N’aurions-nous pas un léger problème d’humour sur le Paysage Audiovisuel Français ? Le lol français ne serait-il pas trop centré sur les talents de Canal + ? Peut-on rire sans Jonathan Cohen (faisant du Jonathan Cohen) ? Je le crois. Et pour se fendre la poire à la télé, la solution est souvent la même : regarder ailleurs, en l’occurrence outre-Manche.
L’humour anglais, glacé et sophistiqué, hérité de Red Dwarf et de Mister Bean – existe encore sous de multiples formes. Et l’un de ses bébés est une émission aussi rigolote que bien produite qui, c’est bien pratique, est aussi disponible légalement. Laissez-moi ruiner votre futur été : j’aimerais vous parler de Taksmaster.
Ce jeu, diffusé sur Dave puis Channel 4, indirectement inspiré par The Crystal Maze (la version britannique de Fort Boyard) est issu de l’esprit génial d’Alex Horne, producteur, co-animateur et compositeur du générique de l’émission avec son groupe The Horne Section. Un mec éminemment rigolo, ayant lui-même une petite carrière dans la comédie.
Vous vous êtes probablement toutes et tous endormis au moins une fois devant un épisode de Quite Interesting dans un hôtel londonien – et, depuis, tous les formats de papote britannique vous font peur. Ici, pas de panique, c’est l’un des meilleurs segments, et il est entrecoupé de « tâches » dont les idées et l’exécution sont fameuses et réjouissantes.
Un objet, un jeu sur scène et trois tâches
Chaque saison de Taskmaster se déroule selon le même schéma. Durant dix épisodes, les cinq mêmes comédiens vont se battre avec leurs mots, leurs réactions et leur pensée latérale devant divers jeux crétins. À chaque début d’épisode, ils apportent un objet selon une consigne précise. Par exemple : « l’objet le plus agréable pour y mettre un doigt ». Le Taskmaster les classe et attribue des points ; le gagnant de l’épisode remportera tout.
Dans les premières saisons, il a fallu réfréner les ardeurs des candidats qui apportaient des trucs improbables de valeur, comme des bijoux ou des certificats de mariage. Même chose pour une tâche « finale » sur scène, où tout le monde joue et performe – et le cœur, la substantifique moelle, réside dans trois de ces fameuses « tâches » qui auront été filmées au préalable, dans ce coin de campagne anglaise qu’on devine près d’un couloir aérien d’Heathrow. Et c’est bien, bien plus rigolo qu’un ersatz de jeux télé qui ont rayonné chez nous façon Bigdil, mais les mécaniques qui nous plaisent sont un peu les mêmes.
Ces tâches sont la fois malignes et satisfaisantes, dans le sens où elles correspondent souvent à un truc qu’on aurait aimé essayer soi-même – elles sont conçues pour « pouvoir être reproduites à la maison », de l’aveu d’Alex Horne, qui les pense. Elles sont tournées autour d’une idée rigolote, diabolique, ou juste exaspérante, donc marrante à regarder. La chaîne Youtube regorge de morceaux choisis, et il est facile de se perdre dans des exemples. « Empêchez Alex, par tous les moyens, de mettre un but ».
« Faites disparaître ce bloc de glace le plus vite possible ». « Videz cette baignoire au plus vite ». La plupart d’entre eux exigent une forme de pensée latérale pour faire un truc supposé infaisable ou demandant un angle d’approche spécifique. Parfois, l’un des lieux de tournage, un mini-manoir entièrement redécoré thématiquement à chaque saison, est rempli d’aides cachées ou d’indices, et il n’y a rien de plus réjouissant que de voir les cinq comédiens tous adopter des approches différentes.
L’inventivité des tâches et la qualité d’improvisation du casting sont donc garants du programme. Mais tout le monde y met les formes – si certaines saisons marchent par définition mieux que d’autres, l’ambiance est généralement bon enfant, détendue – les talents savent qu’ils sont là pour se mettre dans des situations improbables, et il n’y a qu’un trophée moche de la tête du Taskmaster en jeu.
Ça ne devrait pas être aussi étonnant, mais l’émission est fort bien produite. Rythme, montage (de préférence ironique), nappes sonores, on atteint une qualité de production qu’on a peu l’habitude de voir sur notre télévision, publique ou non. Quand les candidats sont soumis à une tâche créative, les résultats, étrangement surproduits, détonnent. Et de retour sur le plateau, l’improvisation est de mise. Les castings sont soit adorables, soit rentre-dedans. Mais le cœur du show reste le duo formé entre Alex Horne et Greg Davis, le « maître » titulaire. Ils s’engueulent constamment pour de faux, excitant une fanbase étrangement active sur Tumblr (sur lequel on peut compter un nombre édifiant de posts consacrés à leurs chaussettes).
