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Mascare : « Le cabaret est un art qui ne s’enferme pas dans un genre »

« Lesbienne géologique » du cabaret La Bouche, autogéré par les artistes qui l’ont co-fondé, et DJ en résidence à L’Œil, nouveau club queer qui vient de (ré)ouvrir, Elisa Violette Bernard alias Mascare nous raconte les dessous de son art. Interview-portrait.

« Je veux être une gouine heureuse », gueule la créature Mascare, au milieu d’une performance qui fait passer du rire aux larmes, de la déclamation poétique en spoken word au chant. C’est sur la scène de La Bouche, cabaret situé dans la cave d’un restaurant du 18e arrondissement de Paris, qu’elle vous cloue le bec. Elle fait partie du quatuor qui a co-fondé cet espace de subversion et de catharsis, avec Grand Soir, Soa de Muse, et Bili Bellegarde. Les quatre artistes ont donné leur premier show en février 2022, affirmant leurs singularités et leur indépendance, avec un effet émancipateur même pour l’audience. Car le cabaret La Bouche a la particularité d’être en auto-gestion, plutôt que de dépendre d’une direction trop souvent déconnectée des volontés créatives des artistes qui l’animent, comme c’est souvent le cas des lieux plus institutionnels. Alors, c’est une véritable claque artistique qui se déroule tous les week-ends ou presque dans La Bouche, avec le public comme cinquième larron, invité à interagir le plus que possible pour co-créer le spectacle, sans quatrième mur théâtral. Pour vous allécher, Mascare a accepté de répondre à quelques questions…

Interview de Mascare, co-fondatrice de La Bouche Cabaret

Madmoizelle. Comment vous présentez-vous dans la vie civile versus sur scène ?

Mascare. Je suis Mascare, on m’appelle comme ça sur scène et aussi dans la vie de tous les jours. Mon prénom civil, c’est Elisa Violette. Je suis née en France, j’ai reçu en héritage biologique un morceau d’Algérie et le déracinement qui va avec et un peu de la santé des mineurs de fond du nord de la France. Je suis souvent sur scène en tant que DJ, je produis de la musique. Et quand les machines me rendent dingue et que j’ai besoin de chair, je joue pour le théâtre et le cabaret.

Comment avez-vous découvert le cabaret, et qu’est-ce qui vous a donné envie de vous y lancer ?

J’ai découvert le cabaret en fréquentant Madame Arthur quand ça a rouvert il y a quelques années [ce lieu mythique a ouvert en 1946 comme premier cabaret travesti de Paris, dans le quartier de Pigalle, avant de fermer en 2010 et de rouvrir en 2015, sous la houlette de la salle de spectacle voisine, le Divan du Monde et de son propriétaire, Laurent Laffont, ainsi que la direction artistique de Jérôme Marin, dit Monsieur K].

Aussi par les films, notamment Cabaret, Simone Barbès ou la vertu, Lola, Une Femme est une femme, Ginger et Fred. Le goût du cabaret, je l’ai vite eu sur le bout de la langue parce que ce que j’ai vu tout de suite, c’était la possibilité d’être très libre, c’est-à-dire que le cabaret est un art qui ne s’enferme pas dans un genre, c’est à la lisière de plusieurs pratiques, zone trouble, et moi, je suis très trouble, donc ça m’a immédiatement plu.

Comment raconteriez-vous votre créature, le style de vos performances et leurs messages ?

Les moments sur scène que je propose sont à la lisière du chant, du théâtre et de la poésie « spoken word ». J’aime être à la fois très grave et très bête, Mascare n’a pas vraiment de sol sous ses pieds. C’est un être du passage, petit pote des comètes, sans genre, sans aucune envie de storyteller son rapport au monde, simplement là, avec pour grand amour la scène sous ses pieds. J’aime être très grave et très légère parce que c’est comme ça que je me situe dans le monde. Je ris beaucoup de tout et je me prends beaucoup de dureté dans le visage, tout en même temps.

En quoi le cabaret serait-il queer et féministe par essence selon vous ?

Je ne saurai répondre : l’essence pour moi, c’est dans ma moto et c’est tout [rires]. Je crois que ce sont les artistes qui façonnent la scène, donc si tu as une existence féministe et queer cela transpirera sur scène avec un peu de travail. Je ne veux pas faire dire quelque chose à la scène, je ne me sers pas de l’art comme d’un outil, je suis avec la scène, je respecte son mystère, elle respecte le mien. Et puis oui, je parle de ce qui me touche, mais je n’ai pas de discours sur les choses, je ne suis pas qu’un être politique, je suis un être fait de différentes facettes et ce sont toutes ces facettes qui discutent ensemble, travaillent ensemble. Je suis une lesbienne géologique, ça veut dire que je me sens appartenir au monde comme le dit Mary Oliver [poétesse lesbienne états-unienne, née en 1935 et morte en 2019] : « in the family of things ». Peut-être pour répondre un peu à la question je peux dire que chaque soir de cabaret sortent de ma bouche des mots d’êtres disparus, je dis les mots des gouines d’avant, de celleux qui ont combattu dur pour que moi, je puisse me tenir debout devant un public.

Qu’est-ce qui vous a donné envie, en octobre 2020, soit en pleine pandémie, de lancer le cabaret autogéré La Bouche ?

