000€ par mois. Un salaire qu’elle estime bas, pour un métier aussi important que l’agriculture :
« Mon taux horaire est plus élevé que la plupart des salaires agricoles du secteur : je gagne 12,35€ bruts par heure alors que la plupart de ces métiers sont payés au SMIC.
Je ne dirai pas pour autant que je suis bien payée. J’ai un salaire d’environ 1 000€ par mois pour un travail très dur physiquement. C’est aussi un travail nécessaire pour la société et c’est dommage que ces métiers ne soient pas mieux rémunérés. »
Coralie, sa compagne, gagne 1 500€ par mois pour son travail d’agent de développement dans le parapublic. À cela s’ajoutent 42€ de prime d’activité, et 120€ de chèques repas reçus par Coralie. En tout, cela représente un budget de 2 662€ mensuel.
L’organisation de Mathilde et de sa partenaire
Pour leurs finances quotidiennes, Mathilde et Coralie ont chacune leur compte en banque. Elle n’ont pas de compte commun, et se partagent les dépenses qui les concernent toutes les deux de manière égalitaire, via un Tricount (une application destinée à faire les comptes).
« Nous notons les dépenses communes sur le Tricount et nous partageons tout en deux. Les abonnements téléphoniques, assurances voitures, carburant, mutuelle et certains loisirs ne sont pas partagés.
C’est un mode de fonctionnement qui me convient bien. Ma compagne trouve que ce n’est pas tout à fait équitable : en effet, elle gagne plus que moi et aimerais que je paie moins. Mais ça ne me plairait pas, je me sentirais redevable. »
Le rapport à l’argent du couple
Mathilde et Coralie ont un rapport similaire à l’argent, qui n’est jamais source de conflit entre elles :
« Pour moi l’argent n’est pas une fin mais un moyen d’avoir la vie qui me plaît et de réaliser des projets. Je ne suis jamais à découvert. Pourtant, j’ai toujours peur d’en manquer. C’est cette petite crainte qui me permet de faire des choix raisonnés et de mettre de l’argent de côté tous les mois… »
Bien qu’ayant peur d’en manquer, les deux femmes cultivent un mode de vie qui ne place pas la consommation au centre de tout. Mathilde renchérit :
« Ce n’est pas un revenu énorme mais je dirais que ça correspond au mode de vie qu’on a actuellement, qui est plutôt simple. On habite à la campagne, on va de temps en temps au ciné ou au théâtre… Nos loisirs coûtent peu d’argent : par exemple, les balades dans la nature, ça ne coûte rien. On ne se prive pas, et on arrive à mettre un peu d’argent de côté pour nos projets futurs.
Par contre, quand on aura des enfants, ce sera sûrement plus compliqué ! Je sais que quand je serai paysanne, le salaire sera faible. J’espère pouvoir dégager 700€ par mois les premières années, puis l’équivalent d’un SMIC. Avec 1 200€ ça le fera ! »
Les dépenses du couple
Pour les deux partenaires, le poste de dépense principal ne se trouve pas dans le loyer, mais dans les frais de transport : vivant à la campagne, elles ont chacune une voiture et des frais conséquent liés à celles-ci.
Mathilde dépense 200€ par mois en frais d’essence pour se rendre sur son lieu de travail situé à 40 kilomètres, et compte environ 110€ de frais d’entretien (réparations, vidange, pneu…). Coralie, quant à elle, dépense 130€ en essence et 80€ en entretien. En tout, cela représente un budget de 528€ de frais de transport, auquel s’ajoutent 76€ pour leurs deux assurances automobiles.
Vient ensuite le loyer : pour un appartement de type logement social d’environ 60m2, dans une ville de 2 500 habitants, elles paient 372€ par mois charges comprises. Un lieu où elles ne devraient plus rester très longtemps, puisqu’elles sont déjà en train de visiter des fermes où s’installer à l’avenir.
Côté factures, leurs charges fixes s’élèvent à 178€ mensuels : 114€ d’électricité, 10€ de gaz pour leur cuisine, 14€ d’assurance habitation, et 40€ d’eau. Elles paient aussi chacune leur mutuelle respective, à 35€ pour Mathilde et 28€ pour sa partenaire.
« À l’avenir, je produirai nos légumes »
Les deux jeunes femmes dépensent en moyenne 230€ par mois en courses alimentaires.
« Pour les courses, nous consommons principalement bio et local, des produits tels que les fruits, les légumes, le pain, les œufs, la crèmerie… Nous nous fournissons au marché de producteurs à proximité, chez les producteurs directement, et une asso de type AMAP.
