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J’ai été agressée sexuellement tous les soirs à l’école pendant 6 ans — Axelle, 5 à 11 ans

Axelle a subi des agressions sexuelles à la sortie de l’école, tous les jours, par le même garçon, de ses 5 à ses 11 ans. Après une procédure judiciaire éprouvante, elle est toujours traumatisée.

Agressions sexuelles entre enfants : notre dossier

En juillet 2017, nous publiions sur madmoiZelle un témoignage qui allait ouvrir une brèche : Le jour où l’un de mes élèves de maternelle a agressé sexuellement sa camarade.

Les commentaires de cet article semblaient indiquer que ce genre d’agressions est bien plus répandu que ce que l’on pouvait imaginer, et c’est pourquoi nous avons lancé un appel à témoignages.

Nous en avons reçu 70 et avons donc décidé de nous lancer dans l’édition d’un dossier complet sur la question.

L’intégralité de la démarche ainsi que le sommaire se trouvent dans Les agressions sexuelles entre enfants : notre dossier en 7 parties.

Axelle m’a écrit très rapidement, après la publication de mon appel à témoin. En s’excusant à la fin que son texte soit grandement perfectible : elle avait « peur de ne rien envoyer » si elle tardait trop.

J’ai découvert au fil de la lecture des nombreux témoignages reçus que son histoire, qui m’avait marquée, était cependant loin d’être unique.

Du banal jeu d’enfants à l’enfer

Comme beaucoup d’enfants, vers 5 ans, Axelle* s’est demandé comment était constitué « l’autre ». Elle se posait des questions. Et c’est avec Louis* qu’elle a commencé à vouloir y répondre.

« Ces attouchements ont commencé par un banal jeu entre enfants qui se découvrent à 5 ans. »

Une démarche tout à fait normale pour des enfants de cet âge, comme me l’a confirmé Sonia Lebreuilly, socio-sexologue et éducatrice en santé sexuelle :

« Les enfants se posent 1000 questions : c’est en maternelle qu’on se rend compte de la différence des sexes, c’est normal du coup de vouloir aller voir ! »

Le problème, c’est que rapidement pour Axelle, ces « jeux d’enfants » ont tourné à l’agression.

« Il en a profité pour faire durer les attouchements tous les soirs d’école de mes 5 ans à mes 11 ans. Par malchance, durant toutes ces années, il a toujours été dans ma classe.

Il profitait des récréations pour me mettre une grande pression, me culpabiliser et me faire peur. C’était un enfant très violent qui usait souvent de la force contre les autres. »

Le silence, un fardeau de plus pour les victimes

Dès le départ, Axelle s’est sentie dans l’impossibilité de prendre la parole, de dénoncer, à cause de la honte que cela provoquait chez elle et de la pression que lui mettait son agresseur.

Laure Salmona, coordinatrice de l’enquête Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte commandée par l’association Mémoire Traumatique, explique que c’est un comportement commun :

« Il y a une stratégie pour faire taire la victime, ce ne sont pas toujours des agresseurs qui ne savent pas ce qu’ils font, c’est une stratégie pour qu’il n’y ait pas de vagues, pour que la victime se taise…

Le présenter comme un jeu, ça permet d’amener la victime à un consentement contraint. Ça permet de minimiser la gravité des faits. »

Et effectivement : Axelle s’est tue pendant 7 ans.

Un « flagrant délit » pour que les agressions cessent

« Je voyais bien que les adultes de l’école détournaient les yeux, et je sentais mes parents trop fermés pour comprendre. Donc un silence forcé s’est installé, en plus de la honte. »

En réalité, Axelle n’a jamais réellement pris la parole.

« Ça s’est arrêté lorsqu’un soir, mon père, qui travaillait au collège, ne me voyant pas en revenir, y est allé pour me chercher.

Il m’a entendue dans les toilettes, disant que j’allais vomir. Il m’a forcée à ouvrir et nous a trouvés, Louis et moi.

Mes parents ont exigé des explications, que j’ai fini par leur donner à grand renfort de larmes et de honte. Ma mère m’a traitée de traînée, m’a dit qu’elle me « verrait tapiner plus tard ».

Ne me croyant pas, ils ont convoqué Louis, qui n’a pas nié. »

Le cauchemar judiciaire après une plainte pour agression sexuelle

Axelle et Louis ont alors 11 ans. C’est suffisamment grand : les parents d’Axelle décident de porter plainte.

