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Source : ATD Quart Monde
Société

Martine Le Corre, militante ATD Quart Monde : « J’ai appris à connaître mon milieu, à aimer les miens et à les respecter »

Née dans une famille nombreuse dans une cité défavorisée près de Caen, Martine Le Corre a connu la grande précarité avant de faire la connaissance du père Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde. Militante pendant cinquante ans, elle nous raconte aujourd’hui son parcours de vie, de la pauvreté à la délégation générale du Mouvement. 

Martine Le Corre, 68 ans, a l’engagement militant chevillé au corps. Depuis cinquante ans, cette Caennaise d’origine, chevelure courte et argentée, se bat contre la grande précarité auprès du Mouvement ATD Quart Monde

Si Martine Le Corre est si déterminée à endiguer la pauvreté, c’est parce qu’elle-même l’a connue dès son plus jeune âge. Dans son récit de vie Les miens sont ma force, publié le 15 septembre aux éditions Quart Monde/Le Bord de l’eau, elle revient sur les sources de son engagement et sur sa découverte du Mouvement qui va bouleverser sa vie et donner corps à sa carrière.

La naissance d’un instinct militant

Née en 1955 dans un bidonville de Caen (Calvados), Martine Le Corre grandit dans une famille de 14 enfants. « Avec ma famille, on a fait les quatre coins de la ville de Caen, à vivre dans les quartiers à mauvaise réputation, où on a vécu d’expulsion en expulsion. »

« Ce n’est jamais facile pour un enfant, pour une fratrie, de se retrouver en permanence mise à la rue, avec le peu de meubles qu’il y avait jetés dehors ou mis à la vente aux enchères, avant d’être recueillie à droite, à gauche. Tout cela a été extrêmement douloureux à vivre, et traumatisant pour un enfant. Ça ne peut que générer des peurs et des craintes dans la vie, dans le quotidien. »

Malgré ses conditions de vie difficiles, la jeune Martine s’accroche. « J’ai toujours adoré l’école, j’adorais apprendre et j’étais bonne élève. Mais c’est l’école qui ne m’a pas aimée. »

Parce qu’elle « ne rentrait pas dans les cases », « ne correspondait pas à une certaine norme », la jeune fille qu’elle était alors finie par décrocher. Déscolarisée à l’âge de 13 ans, mère célibataire à 18, Martine Le Corre fait la rencontre qui va changer sa vie. 

« Quelques mois avant la naissance de mon premier enfant, un couple de volontaires d’ATD Quart Monde est venu habiter la cité où on avait été relogés avec mes parents. On ne savait pas qui ils étaient, on se méfiait d’eux car ils ne nous ressemblaient absolument pas, ils ne parlaient pas comme nous. On leur a fait mille et une misère. Mais ils restaient là, et ils nous tenaient tête. Ils nous disaient qu’ils étaient persuadés que nous étions des personnes capables de leur apporter beaucoup, capables de faire des choses, de faire de notre vie un combat. Personne ne nous avait jamais dit de telles choses auparavant. »

Martine Le Corre décide alors de commencer à militer au sein d’ATD à leurs côtés. « Pour moi, ça a été la porte ouverte sur une issue de secours. Pour la première fois, on ne me renvoyait pas à notre vie de misère, on nous proposait un combat contre elle. Ça a tout changé. »

Puis, elle fait la connaissance du père Joseph Wresinski. Devant un parterre de jeunes adultes venus spécialement pour l’écouter, le fondateur d’ATD-Quart Monde tient un discours qui galvanise Martine Le Corre. « Ça a été le point le plus fort, ce qui a mis à jour en moi une combativité et un instinct militant. »

« Il nous a complètement déculpabilisé tout en nous engageant à ce que les choses changent. Il s’adressait à nous en disant que nous n’étions pas des « bons à rien », que nous n’étions pas des voyous, que nos parents ne sont pas démissionnaires. Mais qu’on était capables de rentrer dans un combat pour dénoncer ce qu’on nous oblige à subir. C’est comme si on nous ouvrait une porte vers notre avenir, ça a été fantastique. »

À lire aussi : Mégasurprise (non) : quand on donne de l’argent aux parents pauvres, ils le dépensent pour leurs enfants

Apprendre à aimer son milieu

Encore aujourd’hui, les préjugés sur les pauvres ont la peau dure. « On dit qu’ils ne veulent pas bosser, que s’ils vivent ces situations, c’est qu’ils le veulent bien, parce qu’ils ne font pas d’efforts, qu’ils ont des carences intellectuelles, qu’ils se complaisent dans la saleté, l’alcoolisme… », énumère Martine Le Corre, amère. 

