Je suis malentendante de naissance, et ma surdité est dégénérative. On l’a détectée à l’âge de trois ans lorsque ma maîtresse d’école s’est rendue compte que je ne répondais que très rarement aux questions posées en classe. On m’a ensuite fait porter des appareils auditifs et j’ai changé de maternelle pour pouvoir être suivie par des orthophonistes et des auxiliaires de vie scolaire.
Ma surdité, ce cadeau
Ma mère s’est battue pour me placer dans une école « normale », car je n’avais même pas fait mes preuves qu’on voulait me placer dans une école de sourds loin de chez moi. Pendant quelques années j’ai eu un retard de vocabulaire : c’était le seul problème qu’avait engendré ma surdité. À l’âge de 15 ans j’étais fière de cet handicap… d’ailleurs, je ne comprenais pas pourquoi on prenait ma surdité pour un « handicap ». J’ai souvent répété qu’elle était la plus belle chose que je pouvais recevoir.
« Surdité, je t’aime ! Je m’aime ! »
Je sais que c’est assez difficile à comprendre, mais j’adorais pouvoir me couper du monde des entendants en éteignant mes appareils auditifs, j’aimais avoir le choix entre écouter de la musique ou le silence… Je n’ai que rarement côtoyé le monde des sourds mais je n’avais pas ma place dedans à l’époque. Je me considérais comme entendante, je n’avais que très peu d’amis malentendants. Je n’avais pas vraiment pris conscience du caractère dégénératif de ma surdité.
Puis à 19 ans, j’ai eu une grosse chute d’audition. Aucun de mes amis ne m’a réellement soutenue durant l’épreuve, sans doute parce que je les entendais encore et que l’idée que je sois complètement sourde leur paraissait loin. Alors vu leur absence de réaction, j’étais persuadée que c’était moi qui en faisais de trop, et je suis donc honteusement passée à autre chose… jusqu’à ma rentrée à la fac à 21 ans.
La surdité et l’isolement
J’étais toute seule, je ne connaissais personne et j’avais énormément de mal à m’intégrer. Je devais sans cesse répéter aux autres de me regarder quand ils parlaient, d’articuler ou bien de répéter. Je sentais bien que ça les énervait, qu’ils perdaient patience. Lorsqu’il fallait travailler à plusieurs, les élèves se parlaient entre eux et comme si je n’étais pas là.
Pour la première fois, j’ai haï mon handicap, je me suis haï et j’ai haï toutes les personnes qui m’entouraient. J’étais consciente de ma surdité mais j’étais surtout consciente du fait qu’elle soit un handicap. J’ai perdu toute confiance en moi, je n’osais plus parler à qui que ce soit de peur de ne pas les comprendre ou qu’ils me disent « non, rien ».
Bien sûr.
Puis ayant accepté ça, j’ai commencé à m’habituer à être seule et ça ne me faisait plus peur. Je savais que ça n’était pas de ma faute.
En février 2015, croyant à une panne de mes appareils, je suis allée chez l’audioprothésiste pour les faire réparer. Cette dernière m’a dit qu’il n’y avait aucun problème et qu’il fallait passer un audiogramme pour être sûre que ça ne venait pas de mes oreilles. J’ai eu une grosse boule au ventre : le dernier audiogramme datait de 2012, quand j’avais fait la plus gros chute d’audition, et jusque là j’avais réussi à esquiver tous les check-ups.
Un audiogramme, c’est un examen auditif consistant à évaluer le degré de surdité d’une personne. On porte un casque sur nos oreilles tandis que l’audioprothésiste se charge d’émettre les sons de différente fréquence. Il faut lever la main dès qu’on entend un son.
J’acceptai à contre cœur. L’examen a commencé avec l’oreille gauche (l’oreille qui fonctionne le mieux) par des sons graves puis aigus. Nous sommes ensuite passées à l’oreille droite. Étrangement, après un long moment de silence, nous sommes directement passés aux sons aigus.