« À ce moment-là, c’est un second cauchemar qui débute.

Au départ, il y a eu une expertise gynécologique avec une gynéco qui en avait marre. Elle a expédié l’examen en finissant par aboyer que « si on ne sait pas dire non, on ne saura jamais le dire ».

Puis il y a eu le dépôt de plainte, enregistré par caméra. […]

Au final, outre le regard de dégoût que ma famille portait sur moi, je crois que rien n’a été plus traumatisant que toutes les expertises psychiatriques.

Je sais à quoi ça sert, juridiquement, mais je pense que c’est inadapté pour des enfants : ils remettaient constamment ma parole en question.

J’ai eu l’impression qu’à cause de mon jeune âge, je ne pouvais que raconter des histoires, puisque Louis aussi était très jeune. »

Catherine Brault, avocate de l’antenne des mineurs du Barreau de Paris, ne nie pas la difficulté de ce parcours pour les victimes :

« C’est toujours très difficile d’en parler pour elles. […]

Ce que je fais, c’est que si les faits ne sont pas contestés par l’auteur, je n’embête pas la victime à me re-raconter.

Mais sinon, je suis obligée de rentrer dans les faits pour pallier les incohérences.

Après, souvent, ce sont des victimes où je n’aborde jamais la partie « faits » devant les parents, seulement la procédure avec eux, car ce n’est pas à moi de les exposer. »

Dans le cas d’Axelle, ce dépôt de plainte a conduit à un procès au cours duquel les faits ont finalement été reconnus.

« Malgré mon souhait d’assister au procès, mes parents me l’ont interdit, appuyés par le juge des enfants. »

Comment juger des affaires d’agression sexuelle entre mineurs ?

Des agressions comme celles-ci au collège ne sont pas des cas isolés. Catherine Brault y a été régulièrement confrontée. Juger des agressions sexuelles entre mineurs n’est pas chose aisée :

« Il faut qu’il y ait ce qu’on appelle conscience de l’infraction. Quand ce sont des enfants très petits, il faut qu’il y ait conscience de l’interdit. Entre 3, 4, 5, 6, 7 ans… c’est propre à chaque enfant.

J’ai déjà vu des non-lieux prononcés sur des enfants de 12 ans, car on considérait qu’ils n’avaient pas conscience de ce qu’ils faisaient. »

Malgré tout, l’affaire d’Axelle a abouti, me raconte-t-elle.

« Je sais qu’il a été suivi pendant deux ans par un éducateur, et de mon côté j’ai eu des dommages et intérêts.

Mais le plus dur, c’est que l’on m’a dit à ce moment-là que si j’avais attendu une année de plus, il aurait pu être condamné plus lourdement. »

Catherine Brault m’explique en effet qu’à partir de 13 ans, il est possible d’aller au pénal.

« En dessous, ce sont des sanctions éducatives : elles sont applicables aux mineurs de 10 à 18 ans à la date des faits, et constituent une réponse pour les mineurs de 10 à 13 ans, pour lesquels aucune peine pénale ne peut être prononcée.

Ça peut être la confiscation d’un objet, l’aide à réparation, un stage de formation civique par exemple. »

Comment se reconstruire après une agression sexuelle dans l’enfance ?

Suite à ces événements, Axelle a traversé une adolescence compliquée.

« C’est moi qui ai dû consoler mes parents, car ils n’assumaient rien. Mais j’ai aussi très mal vécu les soins.

Le problème, c’est qu’on continuait à me forcer : moi je voulais juste passer à autre chose, ne plus en parler, mais on m’a fait rencontrer plusieurs psychologues qui voulaient me faire extérioriser.

Comme je faisais de la résistance, on en concluait qu’on allait juste traiter les symptômes : je ne dormais pas ? Des somnifères. J’allais mal ? Des anti-dépresseurs.

J’ai fait quelques hospitalisations pour scarifications, tentatives de suicide, anorexie… »

Pourtant, le but était de soigner le traumatisme :

« J’ai fait de l’EMDR. C’est une forme de thérapie où tu dois visualiser ton agression, puis on te fait suivre un crayon des yeux, tu les bouges de droite à gauche.

C’est censé faire assimiler le traumatisme à ton cerveau, éviter les souvenirs qui remontent. »

Ces souvenirs qui remontent sont souvent dus à une « dissociation péritraumatique » comme l’explique Laure Salmona, de l’association Mémoire Traumatique :

« C’est comme un système de sauvegarde, mais qui du coup, va empêcher la personne de traiter l’événement dans la mémoire autobiographique.

