Article initialement publié le 31 décembre 2014
Leelah avait 17 ans. Avant de mettre fin à ses jours le 28 décembre dernier, elle a programmé la publication de sa lettre d’adieu sur son Tumblr. La voici traduite (merci à Mrs Carter sur le forum pour son énorme coup de main) :
« Si vous lisez ce texte, c’est que je me suis suicidée, et donc que je n’ai pas pu effacer ce post de ma liste de publication.
Ne soyez pas tristes, s’il vous plait, c’est pour le mieux. La vie que j’aurais dû mener n’en valait pas la peine… parce que je suis transgenre. Je pourrais sans doute développer davantage pourquoi tel est mon sentiment, mais cette note ne sera probablement pas assez longue pour cela.
Pour le dire simplement, je me sens comme une fille prisonnière du corps d’un homme, et je me suis sentie ainsi depuis mes 4 ans. Je ne savais pas qu’il existait un mot pour décrire cette sensation, ni qu’il était possible pour un garçon de devenir une fille, alors je n’ai rien dit à personne, et j’ai continué à faire des choses « traditionnellement » masculines, pour essayer de m’intégrer.
À 14 ans, j’ai appris ce que transgenre voulait dire, et j’en ai pleuré de joie. Après 10 ans de confusion, je comprenais enfin qui j’étais. Je l’ai immédiatement dit à ma mère, qui a réagi très négativement. Elle me disait que c’était une phase, que je ne serai jamais vraiment une fille, que Dieu ne se trompait pas, que c’était moi qui faisais erreur. Si vous lisez ceci, parents, s’il vous plait, ne dites jamais cela à vos enfants. Même si vous êtes chrétien, ou contre les personnes trasngenres, ne dites jamais cela à quelqu’un, surtout pas à vos propres enfants. Cela n’accomplira rien du tout, mis à part les amener à se détester davantage. C’est exactement ce que ça m’a fait.
Ma mère a commencé à m’amener chez un psy, mais seulement des psys chrétiens, (qui avaient des préjugés très forts) je n’ai donc jamais reçu la thérapie dont j’avais besoin pour soigner ma dépression. Je n’ai eu droit qu’à encore davantage de chrétiens me disant que j’étais égoïste, que j’avais tort, que je devais me tourner vers Dieu pour trouver de l’aide.
À 16 ans, j’ai réalisé que mes parents ne changeraient pas d’avis, et que j’allais devoir attendre jusqu’à mes 18 ans pour commencer un traitement de transition. Cela m’a absolument brisé le cœur. Plus on attend, et plus il est difficile de faire sa transition. Je me sentais perdue, forcée de ressembler à un homme travesti pour le reste de ma vie. Le jour de mon 16ème anniversaire, n’ayant pas obtenu l’aval de mes parents pour commencer ma transition, je me suis endormie en pleurant.
J’ai commencé à me rebeller contre mes parents. J’ai fait mon coming out en tant que gay au lycée, en pensant que si j’arrivais progressivement vers un coming out en tant que trans, le choc serait moins brutal. La réaction de mes amis fut positive, mais mes parents étaient furieux. Ils ressentaient mon coming out comme une atteinte à leur image, à leurs valeurs. J’étais une honte pour eux. Ils voulaient que je sois leur parfait petit garçon chrétien et hétérosexuel, et ce n’était manifestement pas ce que je désirais.
Alors ils m’ont retirée de l’école, m’ont confisqué mon téléphone et mon ordinateur portable, et m’ont interdit de m’inscrire sur les réseaux sociaux, m’isolant complètement de mes ami•e•s. Ça a probablement été le moment de ma vie où j’étais le plus déprimée, et je suis surprise de ne pas m’être suicidée alors. Pendant 5 mois, j’étais complètement seule. Aucun•e ami•e, aucun soutien, pas d’amour… Rien d’autre que la déception de mes parents et la cruauté de la solitude.
