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Société

« Mon frère avait voulu qu’on fasse un bébé, comme les adultes » — Nora, 8 ans

Les parents de Nora l’ont éduquée à la sexualité en même temps que son petit frère. Mais ils leur ont parlé de « la sexualité des adultes », sans aborder la notion de consentement.

Agressions sexuelles entre enfants : notre dossier

En juillet 2017, nous publiions sur madmoiZelle un témoignage qui allait ouvrir une brèche : Le jour où l’un de mes élèves de maternelle a agressé sexuellement sa camarade.

Les commentaires de cet article semblaient indiquer que ce genre d’agressions est bien plus répandu que ce que l’on pouvait imaginer, et c’est pourquoi nous avons lancé un appel à témoignages.

Nous en avons reçu 70 et avons donc décidé de nous lancer dans l’édition d’un dossier complet sur la question.

L’intégralité de la démarche ainsi que le sommaire se trouvent dans Les agressions sexuelles entre enfants : notre dossier en 7 parties.

Parler de sexualité, de consentement, semble essentiel pour prévenir les agressions et attouchements non consentis entre enfants.

Cependant, il faut le faire de manière adaptée à l’âge des enfants. On n’explique pas la même chose à un•e enfant de 4 ans qu’à un•e enfant de 11 ans, par exemple.

L’éducation à la sexualité en maternelle, c’est expliquer « comment on fait les bébés » ?

Sonia Lebreuilly, socio-sexologue et éducatrice en santé sexuelle m’explique qu’aborder le sujet avec des enfants de maternelle ne se fait pas de n’importe quelle manière.

« Souvent les parents estiment que parler sexualité avec les enfants c’est expliquer « comment on fait les bébés », alors qu’en fait, c’est souvent parler de leur sexualité à eux, aux enfants, de leur expliquer qu’on ne peut pas faire des bébés quand on est enfant, justement. »

Et en effet, l’un des témoignages reçu fait état de l’importance de différencier la sexualité des enfants de celle des adultes, d’adapter le sujet à l’âge des enfants.

Nora* me raconte ainsi avoir eu une enfance « tranquille ». Elle a un petit frère de 4 ans de moins qu’elle, qu’elle décrit comme ayant toujours « semblé très mature pour son âge », Benjamin*.

« Si bien que mes parents n’ont jamais vraiment fait de différences par rapport à nos âges, ils lui ont toujours appris les choses comme ils me les disaient à moi. »

Attouchements sexuels : un traumatisme refoulé

Seulement, Nora se souvient avoir toujours été très distante, physiquement du moins, avec son frère.

« C’était comme s’il avait fait son complexe d’œdipe sur moi : il m’adorait, il était très affectueux et tactile. Il voulait sans arrêt me faire des câlins et me toucher. Mais moi, je n’aimais vraiment pas ça, sans en savoir la raison, je me sentais très mal. »

Avec l’âge, Nora raconte que ce sentiment s’est atténué. Jusqu’à ce que vers 16 ans, elle se rappelle soudainement d’un événement – comme cela arrive très régulièrement dans le cas d’un traumatisme :

« C’est revenu comme ça, comme si je l’avais toujours su : mon petit frère m’avait attouchée lorsque j’avais plus ou moins 8 ans. Tout était plus clair pour moi, je me comprenais enfin.

Je me suis sentie tellement mal de m’en être rappelé ! C’était un cauchemar qui ne voulait pas sortir de ma tête.

Mes parents nous avaient expliqué la reproduction comme on l’explique « aux grands enfants » et mon frère avait voulu que l’on « fasse un bébé comme les adultes. »

Il s’était jeté sur moi et était déjà trop lourd pour moi, je n’ai rien su faire. J’en ai tellement voulu à mes parents bien qu’ils aient toujours cru faire ce qu’il fallait. »

Comment parler sexualité avec des enfants en bas-âge ?

Nora explique n’en avoir jamais reparlé avec sa famille, et être en paix aujourd’hui avec elle-même et avec cette histoire.

« Je n’en ai jamais voulu à mon petit frère, il n’était pas conscient de ses actes, ce n’était qu’un enfant.

J’ai eu du mal avec mes parents mais j’ai fini par les pardonner d’avoir pris mon frère pour autre chose qu’un enfant. Être éveillé et plus mâture que les autres ne veut pas dire qu’il était prêt à tout entendre et comprendre. »

J’ai évoqué ce témoignage avec Sonia Lebreuilly, pour avoir une idée de la bonne manière d’aborder ce sujet avec des enfants de cet âge.

« La question, c’est toujours quand est-ce qu’on parle sexualité avec les enfants. C’est en fonction de leurs questions à eux !