Et à l’avenir, quand nous serons installées dans notre ferme, nous n’achèterons plus de légumes ! Je les produirai, j’en vendrai, nous pourrons faire du troc avec d’autres paysans… »
Leur abonnement Internet leur coûte 35€, leurs deux abonnements téléphoniques 29€, et leur abonnement Deezer pour écouter de la musique est à 10€.
Le couple dépense peu en objets de première main : comme l’explique Mathilde, il est important tant pour leurs finances que pour leurs valeurs écologistes de privilégier l’occasion.
« Nos achats neufs sont toujours réfléchis et raisonnés. Sinon, on achète d’occasion, tout le temps, pour le budget et pour l’environnement. On aime aussi faire les choses nous-mêmes : j’ai fait notre canapé en palettes, et nous avons cousu les housses ! Pour les bibliothèques, pareil — on ne trouvait pas ce qui nous plaisait, donc j’ai acheté du bois et on les a fabriquées. »
Les dépenses de Mathilde pour les vêtements s’élèvent à une quinzaine d’euros par mois, vêtements de travail et de ville inclus. Leurs frais bancaires représentent 11€ par mois, presque autant que la redevance audiovisuelle qui leur coûte 11,5€ lissée à l’année.
« Les vacances au ski, c’était un craquage ! »
Les loisirs de Mathilde sont souvent liés à sa passion, qui sera bientôt son métier : le brassage de bière.
« C’est un postes de dépense assez important au regard de mes revenus. J’achète les ingrédients pour brasser ma bière, et cela représente environ 20€ chaque mois. C’est un loisir, une passion qui sera aussi mon travail dans quelques temps…. J’aime aussi acheter des bières artisanales, pour environ 25€ par mois. »
Les livres sont aussi une dépense régulière, que la future brasseuse a trouvé un moyen de réguler :
« Chaque mois, pour des livres d’occasion essentiellement, je dépense environ 15€. Pour diminuer ce poste de dépense j’ai mis en place un petit défi : pour chaque livre lu, je mets 1€ dans une tirelire et je n’ai le droit d’acheter des livres qu’avec l’argent de cette tirelire. »
Elle compte aussi 20€ pour du bricolage, 10€ pour des sorties… Et dans les derniers mois, un budget de 1 700€ pour des vacances au ski, qu’elle qualifie de « dernier craquage ».
« Nous sommes parties au ski en pension complète, à l’hôtel, pour avoir à ne nous soucier de rien et simplement profiter de nos vacances. C’était un gros craquage, mais ça nous a fait un bien fou ! Nous n’avons aucun regret, surtout qu’en temps normal, nos vacances sont bien moins chères : nous partons à vélo, avec nos tentes. «
L’été, cela représente plutôt un budget de 200€. Lissés à l’année, cela fait donc 1 900€ pour leurs vacances, soit 158€ par mois.
Une épargne pour la ferme, et pour une PMA
Pour préparer son installation agricole, Mathilde suit régulièrement des formations obligatoires qui lui coûtent aussi 100€ chaque mois.
Une fois ces dépenses faites, il leur reste une capacité d’épargne d’environ 220€ mensuels pour Mathilde, et 520€ pour sa partenaire. Des économies qui leur serviront, dans un futur proche, à acheter leur ferme :
« L’idée avec cette ferme, c’est qu’il y ait un espace d’habitation que nous paierons à deux, et un espace agricole que je paierai seule avec un prêt professionnel. En tout, cela devrait représenter plus de 200 000€. À l’heure actuelle, nous avons déjà constitué notre apport : dès qu’on trouve la ferme qui nous va, on l’achète ! «
Elles économisent pour se lancer dans un projet de PMA à l’étranger, pour lequel il leur faut mettre entre 7 et 10 000€ de côté, hébergement, déplacement et parcours médical inclus.
Merci beaucoup à Mathilde d’avoir répondu à nos questions.
Si jamais vous souhaitez commenter cet article, rappelez-vous qu’une vraie personne est susceptible de vous lire, merci donc de faire preuve de bienveillance et d’éviter les jugements.
Comme certaines d’entre vous l’ont relevé avec pertinence, la gestion de comptes d’un couple à un instant T ne dit pas tout…
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Image une : Photo de Gary Barnes provenant de Pexels
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Les Commentaires
Je n'ai pas de voiture, je vais au travail à vélo, et si je peux éviter ce gouffre incroyable, c'est pas plus mal. Je me pose la question avec l'inflation actuelle de comment vont faire les français au minima pour y arriver.