A la fin de l’année scolaire, mes parents ont finalement changé d’avis, ils m’ont rendu mon téléphone et permis de me réinscrire sur les réseaux sociaux. J’étais excitée, j’allais enfin retrouver mes ami•e•s. Ils étaient extrêmement enthousiastes de me parler et de me revoir, mais seulement au premier abord. Ils ont très vite réalisé qu’ils n’en avaient pas grand chose à foutre de moi, et je me suis sentie encore plus seule qu’auparavant. Les seul•e•s ami•e•s que je croyais avoir m’appréciaient seulement parce qu’ils me voyaient cinq fois par semaine.
Après tout un été passé presque sans amis, ajouté au stress de devoir me préparer à l’université, économiser pour pouvoir déménager, tout en continuant à bien travailler à l’école, aller à l’église toutes les semaines et me sentir comme une merde parce que tout le monde juge et s’oppose à ce que je suis.
J’ai décidé que j’en avais assez. Je ne vais jamais pouvoir transitionner avec succès, même si je déménage. Je ne serai jamais satisfaite de mon apparence ou de ma voix. Je n’aurai jamais assez d’ami•e•s, jamais assez d’amour pour me satisfaire. Je ne pourrai jamais trouver un homme qui m’aime pour ce que je suis. Je ne serai jamais heureuse. Soit je continue à vivre le reste de mes jours en étant l’homme seul qui souhaiterait être une femme, soit je vis ma vie en étant une femme encore plus seule, et qui se déteste.
Impossible de gagner. Impossible de s’en sortir. Je suis déjà assez triste, je n’ai pas besoin que ma vie devienne pire encore. Les gens disent que « ça ira mieux » par la suite, mais dans mon cas ce n’est pas vrai. Ça empire. Chaque jour, mon état empire.
C’est à peu près tout, et c’est pourquoi je ressens l’envie de me suicider. Désolée si ce n’est pas une assez bonne raison pour vous, ça l’est assez pour moi.
Concernant mon testament, je veux que tout ce que je détiens légalement soit vendu et que l’argent (ainsi que l’argent de mon compte bancaire) soit versé à une association de soutien et de défense des droits civiques des trans*, peu importe lequel.
Je ne pourrais reposer en paix que si un jour, les personnes transgenres ne sont plus traitées comme je l’ai été. Qu’elles soient traitées comme des êtres humains. Le genre doit être enseigné à l’école, et le plus tôt sera le mieux. Ma mort doit servir à quelque chose. Ma mort doit être ajoutée au nombre de personnes transgenres s’étant suicidées cette année. Je veux que quelqu’un regarde ce nombre et dise « c’est grave » et qu’on fasse quelque chose. Changez cette société.
S’il vous plaît.
Adieu,
(Leelah)
JoshAlcorn »
« Dieu ne se trompe jamais »
Je ne sais à qui présenter des condoléances, puisque la propre mère de Leelah semble décidée à manquer de respect à la mémoire de sa fille, en publiant ce message sur sa page Facebook (désormais complètement privée) :
« Mon fils de 16 ans, Joshua Ryan Alcorn, a rejoint le paradis ce matin. Il est sorti pour se promener, et a été renversé par un camion. Merci pour vos messages de sympathie. Continuez s’il vous plait de nous accompagner dans vos prières. »
Relevons tout de même l’ironie de l’argument « c’est toi qui a tort, Dieu ne se trompe jamais » à propos de se sentir prisonnier du mauvais corps, quand on sait que les enfants qui naissent sans présenter de caractères sexuels déterminés sont assignés à l’un ou l’autre genre, et leurs organes génitaux reconstruits chirurgicalement, sur décision des parents et des médecins. Vincent Guillot, né intersexe, témoigne :
« On a des chiffres. C’est 8 000 naissances par an en France et 2 000 mutilations. »
Si Dieu ne se trompe pas, alors il faut accepter qu’« Il » n’assigne pas tous les enfants qui naissent à l’un ou l’autre sexe, leur laissant le choix de se déterminer par eux-mêmes. Choisissez votre camp, camarade. Soit l’homme a le pouvoir de déterminer le genre et le sexe d’un enfant, et dans ce cas, pourquoi ne pas reconnaître ce droit aux premier•e•s concerné•e•s ? Soit l’homme n’a pas ce pouvoir, et vraiment, laissez les personnes intersexes se déterminer elles-mêmes, et laissons-les également choisir de ne pas s’identifier à l’un ou l’autre genre en particulier.