Souvent, les parents se disent « je vais attendre tel âge » alors qu’en fait, l’enfant n’en a peut-être pas envie à ce moment-là.

Il faut attendre que les questions émergent, et il faut parfois prendre le temps de voir comment en parler avec eux. L’enfant, s’il pose la question, c’est qu’il a déjà commencé à élaborer des réponses.

On ne s’attarde pas plus que ça sur « comment faire des bébés », sauf quand il y a des questions techniques : alors on répond par des phrase courtes et simples. »

Qu’est-ce que l’éducation « sexuelle » à la maternelle ?

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Sonia Lebreuilly a elle-même été sollicitée pour créer un outil à destination des classes de grande section de maternelle par un établissement, justement suite à une affaire d’attouchements à la récréation. C’est comme ça qu’elle s’est spécialisée sur le sujet.

« Il y a différents temps : pas question de leur parler de la sexualité des adultes mais de la leur, de celles des enfants, car ils se posent 1000 questions.

C’est en maternelle qu’on se rend compte de la différence des sexes : c’est normal du coup de vouloir aller voir !

Mais si on explique à travers des poupons, etc., et ça les calme, ça les apaise et ils n’ont pas besoin d’y aller. »

Concrètement, un cours d’éducation « sexuelle » en maternelle est loin des images que l’on peut avoir en tête de prime abord. Sonia Lebreuilly m’explique comment cela se passe :

« J’essaie de faire en sorte que ce soit le plus ludique possible : on fait des dessins, il y a des visuels, il y a des poupons sexués. On fait généralement deux séances.

Pendant la première, on dessine deux personnes sous la douche : ça permet de casser l’idée que c’est tabou, que c’est sale, qu’on a pas le droit d’en parler.

Ensuite, on essaie de le nommer et de donner le bon vocabulaire comme pénis, vulve. »

Sonia Lebreuilly inverse les rôles, c’est elle qui pose les questions car souvent, il y a des enfants qui savent déjà. Au besoin, elle reformule : par où on fait pipi, qu’est-ce qu’il y a dans les testicules…

« La 2ème séance est axée sur l’intimité et le plaisir du corps : on y travaille le droit de dire non, le fait que quand ça concerne notre corps, même quand c’est papa ou maman, on a le droit de ne pas être d’accord.

L’idée, c’est d’assimiler que si on aime son corps, on essaie de lui faire du bien, donc on va le protéger, y compris des autres. »

L’éducation au consentement, ce n’est pas tout

Ici, il faut cependant préciser quelque chose : le but n’est pas de dire que d’apprendre à dire non suffit à éviter toutes les agressions.

Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol, développe :

« Dire non, si on a un agresseur en face de nous, ça ne change rien, d’autant plus qu’il y a parfois un état de sidération [ndEsther : un mécanisme de protection du cerveau] et c’est impossible de dire non.

On ne peut pas se reposer uniquement là-dessus, c’est exactement ce que dit un violeur en procès : « je croyais qu’elle était consentante ».

En revanche, oui, il faut expliquer aux enfants qu’on ne fait pas à quelqu’un quelque chose qu’il ne veut pas.

La différence entre un « jeu de touche-pipi » et une agression, c’est simplement que d’un côté tu joues, et de l’autre tu ne joues pas ! »

C’est effectivement un autre volet des séances de Sonia Lebreuilly, leur apprendre à demander si l’autre est d’accord.

« On prend des situations plus neutres où on se touche les cheveux, les mains, pour voir si l’autre est d’accord et lui demander. Parfois c’est un autre qui dit « là elle n’a pas l’air contente ». »

En somme c’est un apprentissage du respect de l’autre et de son corps.

Le consentement, ce n’est pas lié qu’à la sexualité

Pour Sonia Lebreuilly, cette problématique touche bien d’autre domaines que le sexe, pour les enfants.

« Sur la notion de consentement, on estime souvent que les enfants n’ont pas le droit de dire non, même pour faire la bise parfois. Si leur « non » n’est déjà pas écouté à ce moment-là, dans une situation « normale », c’est d’autant plus difficile sur une situation d’agression !

Donc je leur apprends aussi qu’on a le droit de dire non, y compris à papi ou mamie. Mais c’est un travail qu’il faut faire aussi avec les parents du coup.

Parfois, juste en faisant réfléchir à tout ça, ne serait-ce que sur la question du bisou : que vaut le non de votre enfant ? Pourquoi il dit non ? »

Cependant, encore faut-il trouver le moyen de lier un dialogue avec eux, ce qui n’est pas toujours chose aisée.