Les chiffres de l’Insee, datant de 2019, sont pourtant formels : 2 millions de personnes qui travaillent sont pauvres en France, soit 8 % des travailleurs et travailleuses – loin du cliché du pauvre « fainéant » qui vit grassement des allocations. La pauvreté est aussi liée au genre et à l’origine ethnique : les femmes et les personnes racisées sont surreprésentées parmi les pauvres

C’est pour toutes ces personnes dans le besoin que Martine Le Corre a poussé plus loin son engagement, jusqu’à faire toute sa carrière auprès d’ATD. « J’ai eu une chance incroyable, c’est d’avoir été vraiment formée par le Père Joseph, qui a passé beaucoup de temps à me questionner, à me faire découvrir les plus pauvres de là où j’habitais, à avoir des exigences à mon égard. »

Auprès de Joseph Wresinski, Martine Le Corre a « appris à connaître son milieu, à aimer les siens et à les respecter ». « Le Père Joseph ne m’a jamais extraite de mon milieu, il m’en a mise au coeur », écrit-elle dans son autobiographie. 

« Cela m’a pris des années pour me sentir à ma place »

Dès lors, elle n’a plus quitté le Mouvement, au sein duquel elle a bâti toute sa carrière, jusqu’à rejoindre l’équipe de la Délégation générale (direction internationale) en 2017. 

Pour autant, « ça n’a pas été un long fleuve tranquille », assure Martine Le Corre.

« Il y a eu des moments d’amour, et d’autres de désamour. Le parcours d’engagement d’une militante Quart Monde comme moi est semé d’embûches. Parce qu’il ne faut pas croire : ce que la misère détruit, la vie ne le répare pas forcément. Et des traces, des fragilités restent, qu’il faut apprendre à canaliser. Et cela prend un temps immense. Cela m’a pris des années pour me sentir vraiment libre, à ma place. »

Après avoir notamment activement participé au lancement des universités populaires Quart Monde, puis voyagé aux quatre coins du monde pour lancer des actions d’ampleur internationale, Martine Le Corre a quitté en 2021 la délégation générale du mouvement. Mais reste, encore aujourd’hui, profondément engagée dans la lutte contre la pauvreté. 

Après être partie quelques mois à l’Île Maurice avec une volontaire pour y bâtir ensemble l’université populaire Quart Monde, elle reste en soutien de l’équipe locale, tout comme celle d’Haïti ou encore celle de sa région, la Normandie. 

Car malgré les beaux discours des politiques, la pauvreté est encore loin d’être combattue, en France comme ailleurs. Selon les associations caritatives, un million de personnes seraient tombées dans la pauvreté depuis la crise sanitaire du Covid dans l’Hexagone. En 2020, jusqu’à 7 millions de personnes auraient eu recours à l’aide alimentaire, soit près de 10 % de la population française.

« Je considère que nos politiques n’ont pas pris la mesure. Et quand on ne prend pas la mesure, cela veut aussi dire qu’on ne travaille pas en profondeur à la résolution du problème qu’est la grande pauvreté. Ce n’est absolument pas normal de considérer que seules les associations peuvent gérer les crises, estime Martine Le Corre. J’aime beaucoup ce qu’a fait Coluche avec les Restos du Coeur, mais je suis absolument convaincue que ce type d’association est lancée avec l’espoir que ça ne s’éternise pas, que ça ne se pérénise pas. Mais malheureusement, on n’en voit pas le bout. La question à ce poser, c’est quel est le niveau de délaissement de la part de nos politiques. »

La militante historique d’ATD est d’ailleurs lucide sur l’avenir. Selon elle, la pauvreté est toujours la même que dans les années 60-70 de son enfance. « Il est vrai que les bidonvilles de mon époque ont été plus ou moins résorbés. Quoi que, avec les questions de migration, ils reviennent en force. »

« J’ai vu des choses faites dans nos quartiers. ‘On a gentrifié les quartiers’, disent-ils. Ça veut dire qu’on leur a donné des coups de peinture, qu’on leur a fait des ravalements, des aménagements extérieurs, on a clôturé deux-trois barres d’immeubles pour les séparer de deux-trois autres… Mais l’intérieur reste le même, rien n’a changé. C’est que de la poudre aux yeux, tout ça. Et ça, c’est profondément injuste car on ne s’attaque pas aux racines du mal, on se contente de colmater les brèches. »

Militante un jour, militante toujours. 

Martine Le Corre, Les miens sont ma force. Récit d’une combattante pour la digité, éd. ATD Quart Monde / Le Bord de l’eau.

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