Article initialement publié le 17 novembre 2016
« Pleurer demande du courage » : c’est en l’essence le message de « Man Up », une campagne de prévention contre le suicide, ciblée sur les Australiens.
C’est AJ+ qui condense le problème, dans une vidéo synthétique comme d’habitude, partagée sur Facebook.
Gus Worland, animateur de radio et de télévision, raconte comment le suicide de son meilleur ami l’a mené à réaliser à quel point les hommes ne parlent pas de leurs émotions. C’est cet événement tragique qui l’a poussé à réaliser une série sur la masculinité en Australie, Man Up !.
Les effets néfastes de la masculinité
« Man Up » se traduit en Français par « sois un homme ! », une dangereuse injonction objet d’un excellent documentaire portant précisément sur les effets néfastes de l’éducation des garçons selon des standards de masculinité exacerbée. C’est, par exemple, le fait de ne pas autoriser les petits garçons à pleurer, à exprimer leurs émotions.
Ce sont précisément ces idées reçues qu’on inculque aux enfants, tous ces stéréotypes qui s’imposent socialement à eux, qui sont dénoncés dans cette habile campagne, sous le slogan provocateur Man Up !.
« Avant qu’on ne puisse parler, pleurer nous permet de survivre. Alors pourquoi dit-on aux garçons de ne pas pleurer ? De se durcir ? « D’avoir des couilles » ?
Arrêtons ça. Si tu te sens mal, parles-en. Parce que le silence peut tuer. Montrer sa douleur, ça demande des tripes. Il faut être « un homme » pour affronter ses émotions. Pleurer demande du courage.
Sois un homme, parles-en. »
Le spot retourne les injonctions à la virilité vers l’ouverture et l’acceptation de soi et de ses émotions : des messages trop peu renvoyés aux garçons, aux adolescents, aux hommes en général.
Le suicide, première cause de mortalité chez les Australiens de 15 à 44 ans
Encourager les hommes à « oser pleurer », à ne pas avoir honte d’exprimer leurs émotions, mais au contraire, d’être à l’écoute d’eux-mêmes et de leurs souffrances psychologiques (au même titre que les femmes !) est le coeur de cette campagne de prévention du suicide en Australie.
En effet, le suicide y est la première cause de mortalité des hommes australiens âgés de 15 à 44 ans. Plus de 75% des suicides en Australie sont commis par des hommes ; ces chiffres sont encore plus alarmants lorsqu’on isole les populations LGBT et intersexes.
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L’un des facteurs aggravant le recours au suicide chez les hommes est expliqué par la pression sociale très forte exercée sur les représentations de la masculinité.
« Les interactions sociales des hommes sont conditionnées d’un manière qui renforce des normes de stoïcisme, l’indépendance, l’invulnérabilité et l’évitement des émotions négatives.
La conformité aux normes masculines traditionnelles a été associée aux pensées suicidaires, aux tentatives de suicide, à l’abus d’alcool et de stupéfiants, et à une attitude négative envers le fait de chercher de l’aide. »
Man Up veut changer ça en Australie, et pousser les hommes à affronter leurs émotions, à en parler, à ne pas s’enfermer dans la douleur et la colère, par peur du regard et du jugement social. C’est d’ailleurs la conclusion du spot :
« Ce message a été écrit et approuvé par ta mère, ton père, et tous les potes que tu as jamais eu. Ta femme, ton fils, ta fille, ton frère, ta soeur, tu manqueras à tout le monde. Ta petite amie, ton petit ami, la fille du bar à lait, tes voisins proches et lointains. Ton prof, ton chien, ton coiffeur, ton patron, ils seront tous endeuillés par ton départ.
Ces petits mots ont été laissés là pour toi, avec tout l’amour de ceux que tu laisserais derrière… »
Les stéréotypes de genre sont vraiment dangereux
Cette campagne intelligente rappelle que le sexisme nous affecte toutes et tous, à des degrés divers selon nos histoires personnelles et nos caractères. Un rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, publié en janvier 2014, pointant déjà ces mêmes dangers pour la santé des jeunes filles et des jeunes garçons en France. Extrait :
« Les jeunes Français·es sont globalement en bonne santé, il ne faudrait pas dramatiser. Mais il est inquiétant de constater que le conditionnement genré opéré depuis la plus petite enfance finit par produire des effets concrets et néfastes sur la santé des adolescent·es.
Soucieux de se conformer à leur genre, en pleine construction identitaire, les garçons vont avoir des comportements à risques, davantage de comportements violents. Ils prennent moins soin de leur santé que les filles, qui sont par exemple plus assidues sur les soins bucco-dentaires.
À partir de 15 ans, on constate davantage de problèmes psychologiques chez les filles : estime de soi, troubles du comportement alimentaire… elles sont plus nombreuses à être diagnostiquées en dépression.
« Chez les 15-19 ans, les filles sont environ cinq fois plus nombreuses que les garçons à avoir fait une tentative de suicide durant l’année écoulée (2% contre 0,4 % en 2010).
Cependant, le taux de mortalité des garçons de moins de 24 ans par suicide est trois fois plus élevé que celui des filles. Cela est notamment dû aux modalités employées, les hommes ayant davantage recours à des moyens plus radicaux (pendaison, arme à feu). »
La synthèse commentée de ce rapport à retrouver dans notre article publié en janvier 2014 sur le sujet : Les stéréotypes de genre sont dangereux pour la santé.
Quand on vous dit que le féminisme, pour beaucoup, c’est une question de survie, on n’est pas loin de la vérité, et on ne parle pas que des femmes…
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Les Commentaires
La veille (9 septembre), l'OMS a publié un rapport qui dénombre 800 000 suicides par an, une personne toutes les 40 secondes... Même si l'OMS indique une baisse du taux par habitant, cela reste très élevé.
Il nous rappelle aussi l'important écart du taux de suicide entre femmes et hommes, nettement plus élevé pour ces derniers à peu près partout dans le monde (à quelques exceptions près, dont la Chine et l'Inde), trois fois plus en France.
Ce point se rapporte à l'article, qui traite de l'influence morbide des stéréotypes de genre.
Evidemment, ces stéréotypes pèsent lourdement sur le genre féminin (d'ailleurs, les tentatives de suicide sont plus nombreuses chez les femmes).
Mais pas seulement !
L'importance du nombre de suicides masculins résulte certes de divers facteurs.
Mais parmi lesquels, comme le rappelle l'article, l'idée reçue que les hommes ne sont pas sensibles, pas fragiles, pas vulnérables. Qu'ils ne doivent pas l'être. Ni l'exprimer. Fermez-là !
Emotion, fragilité, vulnérabilité : c'est féminin.
Ces préjugés sexistes (contre les deux genres ) me paraissent toujours aussi vivaces...