« Pourquoi ce long silence, Madaaame… ? »
L’audioprothésiste a récupéré le casque et je lui ai demandé pourquoi on n’avait pas fait les sons graves. Elle m’a regardée d’un air désolé, et j’ai compris qu’on les avait diffusés mais que j’avais été incapable de les entendre. Je ne pouvais pas pleurer, je préférais attendre les résultats au lieu de dramatiser pour rien. Elle me les a montrés sur l’écran de son ordinateur : ils étaient désastreux. J’ai laissé tombé ma fierté et ai fondu en larmes devant ma grand-mère qui m’accompagnait et l’audioprothésiste. Les choses se concrétisaient, j’étais bien en pleine transition pour rentrer dans le monde des sourds.
Je ne pouvais plus le nier et je ne l’acceptais pas, mais j’ai continué à rire de ma surdité avec mes amis et je n’osais plus leur dire que j’avais mal de peur qu’on ne me prenne pas au sérieux.
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Sourds, implantés et malentendants
On m’a ensuite parlé d’un implant cochléaire. J’ai toujours haï ces deux mots : je les entends depuis que je suis petite et jamais je n’aurais cru que ça me concernerait un jour. Ce sont des appareils qui nécessitent une chirurgie pour remplacer tout ce qui se trouve dans l’oreille (cochlées et le bordel qui suit) qui est relié au le cerveau. À partir de là, notre oreille ne sert plus à rien car on entend avec le cerveau : les sons se propagent sous forme d’impulsion électrique. Les sons n’ont aucun rapport avec ce que nous entendons avec l’oreille.
Personnellement, je refuse de porter ça pour la simple raison que je refuse de perdre ce que j’ai dans l’oreille. Une recherche s’effectue en ce moment qui consiste à multiplier les cellules de la cochlée (soit les cils), et je sais qu’à partir du moment où j’accepte l’implant cochléaire, il n’y aura plus de retour en arrière. Je préfère attendre en prenant le risque de ne jamais entendre à nouveau plutôt que le faire en étant sûre de ne jamais réentendre comme avant.
Chez certains sourds, il existe une forme de discrimination divisant les sourds, les implantés et les malentendants. En étant malentendante, je la ressens bien rien qu’en allant à des spectacles ou cafés signes. Même si j’ignore les raisons, je trouve ça odieux et moi-même je n’arrive pas à m’intégrer dans un groupe de sourds.
Suite à ces événements, j’ai eu une période de remise en question : je ne savais plus à quel monde j’appartenais. Pour les sourds j’étais entendante, et pour les entendants j’étais sourde même si je comprenais et répondais correctement dans les deux mondes.
L’accès limité à l’information et à la culture
Mais ce qui me sidère dans le monde des sourds, c’est le manque d’accès à l’information et à la culture. Par exemple il y a trois ans, je suis allée à un café-signe. Nous formions un cercle et tous le monde discutait avec ses amis. De mon côté je me contentais d’observer, et j’ai vu une dame demander s’il existait d’autres moyens de contraception que le préservatif.
J’ai espéré n’avoir pas compris et je me suis approchée d’elle : elle disait que son mari en avait marre d’utiliser les préservatifs mais qu’elle pensait qu’il n’y avait que ça comme moyen de contraception. J’étais sidérée. Le médecin à qui elle en avait parlé n’avait pas pris le temps de lui expliquer des différents moyens de contraception. J’étais tellement en colère et sous le choc que je n’ai pas réussi à prendre sur moi et je suis partie.
Aujourd’hui, je me rends compte de l’absurdité qu’est le manque d’accès à l’information. Maintenant que mon audition s’est détériorée, beaucoup de portes se ferment. Il y a des tas de vidéos qui circulent sur le net qui ne sont pas sous-titrées.
Préparation de la lecture labiale sur un écran.
