Pour quelles raisons les hommes conservateurs craignent-ils autant les « femmes à chats » ? Outre-atlantique, les États-Unis s’emballent suite aux révélations du site Politico, le 2 mai 2022, annonçant que la Cour suprême serait sur le point de renverser l’arrêté Roe v. Wade, garantissant depuis 1973 le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG).
Alors que la sénatrice démocrate Elizabeth Warren a rejoint le cortège des militants pro-choix, deux politiciens conservateurs ont quant-à-eux préféré avoir recours au stéréotype des « femmes à chats » pour délégitimer le combat de sauvegarde du droit à l’avortement sur la terre de l’Oncle Sam.
Les « femmes à chats » : l’argument rabaissant préféré des conservateurs
« Combien de ces femmes qui se mobilisent contre l’annulation de l’arrêt Roe V. Wade sont des millénials surdiplômées et mal-aimées, qui rentrent tristement chez elles après les manifestations pour un dîner en solitaire, réchauffé au micro-ondes, en compagnie de leurs chats et sans match sur Bumble ? »
Ce tweet aussi imagé que détestable a été posté, le 4 mai 2022, par Matt Gaetz, député à la Chambre des représentants des États-Unis. Et malheureusement, il n’est pas le seul à user de cette image…
J. D. Vance, auteur à succès qui a notamment remporté, le 3 mai dernier, la primaire républicaine en vue du siège de sénateur de l’Ohio, grâce au soutien tardif et décisif de Donald Trump, a eu recours à cet argument des « femmes à chat » au moins deux fois en 2021.
En juillet 2021, l’auteur du best-seller Hillbilly Élégie a appuyé avec un grand sourire narquois ce stéréotype insupportable face au présentateur Tucker Carlson sur la chaîne Fox News :
« Notre pays est gouverné en réalité, à travers les démocrates et l’oligarchie des grandes entreprises, par une bande de femmes à chats sans enfants, malheureuses dans leur vie à cause des choix qu’elles ont faits, qui veulent donc rendre le reste du pays malheureux aussi. »
Bienvenue dans l’imagerie antiféministe !
Sarah Jones, journaliste australienne, a décrypté, grâce à une banque de ressources de l’Université du Minnesota, cette utilisation politique de l’expression « femmes à chats », le 5 mai, dans les colonnes de Courrier International :
« C’est un vieux stéréotype fondé sur des croyances stupides au sujet des femmes célibataires et des féministes. Associés aux femmes et à la ‘sphère domestique’, les chats étaient utilisés dans des images antiféministes pour dépeindre les suffragettes comme idiotes, puériles, inaptes à la vie politique. »
Pourtant, à l’origine, le chat était un symbole que les militantes du 20ème siècle ont utilisé pour défendre le droit de vote des femmes. « Les représentations de chats étaient plus fréquentes (…) que celles de n’importe quel autre animal », observe l’historienne Kenneth Florey auprès de National Geographic.
A l’origine, des femmes symbolisées en chats domestiques dociles
Ce phénomène s’explique par le fait qu’à l’époque, les cartes postales destinées à promouvoir ou à discréditer la cause des suffragettes étaient souvent illustrées d’animaux.
Dès le 19e siècle, les chats et les chiens étaient respectivement associés à un genre, tous deux symboles d’opposition au suffrage universel. Dans l’imaginaire collectif et misogyne de l’époque, les chiens, réputés pour être des animaux actifs, étaient bien sûr assimilés aux hommes, tandis que les chats, eux, incarnaient les femmes, censées rester au sein de la sphère qui leur était désignée : leur foyer pardi !
Sans surprise, les pionnières féministes, se libérant des normes sociales, étaient qualifiées de chats errants par opposition au docile chat domestique. Souvent, les cartes postales représentaient des hommes contraints par un chat d’effectuer des tâches associées aux femmes comme la cuisine, la garde des enfants ou encore la lessive.
En 1913, le parlement britannique promulgue une loi appelée Temporary Discharge for Ill-Heath Act afin de répondre à un large mouvement de grève de la faim des militantes féministes anglaises. Les suffragettes prisonnières ont été forcées de s’alimenter et même une fois libérée, elles étaient surveillées et contrôlées : c’est pour cela que cette loi fut rapidement surnommée « Cat and Mouse Act ».
Sur cette lancée, quelques années plus tard, outre-atlantique, deux suffragettes, Nell Richardson et Alice Bruke, ont décidé d’adopter un chat comme symbole de lutte pour le droit de vote des femmes lors de leur tournée nationale pour faire valoir leurs droits. Au volant de la « Golden Flyer », elles rallièrent New-York et la Californie, en compagnie de Saxon, leur chaton, très vite devenu la coqueluche des médias.
Le cliché des « femmes à chats » encore fortement ancré aujourd’hui
Selon un sondage réalisé en 2015 par PetSmart, 50% des Américains croyaient encore à ce stéréotype. Mais cette équation des femmes à chats, étant des vieilles filles féministes exécrables et dépressives, est totalement infondée, d’après une étude du Royal Society Open Science publiée en 2019 :
« Nous n’avons trouvé aucune preuve à l’appui du stéréotype de la dame aux chats. Les propriétaires de félin ne souffraient pas plus que les autres de symptômes auto-déclarés de dépression et d’anxiété. On ne décèle pas de différence non plus concernant leurs expériences des relations intimes. »
Cette étude constate que les personnes qui ont des animaux sont plus emphatiques : en aucun cas posséder un chat ne rime davantage avec fragilité psychologique et tempérament aigri.
Il est donc temps que les conservateurs enlèvent leurs oeillères sur ces conneries et qu’ils vivent avec leur temps. Cet argument de « femme à chats » (ou même de « folle à chats ») reflète-t-il réellement leur peur du féminisme, comme semble le penser la journaliste Sarah Jones, ou au contraire, ne se foutent-ils pas totalement de notre gueule ?
« La femme à chats n’a traditionnellement pas d’homme. Ses besoins et ses habitudes ne sont pas dictés par un époux ou des enfants. Elle peut se forger ses propres opinions et elle est libre de faire ce qu’elle veut, ce qui signifie qu’elle a du temps pour s’occuper de politique. »
Foutaises et à quoi bon ! Pour les politiciens conservateurs, cette excuse est trop belle pour ridiculiser une nouvelle fois les femmes qui veulent seulement préserver leurs fragiles droits. Et puis comme dirait Colette : « Le temps passé avec un chat n’est jamais perdu… Il n’y a pas de chat ordinaire. » A méditer.
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Image en Une : © Milada Vigerova – Unsplash
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