« Ça peut passer par les médias, on a aussi essayé quelques fois de faire des groupes de parole. On leur explique que s’ils veulent voir de quoi il s’agit, on peut leur expliquer. Mais dans ce cadre, on a souvent que des parents déjà sensibilisés qui viennent nous voir.

Je ne sais pas si ça fait peur aux gens, mais ça peut les gêner aussi. Ils ont l’impression que ça va les engager à parler de sexualité, de la leur à leurs enfants, alors que ce n’est pas du tout le but. »

Quels modèles pour nouer un dialogue avec les parents sur l’éducation aux enfants ?

Suite à cette discussion, je me suis donc interrogée sur les manières d’échanger avec les parents à ce sujet-là. Margaux Collet, responsable des études et de la communication au Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, me cite quelques bons exemples :

« En Ontario [ndEsther : une province canadienne], ils ont le système le plus cadré. En 6ème, de la même manière qu’on doit savoir maîtriser ses tables, on doit maîtriser tel ou tel aspect de l’éducation sexuelle.

Il y a des manuels d’éducation sexuelle, qui sont accompagnés de petits livrets pour les parents qui vont avec, pour leur dire « cette année votre enfant va apprendre ça, ça et ça, voilà comment vous pouvez aborder le sujet ensemble ».

C’est important, déjà pour que les parents soient au courant, qu’ils ne soient pas surpris qu’un enfant rentre de l’école et dise « aujourd’hui on a parlé pénis et vulves avec la maitresse » : ils s’imprègnent d’un vocabulaire qu’ils ne connaissaient pas forcément avant, ce qui peut créer un décalage qui peut choquer les parents. »

Cela permet aussi de leur dire qu’ils peuvent proposer à leur enfant d’évoquer ce qu’il a entendu à l’école aujourd’hui. Selon Margaux Collet, ce type de livrets existe aussi en Argentine par exemple :

« Il y a vraiment plein de manuels très détaillés, avec des séquences, des jeux de rôle, des explications aux parents. »

À quand le même type de modèle en France ?

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Elle m’explique qu’à sa connaissance, cela n’existe pas en France.

« Justement, on préconisait qu’il y en ait. C’est l’exemple de ce qui a pu se passer avec les ABCD de l’égalité : au HCE nous avons rencontré les associations de parents-d’élèves comme la FCPE, qui nous ont expliqué que s’ils avaient été au courant, ils auraient pu rassurer les parents en leur expliquant en quoi ça consistait.

Parce que justement, ce qui s’est passé, c’est que ce sont des parents à qui on a fait croire n’importe quoi qui se sont opposés à ce programme.

Il y a eu une faille dans la communication, et ce défaut a fait que les réactionnaires se sont emparés du sujet et ont raconté n’importe quoi. Il aurait fallu un guide. »

Cependant, selon elle, il s’agit surtout « de choix politiques à faire ». En effet, il y aura sans doutes toujours des opposants :

« Mais si l’égalité femmes-hommes est la grande cause du quinquennat, il faudra certainement faire des choix politiques qui ne plairont pas à tout le monde. »

Au-delà de choix politique, il semble même que ce soit une urgence sociétale que de pouvoir éduquer les enfants à la maison et à l’école, pour réduire le nombre de ces agressions, car y compris des agresseurs ou agresseuses repenties expliquent l’avoir fait « pour comprendre ».

Ce témoignage est extrait des plus de 70 textes que nous avions reçus, après avoir lancé un appel à témoins, le 26 juillet 2017.

*Les prénoms ont été modifiés

Quelques ressources pour les parents :

  • Les garçons et les filles, collection « Le goûter philo », que tu peux trouver à la Fnac, sur Amazon ou en librairie.
  • Respecte mon corps, de Catherine Dolto, disponible à la Fnac, sur Amazon ou encore chez ton ou ta libraire.
  • L’outil Sac à d’oses d’amour. « Pour les enfants de 0 à 6 ans », il est destiné à « la formation et au développement des compétences professionnelles des équipes éducatives ».
  • The Porn Conversation, en anglais, un guide pour parler pornographie avec ses enfants, découpé en trois tranches d’âge.

Pour aller plus loin :

Agressions sexuelles dans l’enfance — La série de témoignages


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Les Commentaires

6
Avatar de pi.cassoux
16 novembre 2017 à 11h11
pi.cassoux
Bonjour @Esther ,
Dans votre article vous parlez d’une série de petits livres adressés aux parents pour les diriger sur comment aborder la sexualité aux enfants selon les âges, qui existent en ontario. Je voulais savoir s’ils existaient en français puisque c’est une langue reconnue là bas, et s’ils étaient commandables le cas échéant.
Merci!
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