L’Allemagne a déjà fait un pas dans cette direction en permettant aux parents de déclarer le sexe de leur enfant « indéterminé », en attendant qu’il soit en âge de pouvoir le choisir. C’est une première étape.
À lire aussi : Le sexe « indéterminé » bientôt officiellement reconnu en Allemagne
« Changez cette société »
Une autre note était en attente de publication sur le Tumblr de Leelah, car ELLE s’appelait LEELAH, selon son propre souhait, et la persistance de sa mère à la genrer et la nommer au masculin sont une insulte à sa mémoire. Être parent ne donne pas le droit de déposséder l’enfant de son identité.
Leelah a présenté des excuses à quelques proches, parmi lesquels ne figurent pas ses parents :
« Papa et Maman : allez vous faire foutre. Vous ne pouvez pas contrôler quelqu’un d’autre à ce point. C’est vraiment abusé. »
Pour un exemple de parents réagissant avec logique et empathie face à la transidentité de leur fils, on ira plutôt voir du côté de la famille de Ryland, histoire de reprendre foi en l’humanité.
Le plaidoyer de Leelah pour un changement des mentalités est une urgence vitale. C’est trop tard pour elle, mais il ne tient qu’à nous, collectivement, d’enrayer le cercle de dépression et de souffrance des personnes trans, en acceptant tout simplement que la transidentité existe, ce n’est pas grave, ce n’est pas un drame, ce n’est certainement pas une raison d’exclure ces personnes en les renvoyant en permanence à leur différence. Utiliser le genre et les pronoms qu’une personne a choisis plutôt que ceux qu’on lui a assigné à la naissance, ce n’est pas un effort surhumain, loin de là.
Cette reconnaissance est indispensable, pour qu’enfin les pouvoirs publics se saisissent des problèmes rencontrés par les personnes trans* au quotidien, dans une société extrêmement hiérarchisée selon le genre, une clé d’identification qui ne permet pas de ranger tout le monde dans l’une ou l’autre case. Pour en savoir plus, lisez le témoignage de Salomé sur la situation des trans* en France.
Leelah voulait qu’on regarde les statistiques des suicides chez les personnes transgenres, et qu’on prenne toute la mesure du problème. Voici les chiffres français, extraites de l’état des lieux des connaissances et perspectives de recherche de l’Observatoire national du suicide, un rapport publié le 1er novembre 2014 :
Vous voyez le problème ? La population transgenre ne fait même pas l’objet d’une étude spécifique. Le terme « transgenre » apparait deux fois, dans un rapport de 176 pages (sans les annexes).
Je veux bien comprendre que la société a besoin d’électrochocs pour que les mentalités évoluent. Mais que ces électrochocs doivent être le suicide d’adolescent•e•s est un coût bien trop élevé, disproportionné par rapport à l’effort qu’il nous est demandé, en tant que société : accepter la différence.
Combien de morts encore pour reconnaître à d’autres le droit d’exister ?
Rest in Peace, Leelah.
À lire aussi : Shiloh Jolie-Pitt veut s’appeler John… et ses parents le respectent
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Les Commentaires
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Quelle grâce, quelle sensibilité... Je ne peux pas m'empêcher d'imaginer que dans une dimension parallèle, elle a rencontré des gens bien qui l'ont encouragée, écoutée, comprise et qu'elle va bien, qu'elle n'habite plus chez ses parents, qu'elle dessine encore...
R.I.P.