Alors la Bouche c’est vraiment une idée qu’ont eue Isabelle Grappotte, la patronne du CO [restaurant dans le 18e arrondissement de Paris dont la cave sert de scène au cabaret La Bouche] et Grand Soir [l’un des quatre artistes qui constituent La Bouche, avec Mascare, Bili Bellegarde, et Soa de Muse] qui se connaissent depuis longtemps. On était comme tout le monde triste comme les pierres et très isolé.es les un.es des autres. La Bouche est née de cette promesse de se dire que, quand tout rouvrirait, on créerait un nouveau lieu dans le panorama parisien. C’est l’émergence d’une petite île sur laquelle on peut passer un peu de bon temps.

A paris dans le 18ème le cabaret la bouche ouvre ces portes pour la première fois le 19 février 2022. Avec Grand Soir, Soa de Muse et le duo Namoro. Lieu : le bar à cocktails / restaurant LE CO
Grand Soir, Soa de Muse et le duo Namoro composé de Bili Bellegarde et Mascare. © Gaelle Matata

Qu’est-ce qui fait la singularité de La Bouche par rapport à d’autres cabarets ?

Je ne sais pas trop ce qui fait la singularité de La Bouche, je ne suis pas la mieux placée pour en parler, je pense, je trouve qu’on devient vite le commercial de son art et c’est quelque chose qui me met assez peu à l’aise. Peut-être le fait que ce sont quatre artistes qui tiennent la baraque : on est un peu comme une personne à 4 têtes, une hydre Suzy Solidor [nom de scène de Suzanne Marion : une chanteuse, actrice et romancière française, emblématique garçonne des années folles, qui chantait des amours lesbiennes]. On accueille les gens chez nous, c’est probablement ça qui fait la spécificité de ce lieu.

Pensez-vous que l’accumulation de crises sanitaires, sociales, et écologiques que nous traversons rendent d’autant plus importants et précieux des espaces de réunion, de dissidence, et de subversion comme les cabarets ?

Nous vivons une période très dure, le capitalisme néolibéral est un régime d’existence qui lutte rudement en ce moment pour imposer son rythme et sa marche, il y a une vraie crise de sens à tout ça. Dans les années 80, on pouvait s’aveugler très fort avec pas mal de pétrole et de cocaïne et aujourd’hui, on est plutôt choqué.es de voir des orangs-outangs calcinés, sacrifiés sur l’autel de la consommation. Voilà, c’est notre époque et je parle de singes là, mais c’est toute une partie de l’humanité qui se retrouve dans le viseur pour que le monde comme il est continue de mal tourner. C’est assez glaçant, et moi, j’aime regarder les choses en face, donc mon époque me va très bien. Et oui, les cabarets ont toujours été très prospères en période de crises économiques. Et c’est vrai, je fais ce métier aussi pour offrir pendant trois heures à 60 personnes un temps calme, une petite mi-temps dans le quotidien. D’ailleurs, j’ai appris récemment que j’avais fait une lap-dance un soir sur une célèbre personnalité de la Justice qui défend les droits de certaines victimes d’agresseurs sexuels, et que cette personne avait dit qu’après la journée de merde qu’elle avait passé, ça lui avait fait du bien de se faire chevaucher par Mascare. Voilà moi j’ai fait mon job. Happy Mascare.

« Je vais essayer de créer des set immersifs dans lesquels arrive de la fiction. J’aime bien l’idée de rendre poreux les arts entre eux. »

— Mascare

Dans la continuité de La Bouche, qu’est-ce que le club queer L’Œil, qui vient de rouvrir le 13 janvier 2023, et où vous venez de commencer une résidence en tant que DJ ?

L’Œil est un club fondé par Grand Soir il y a trois ans. C’est d’ailleurs là-bas qu’on s’est rencontrés tous les deux. Le club a ouvert un mois et demi et puis il y a eu le Covid et un tas de choses qui ont fait qu’il ne réouvre que maintenant. C’est un lieu de nuit festif qui a pour ambition d’être un espace de danse et de liberté en plein cœur de Paris. Pour moi, L’Œil ça pourrait devenir le prolongement temporel de La Bouche. Quand le cabaret se termine vers 23h, une petite navette, intérieur fourrure synthétique rose, attend devant dans la rue pour emmener celleux qui le souhaitent danser toute la nuit. En tant que DJ, j’apporte un peu de performance dans mes sets, je suis assez fan de Patrick Mason [directeur créatif, designer et performeur de la scène techno berlinoise, inspiré par la techno de Detroit et la scène house new-yorkaise], je ne peux pas m’empêcher de rendre scénique mes sets. C’est peut-être là le lien avec le cabaret.

Qu’est-ce que vous ressentez quand vous mixez pour L’Œil par rapport à d’autres clubs ?

Je commence juste ma résidence DJ à l’Œil et je mixe depuis moins d’un an donc ce n’est pas évident d’avoir déjà le recul pour répondre. Mais je sais que l’Œil, c’est la maison. Je vais essayer de créer des set immersifs dans lesquels arrive de la fiction. J’aime bien l’idée de rendre poreux les arts entre eux.

Pourquoi vous paraît-il important de (continuer de) créer des espaces résolument Trans-Pédé-Gouines aujourd’hui en France ?

Les espaces TPG sont vitaux parce que même si ce sont des lieux dans lesquels on s’épuise le corps à danser toute la nuit, ce sont aussi, paradoxalement, les lieux dans lesquelles on se repose. On se repose du monde extérieur.

Cabaret La Bouche, 15 Rue Esclangon, 75018 Paris, les jeudis, vendredis et samedis soirs, à partir de 20 € l’entrée.

Club L’Œil, 33 rue des Petits-Champs, 75002 Paris, les jeudis, vendredis et samedis soirs, 10 € l’entrée.

À lire aussi : De 1982 à 2022, la pièce sur le sida The Normal Heart n’a rien perdu de sa puissance

Crédit photo de Une : Marina VGR


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