Vous avez déjà sans doute entendu dans les médias ces pères, membres d’associations, qui réclament d’avoir la garde alternée ou encore de voir leurs enfants, qui seraient séquestrés par leur mère.
Comment ne pas s’apitoyer sur le sort de pères qui demandent plus d’égalité dans la parentalité ! Eh bien, tout cela n’est qu’un leurre, et les associations auxquelles ils appartiennent reposent bien souvent sur un masculinisme bien dissimulé.
C’est en grande partie grâce à l’incroyable travail du sociologue Édouard Leport que nous avons accès aux réelles demandes de ces groupes de pères, dont il a interrogé des membres pour son travail de recherche.
Dans son livre issu de sa thèse, Les papas en danger ?, paru le 20 janvier, le chercheur produit un énorme travail d’analyse de ces associations, qui, sous couvert de demandes qui paraissent légitimes, ont en effet des visées bien plus égoïstes.
Dans la culture populaire, l’idée selon laquelle les pères sont désavantagés au profit des mères pour la garde des enfants a toujours circulé, comme il le rappelle dans le livre, « depuis Daniel Balavoine chantant en 1980 Mon fils, ma bataille aux Papas du week-end de Pierpoljak en 2015, en passant par Le droit des pères de Cali en 2008. […] ou le si innocent Madame Doubtfire de Chris Columbus, sorti en 1993. »
Ces associations françaises se basent sur des chiffres réels mais en tirent un argumentaire biaisé. Ils fustigent le très faible taux de garde alternée (12 % des cas en 2020) mais ce qu’ils oublient de dire, c’est qu’en réalité, les pères dans leur très grande majorité ne la demandent pas.
« 2,6 % du total des enfants dont les parents se séparent voient leur résidence principale établie chez leur mère par le ou la juge alors que leur père demande une résidence alternée. »
Les cas de litiges sont donc très limités. Et la fixation massive de la résidence des enfants chez la mère n’est pas une victoire des mères, mais bien la poursuite d’une division inégalitaire du travail parental.
Dans son livre, Édouard Leport déconstruit les théories que ces associations avancent sur une justice pro-femmes, sur le syndrome d’aliénation parentale, etc. Il montre au grand jour, grâce à des chiffres, des analyses fines et des témoignages éloquents, la réalité que cachent les demandes de ces associations, encore trop écoutées par les élus et trop représentées dans les médias.
Le sociologue a accepté de répondre à nos questions et les réponses sont passionnantes !
Madmoizelle : Ces associations de pères que vous avez étudiées pendant deux ans, quelles sont leurs revendications et leurs arguments ?
Édouard Leport : Il y a trois grosses revendications. La principale est l’établissement par défaut, de façon systématique, de la résidence alternée, en cas de divorce et de séparation des parents.
La deuxième, c’est plus de condamnations par la justice des non-représentations d’enfants. Dans l’optique du mouvement, c’est de punir les mères qui ne permettent pas aux pères d’exercer leur droit de visite et d’hébergement.
La troisième, c’est plus de condamnations aussi des femmes pour les « éloignements géographiques volontaires », comme les associations ont nommé cela, ce qui n’a pas d’existence légale. Cela concerne les déménagements à plus ou moins grande distance du domicile du père. Quand l’initiative revient à la mère et qu’elle a la garde des enfants.
En quoi ces demandes sont problématiques ?
Ces demandes reposent sur un supposé sexisme de la justice envers les pères. Ces associations utilisent des chiffres vrais mais en font une interprétation fausse. C’est très majoritairement la mère qui a la garde principale. Ils partent du chiffre de 12 % environ de résidence alternée fixée par la justice chaque année.
La justice aux affaires familiales en France discriminerait les pères et les empêcherait de voir leurs enfants et d’en avoir la garde. Or l’immense majorité de ces situations relève d’un accord entre les deux parents, y compris sur la résidence et le droit de visite. Les cas où il y a désaccord et où c’est la justice qui tranche sont très rares.
Si les pères ne passent pas plus de temps avec leurs enfants, c’est qu’ils ne le demandent pas, qu’ils n’en ont pas envie. Ce n’est pas la même chose que ce que disent ces associations.
Il est aussi beaucoup question d’argent dans ces associations, même si cela ne ressort pas forcément dans les discours de surface. Qu’en est-il de la prestation compensatoire et de la pension alimentaire ? Est-ce un des enjeux importants ?
C’est quelque chose qui est toujours présent, c’est un sujet beaucoup abordé. Les militants donnent plein de conseils, de recommandations d’optimisation fiscale. C’est une problématique qui est très prise en charge par les militants mais dans le discours, elle est présentée comme secondaire.
Ce qui compte en surface, c’est de demander la résidence alternée, de s’occuper de ses enfants, etc. Dans le discours porté vers l’extérieur du moins. L’angle est avant tout stratégique.
Qui sont ces pères qui sont dans les associations ? Sont-ce des cas particuliers ?
Il faut faire la distinction entre les militants et les bénéficiaires. Pour les bénéficiaires, dans l’immense majorité, ce qui les intéresse, c’est leur cas particulier. Ils viennent demander des conseils par rapport à leur situation, à leur procédure, etc. Ils ne viennent souvent qu’une seule fois, à une permanence d’accueil, reçoivent quelques conseils et ne reviennent pas.
Pour ce qui est des militants, dans les discours qu’ils tiennent, il y a une analyse politique du monde et des rapports de genre. Un de leurs objectifs est de transmettre cette analyse-là aux bénéficiaires et de façon plus large. Ils font un gros travail de lobbying auprès des élus locaux, des parlementaires. Il y a une démarche d’activisme politique.
