À un moment, la sueur dégouline de toutes les parties de mon corps. Je n’avais encore jamais sué des avant-bras : c’est fait. Je n’avais encore jamais essoré mes sourcils : c’est fait. En cet après-midi caniculaire, je prends 1 300 mètres de dénivelé positif dans les jambes. La température avoisine les 30 degrés.
Une montée qui n’en finit pas
Je me désaltère tant que je peux mais seule l’ombre des arbres m’apaise brièvement. Je fais des pauses régulières dans cette montée qui mène de Fos à la cabane d’Uls, en Haute-Garonne. Demain, j’arriverai dans le département de l’Ariège. Mais pour le moment, je ne vois qu’une pente abrupte devant moi.
Après plusieurs heures d’ascension, j’arrive à l’orée du bois. Je dois en sortir pour continuer la grimpe jusqu’à la cabane d’Uls quelques kilomètres plus loin. Je ne suis plus protégée du soleil que par ma casquette « Feminist » et mes lunettes de soleil zébrées. Mon t-shirt noir emmagasine la chaleur. Je sue toujours plus. Pour me motiver, j’écoute de la musique pop avec mes écouteurs Bluetooth. J’avale une barre de céréales toutes les heures. À un moment, je n’en peux plus. Quand cette montée se termine-t-elle ? Je n’en vois pas le bout.
Après une heure en plein soleil, la pente décline enfin mais je dois encore avancer de longues minutes avant d’apercevoir la précieuse cabane. Je plante ma tente à l’écart car je sais que d’autres randonneur·ses sont derrière moi et arrivent bientôt. Je préfère bivouaquer à bonne distance des autres pour préserver mon intimité. Ce soir, nous somme huit à dormir autour de la cabane d’Uls.
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Un périple épuisant
Anne est une randonneuse plus âgée que moi qui traverse également les Pyrénées en solitaire via le sentier GR10. Nous sympathisons rapidement. Elle peine beaucoup dans les montées alors elle fait autant de pauses que nécessaire. Ce soir, elle m’accompagne au ruisseau qui coule à proximité de la cabane. Je m’y baigne en sous-vêtements. J’en ai rêvé toute la journée.
Anne fait sa toilette à côté. Elle lave même ses vêtements du jour avec l’eau de la rivière. Nous discutons des meilleures stratégies pour polluer le moins possible les cours d’eau pyrénéens. Personnellement, je n’utilise pas de savon. Je me rince simplement dans l’eau vaseuse et glaciale. Je me sens chanceuse et heureuse. Mais demain, nous devrons repartir pour une nouvelle étape sans doute aussi difficile que celle d’aujourd’hui.
Traverser les Pyrénées à pied par le GR10, c’est parcourir au moins 922 kilomètres (sans compter les détours pour se ravitailler ou rejoindre des campings) et 50 000 mètres de dénivelé positif. Il faut y ajouter autant de dénivelé négatif pour rejoindre la mer… Je suis partie de Hendaye (Pyrénées-Atlantiques) le 1er juillet 2023. Je pensais atteindre Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales) en quelques semaines. Ça ne sera pas le cas.
Les montées m’épuisent, me déshydratent et affolent mon cœur mais je les préfère aux descentes. Ces dernières me cassent les jambes. Après trois mois de marche, mes genoux me font continuellement souffrir. Je m’aide de mes bâtons de marche pour limiter la casse. Je m’accorde une journée de pause en camping tous les trois ou quatre jours. Ces précautions me permettent d’aller au bout. Je touche la mer Méditerranée le 26 septembre 2023, après 68 étapes sur le GR10.
Je me sens épuisée. Je dors près de onze heures chaque nuit mais je me réveille plus fatiguée que la veille. Tout m’agace et j’ai hâte de poser le sac à dos. Je pense que le GR10 est la randonnée la plus difficile de France métropolitaine (devant le GR20 en Corse). J’ai rencontré beaucoup de randonneur·ses qui ont abandonné au milieu du périple. Certain·es à cause d’une blessure, d’autres par lassitude de ces montées et descentes incessantes.
Nous ne rencontrons pas de plat dans les Pyrénées. Nous descendons dans toutes les vallées et remontons immédiatement au col. En Ariège, il est difficile de trouver des campings ou des épiceries où nous ravitailler. Le réseau téléphonique ou internet passe très peu. Je ne compte plus les jours où j’ai enduré le froid, la canicule, les orages ou le vent. Je raconte ces épisodes dans mon podcast Sologamie, dédié aux célibataires qui n’ont besoin de personne.
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Revoir la mer, enfin
Le sentier est toujours technique, parfois dangereux : des pierres instables, des crêtes abruptes, un ravin tout proche, des cailloux glissants… Je tombe régulièrement dans les descentes. Plusieurs personnes perdent la vie en randonnant en montagne chaque année. Pour autant, traverser les Pyrénées à pied m’a demandé plus de force mentale que physique. Mon corps s’est habitué à l’effort en quelques semaines.
Après un départ ambitieux (20 kilomètres par jour début juillet), j’ai réduit la voilure à une quinzaine de kilomètres par étape, pas plus. En revanche, il m’a fallu une endurance à toute épreuve et un mental d’acier pour tenir dans la durée. Apercevoir la mer Méditerranée, trois mois après avoir quitté l’océan Atlantique à Hendaye, m’a émue aux larmes le 25 septembre. J’ai tellement souffert mais j’y suis arrivée seule. Moi qui n’avais jamais randonné en haute montagne. Moi la Parisienne d’origine. À Banyuls, je m’écroule sur la plage et me baigne seins nus dans l’eau salée.
Cet article est le sixième épisode du journal de randonnée de Marie Albert, qui suit son Survivor Tour dans les Pyrénées. Vous pouvez lire les précédents épisodes ici :
- Épisode 1 : Pourquoi je pars faire le tour de France à pied contre les violences sexistes
- Épisode 2 : Comment je survis aux hommes randonneurs : mon premier mois dans les Pyrénées
- Épisode 3 : J’ai mes règles en rando et c’est un enfer : mon deuxième mois dans les Pyrénées
- Épisode 4 : Non, je n’ai pas peur de dormir seule dans la montagne, et voici pourquoi
- Épisode 5 : Marcher entre meufs dans la montagne, un plaisir inégalé
En attendant le dernier épisode du journal de randonnée de Marie Albert, vous pouvez la suivre sur son compte Instagram, où elle documente son Survivor Tour.
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