C’est dans l’ensemble fort drolatique, addictif, et comprendre un anglais usuel sera la seule barrière. Tout ce qui précède la saison actuellement en cours de diffusion est disponible sur la chaîne Youtube officielle. Sachez aussi qu’une chaîne Youtube abrite deux excellentes saisons récentes avec les sous-titres natifs. La saison 14 est tournée et, en guise de bonus, un épisode « All-Stars » arrivera dans deux semaines.
Consciente de son succès et d’un gain de popularité récente, Taskmaster a aussi sa propre plate-forme de VOD payante, qui promet de bientôt abriter ses autres versions.
Car sachez-le, il existe de nombreuses versions internationales du format, qui reprennent le même plateau, et ont toutes leur lieu de tournage idoine. La Nouvelle-Zélande, le Portugal, la Croatie, la Belgique, bientôt le Québec aura son Maître du Jeu. Elles sont toutes de qualité très variable, et certaines sont bien moins rythmées. La version britannique fait 45 minutes, une violation de l’ADN de nos propres émissions de trois heures. Et en attendant une version française qui ne devrait jamais arriver, car nous n’aimons collectivement pas ce qui est bon, je me suis amusé à imaginer un casting français. Ce qui donnerait…
Un Taskmaster français, ça donnerait quoi ?
Déjà, un autre titre, mais lui aussi en anglais ou en mauvais anglais, un réflexe qui n’en finit pas de m’hypnotiser. On serait capable de l’appeler “MasterTasks” ou “Masterclass”. Et non, ne me dites pas qu’on l’a déjà, et que c’est “Vendredi Tout Est Permis”, c’est interdit. On cherche donc des gens un peu discrets, un peu has-been ou en nette montée – au plus varié et paritaire possible.
Le Taskmaster : Laurence Boccolini. Il faut quelqu’un d’autoritaire, quelqu’un à qui on a pas envie de répondre, une personnalité avec une bonne répartie, mais qui sait switcher les humeurs et qu’on a aussi envie d’aimer. Il faut réinvoquer la période Le Maillon Faible où elle jouait ce rôle, et je suis sûr qu’elle pourrait animer et vanner à vitesse flash.
L’assistant du Taskmaster : Chris Esquerre. Un mec qui, depuis plus de dix ans, fomente son humour sur « dire des trucs absurdes, glacés et sophistiqués sans jamais rire de ses propres conneries ». Il ferait un excellent sidekick qu’on a un tout petit peu envie de maltraiter.
Un exemple de casting français
Arielle Dombasle – Sachez que j’ai hésité avec Marianne James. Puis je me suis dit que l’une des deux est déjà comédienne, et que malgré ses airs perchés (ses vidéos sur Twitter sont incroyables), Arielle pourrait faire une candidate truculente.
Baghera Jones – Je connais mal l’univers de la streameuse et c’est un point qui m’a été suggéré par d’autres fans, mais quelqu’un qui attire littéralement les foules avec de l’improvisation en jeu vidéo ne peut que briller dans un tel contexte.
David Castello-Lopes – L’auteur de nombreuses chroniques explicatives-gonzo n’est pas humoriste, mais il est éminemment rigolo, sait donner de son corps et n’a clairement pas peur de l’image qu’il renvoie. Il nous faut des gens indépendants de corps et d’esprit, vas-y David !
Jean-Pascal Zadi – Dans chaque casting, il y a toujours quelqu’un qui a la capacité de passer entre le « ultra sagace » et « faire semblant d’être neuneu ». JPZ, ultra bon dans tout ce qu’il produit, réalise et participe, serait formidable dans cet archétype.
Xavier Lacaille – Léger biais de récence car, comme tout le monde, je suis en train de rattraper la série Parlement, mais son personnage principal est ce qui se rapproche le plus d’un protagoniste de The Office. Son excellent interprète aurait, j’en suis sûr, des mimiques impayables.
Allez, tout ça aurait sa place sur France 4 qui a, c’est une coïncidence, un ADN assez similaire à Channel 4 – et c’est une chaîne qui, par exemple avec On n’est pas des pigeons, a prouvé qu’elle savait mettre les formes sur la production. Chères grosses légumes de France Télé, sauvez-nous du marasme, adaptez Taskmaster !
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qui vaut le coup d'être vue pour tous ceux qui adorent la série.