Dans un contexte plus international, ces associations existent dans d’autres pays. D’où est parti ce mouvement ? Est-ce qu’il y a des liens structurés entre toutes ces associations ?
Ce n’est pas structuré de façon construite, les alliances ne sont pas pérennes. Un réseau européen se monte depuis quelques années.
Il n’y a pas de fédération internationale. Tout comme il n’y en a pas au niveau national. Ils ne sont pas efficaces. Les associations apparaissent, disparaissent.
Ces associations, qui existent depuis les années 1970, apparaissent au moment où les lois sur le divorce se libéralisent un peu, où ça devient plus facile de divorcer, en tout cas.
Est-ce que l’on peut dire que ce sont des associations masculinistes ?
Oui, c’est très clair !
Elles sont les représentantes les plus actives en France du mouvement masculiniste, dans le sens où ce sont des hommes qui se mobilisent en tant qu’hommes pour revendiquer plus de droits et d’avantages pour les hommes. Ça les inscrit directement dans le mouvement masculiniste.
C’est assez schzizophrène car en apparence ils prennent appui sur le féminisme, en clamant l’égalité parentale.
C’est rhétorique !
Et ils accusent la justice d’être pro-femmes. Ils ont peur de la féminisation de la magistrature. On peut renvoyer aux travaux du Collectif Onze, au livre Au Tribunal des couples. Il n’y a pas de différence dans le contenu des décisions des magistrats en fonction de leur genre, ni en fonction du genre des justiciables.
Ces associations concentrent les cas rares de pères qui n’obtiennent pas ce qu’ils veulent devant la justice. Quand on regarde en détail, finalement la justice a tendance à favoriser les demandes des pères.
La dynamique générale est que les femmes vont s’occuper des enfants, donc il n’y a pas besoin de les convaincre, d’adapter la société pour qu’elles le fassent. Dans l’esprit du temps, c’est très important que le père soit présent : tout est fait pour rendre possible le fait que le père s’occupe des enfants. Les demandes des pères sont favorisées.
On parle d’ailleurs souvent des « nouveaux pères », qui s’occuperaient plus des enfants que ceux des générations précédentes. Est-ce une illusion ?
Les chiffres dont on dispose sur les Enquêtes emploi du temps de l’Insee, même s’ils ne sont pas très récents, nous indiquent que les évolutions sont minimes sur quarante ans. On est encore très loin de l’égalité du partage des tâches domestiques et parentales. Les hommes continuent à accorder plus de temps à leurs loisirs qu’à la prise en charge des enfants.
Cette rhétorique des nouveaux pères montre bien la structure patriarcale dans laquelle on évolue. Il suffit aux hommes de déclarer qu’ils en font plus pour que tout le monde parte du principe que c’est vrai et aient un imaginaire qui confirme cela.
Alors que quand on mesure concrètement, on se rend compte que c’est pas vrai du tout. Ça renvoie au pouvoir des hommes d’imposer leur représentation du monde à l’ensemble de la société et d’éviter l’objectivation de leurs pratiques.
En ce qui concerne le syndrome d’aliénation parentale, est-ce qu’il est toujours brandi par ces associations ?
C’est un faux syndrome sans base scientifique et non reconnu.
« Le « syndrome d’aliénation parentale » est décrit pour la première fois en 1985 par son inventeur, le psychiatre et psychanalyste étasunien Richard Gardner, comme un « trouble propre aux enfants, survenant quasi exclusivement dans les conflits de droit de garde, où un parent (habituellement la mère) conditionne l’enfant à haïr l’autre parent (habituellement le père). » » Les Papas en danger, p. 118
Au sein des associations, c’est unanimement utilisé. Je n’ai jamais entendu de critique de cette notion pendant mes plus de deux ans d’enquête.
Depuis la création de ce concept qui n’est pas du tout reconnu scientifiquement, ni même devant la justice, malgré toutes les tentatives de ses promoteurs, c’est juste un outil extrêmement dangereux entre les mains des masculinistes. C’est le moyen par lequel ces associations font le plus de mal.
Ça repose sur le sens commun, sexiste, de dire que les femmes manipulent les enfants et qu’elles sont vengeresses, etc. Ça permet de dédouaner les pères de toutes les accusations de violence à partir du moment où ces accusations émergent dans le cadre de la séparation. Ça devient une sorte de joker dès qu’il y a une opposition de l’ex-conjointe.
Et comment les élus se font avoir par ces associations ? Ont-ils conscience des tenants et des aboutissants ?
J’espère qu’ils n’en ont pas conscience. Ça dépend lesquels, certains députés sont clairement sympathisants et éventuellement membres du mouvement. Certains présentent des lois qui sont co-écrites avec des associations, pour les multiples tentatives de mettre en place la résidence alternée par défaut, et qui n’aboutissent jamais.
Pour les autres, ça tient à l’efficacité du discours qui dit : « Nous, on veut la résidence alternée mais la justice nous en empêche. » Cela sous-entend qu’ils veulent s’occuper plus de leurs enfants et cela fait écho à une demande sociale hyper large de plus d’investissement des pères et des hommes en général dans le foyer. C’est une revendication portée par les féministes. Forcément, ça fonctionne. Si on ne creuse pas, ça attire la sympathie !
Merci beaucoup à Édouard Leport d’avoir répondu à nos questions.
Nous comprenons maintenant les soubassements masculinistes de ces mouvements. Pour que les pères obtiennent la garde alternée, il suffirait qu’ils la demandent. Et pour cela, il faudrait qu’avant la séparation, ils aient été impliqués dans le soin et l’éducation des enfants !
Pour acheter le livre, vous pouvez aller dans votre librairie préférée ou le commander ci-dessous.
Les Papas en danger ?, d’Édouard Leport, éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 12€
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Image en une : © Unsplash/Vitolda Klein
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