Les sous-titres à la télé pour les actualités connaissent un décalage important, et certains programmes ne sont pas sous-titrés du tout. Pour reprendre un exemple qui m’a choquée, on m’a beaucoup parlé du film La Famille Bélier. J’étais contente jusqu’à ce que j’apprenne qu’il y avait les sous-titrages pour la langue des signes mais pas pour l’oral. J’étais furieuse qu’on fasse un film qui traite le sujet de la surdité sans prendre la peine de traduire l’oral pour les sourds…
De la même façon, il n’existe que TRÈS peu d’interprètes de LSF pour les musées : pour le moment aucun des musées que j’ai visités n’en avait. Un tas de profs n’ont jamais eu de formation pour enseigner aux élèves sourds ou malentendants, ce qui nous oblige à aller très loin de chez nous. Je ne connais d’ailleurs aucun malentendant dans mon entourage qui est allé jusqu’à la fac, et j’ai énormément de chance d’être dans une université qui a pris soin de faire son possible pour me faire suivre au mieux les cours.
J’ai un preneur de notes, rémunéré pour prendre mes cours. Par contre, je n’ai qu’un seul prof qui prend soin de se mettre toujours à côté de moi dans un amphithéâtre et d’articuler. Un autre prof fait attention à articuler, demande aux élèves qu’il interroge de parler plus fort pour que je puisse comprendre et s’excuse qu’une vidéo à titre pédagogique ne soit pas sous-titrée.
Pour les autres cours par contre, je n’arrive pas à suivre alors je me fonds dans la masse et je regarde sur les notes mes voisins de quoi parlent mes profs.
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Ne plus entendre
Aujourd’hui je vis très mal la transition, et j’en pleure enfin devant mes plus vieux amis qui comprennent maintenant l’ampleur que ça prend et savent qu’ils vont devoir s’engager dans l’apprentissage de la langue des signes. Mon petit ami actuel, avec qui je suis depuis deux mois, me met dans le bain en me répétant les mots que je ne comprends pas en langue des signes.
J’ai tendance, dans la vie, à aller voir telle ou telle personne que je ne connais pas pour lui dire que j’aime son pull ou qu’elle a des cheveux magnifiques. C’est une chose qui va énormément me manquer, mais je pense que la chose la plus dure à surmonter sera l’absence de musique…
Cela dit, j’aime toujours qu’on rie avec ma surdité, qu’on dédramatise. C’est essentiel.
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Les Commentaires
Hello @Sohranna
Pour ce qui est de la difficulté en LSF, certains signes se ressemblent beaucoup mais surtout peuvent variés d'une école à l'autre, pour être plus claire,
j'ai eu pour professeur une interprète, qui nous expliquait qu'elle savait si un élève venait de l'institut national des jeunes sourds ou de l'école à 500 mètres plus loin car ils n'avaient pas les même expressions.
Et chaque mot n'est pas = à un signe, beaucoup de mot sont dits " iconiques" en fait on va décrire l'objet ou l'action car il n'y a pas de signe pour ce mot, exemple un cookie en LSF nous l'avons pas de signe pour ce mot, donc on signerais " un gâteau avec des pépites de chocolat " une lampe de chevet on va devoir associé les signes "lampes"; "table" et "lit" de sort à décrire qu'il s'agit d'une lampe poser sur la petite table qui ce trouve près du lit.
donc sur certaines traduction cela peu devenir particulièrement compliquer. Après pour un interprète il est vrai que ce n'est pas vraiment normal qu'il y ai eu ce genre de soucis, je ne sais pas si c'était un manque d’expérience ou quoi, c'est vraiment vraiment très très compliquer mais les mot " Grand-père" & "Grand-mère" ont chacun leur signe propre ( qui pour grand mère à tout de même 2 ou 3 variantes je crois selon comment on signe le mot "maman" )
Pour ce qui est du film la Famille Bélier, il faut garder à l'esprit que s'ils ont pris le parti de ne pas prendre uniquement des acteurs sourds c'est justement pour touché le public, il y a beaucoup de films avec des acteurs sourds mais la masse s'en fou, il ne les connaissant pas donc n'iront pas au cinéma pour les voir, alors que là on connait pour la plus par Karin Viard & François Damiens et c'est ça qui à pousser la masse à aller au cinéma voir ce film.
C'est vrai que Karin à une langue des signes très brusque et vraiment incompréhensible mais le but ce n'étais pas de faire jouer des sourds mais de sensibiliser, et on le sait tous la sensibilisation marche mieux avec des personnages connus