À la place ça reste bloqué dans la mémoire traumatique, qui, si elle n’est pas intégrée, peut ressurgir n’importe quand. »

Après une agression sexuelle dans l’enfance, avancer, coûte que coûte

Ces événements ont largement affecté la vie d’Axelle, et notamment ses relations avec ses parents : ils se sont beaucoup éloignés.

Mais finalement ce qui l’a aidée, « c’est ce que j’ai choisi par moi-même, plutôt que de suivre une thérapie médicale », me dit-elle au téléphone.

« Quitter ma région, rencontrer de nouvelles personnes, prendre mon indépendance…

Je suis aussi restée très longtemps en couple avec une personne qui m’a beaucoup aidée à remonter la pente, notamment au début. »

Bien sûr, ça ne veut pas dire que le traumatisme a disparu, il continue d’impacter la vie de femme d’Axelle, aujourd’hui.

« Je suis incapable d’aller voir un•e gynécologue sans pleurer, j’ai fait de nombreux blocages et du vaginisme… »

Aujourd’hui, elle voit une sage-femme qui est au courant, et qui lui fait passer très peu d’examens. Elle se sent mieux dans sa vie sexuelle. Pourtant, elle doute que ce soit fini.

« Je sais que c’est par phases, et que si actuellement ça va mieux, ça risque de ne pas durer. »

Comment éviter ce type de drames ?

Le plus révoltant, dans cette histoire, c’est qu’il y ait moyen d’éviter de type de drames en développant la prévention. C’est la conviction d’Axelle :

« Je pense que le sujet des attouchements à l’école, et plus largement du consentement, est un sujet très important, mais il est sous-estimé et encore trop considéré comme tabou.

Ça m’aurait vraiment aidée qu’on m’explique ce qu’était le corps, que le mien m’appartenait et que j’avais le droit d’y fixer les limites que je voulais. »

Pourtant, aujourd’hui, c’est très peu le cas. Margaux Collet, Responsable des études, de la communication et des relations presse du Haut conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, me le confirme :

« Aujourd’hui, parler d’éducation à la sexualité à la maternelle, c’est compliqué.

Nous-mêmes, dans notre rapport, nous avons pris des pincettes.

Effectivement, la loi dit de parler d’éducation sexuelle dans les écoles, collèges et lycées, sans distinction entre école élémentaire et pré-élémentaire. Mais des circulaires ont rendu le cadre plus précis en excluant la maternelle. »

Ce témoignage est extrait des plus de 70 textes que nous avions reçus, après avoir lancé un appel à témoins, le 26 juillet 2017.

*Les prénoms ont été modifiés

Pour aller plus loin :

Agressions sexuelles dans l’enfance — La série de témoignages


Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.

Les Commentaires

19
Avatar de zazouyeah
9 novembre 2017 à 12h11
zazouyeah
Très choquée également par les réactions des adultes de l'entourage d'Axelle... J'espère que tu pourras te reconstruire au fil du temps !

Je me pose aussi souvent la question de comment aborder le sujet avec des enfants avant qu'ils y soient confrontés. Je pense avoir retrouvé la vidéo "Mon corps c'est mon corps" dont parlaient @ChoOkette et @HeavyMetalAngel (avec un superbe doublage québécois !) :
. C'est en effet assez orienté prévention à la pédophilie (et peut éventuellement faire penser parfois à du victim blaming comme ils appuient beaucoup sur le comportement à adopter par les enfants) mais c'est un super point de départ qui met bien le ressenti de l'enfant au centre, je trouve ça génial ! (sympa de voir que les années 80 au Canada sont plus avancées que la vieille Europe en 2017...)

Contenu spoiler caché.

Dans le même ordre d'idées, une phrase de Jaddo (dans cet article : http://www.jaddo.fr/2008/10/05/la-force-de-la-perversion/ ) m'avait beaucoup touchée, c'est un conseil que sa mère lui a répété, sans contexte particulier, depuis qu'elle est toute petite : « Fais-toi confiance et écoute-toi. Si la personne d’en face te met mal à l’aise, et même si cette personne est un adulte, ce n’est jamais, jamais toi qui a tort. Tu as un signal d’alarme en toi, écoute-le toujours quand il sonne. »

Merci pour la mise en place de ce dossier et pour ces témoignages qui nous permettent de réfléchir ensemble !
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