Ce vendredi 30 avril, c’est la journée de lutte contre les Violences Éducatives Ordinaires. À cette occasion, l’association Stop VEO a sorti une série d’affiches pour sensibiliser à ce problème, avec des images d’enfants tristes et des slogans qui riment.
« La fessée, ça m’effraie », « La tape sur la main, ça ne m’apprend rien », « Le chantage, ça me décourage », « Éduquer avec des menaces, ça laisse des traces », etc.
Cette campagne de communication a fait beaucoup réagir sur les réseaux sociaux (comme vous pourrez le voir sur le compte Instagram de @madame_captain), notamment parce qu’elle met sur le même plan des violences physiques (fessée, tape sur la main…) et d’autres « violences » plus discutables (copier des lignes, punition, priver de dessert…).
Être un parent maltraitant… sans le savoir ?
Surtout, ces affiches aux slogans percutants mais simplistes ne donnent aucun contexte ou explication, et se contentent de rappeler que depuis la loi du 10 juillet 2019, « l’autorité parentale s’exerce sans violence physique ni psychologique ».
Face à ces affiches, certains parents peuvent se sentir déboussolés. Est-ce que c’est la même chose de punir son enfant en l’envoyant dans sa chambre ou en lui mettant une fessée ? Est-ce que c’est pareil de répéter tous les jours à son enfant qu’il est un gros nul ou de lui crier une fois dessus parce qu’il a repeint le mur du couloir avec notre rouge à lèvres qui coûte la peau des fesses ?
Si la plupart des parents que je connais veulent élever leurs enfants sans leur donner de fessée ou de claque (moi y comprise), est-ce que je pourrais être maltraitante sans le vouloir ni même le savoir ? Pour tenter d’y voir plus clair, j’ai discuté avec la pédopsychiatre Marie Touati-Pellegrin et je lui ai demandé son avis sur les affiches de la campagne de l’association Stop VEO.
Une punition, c’est violent ? Tout dépend du contexte et de l’intention.
Pour elle, certaines affiches de la campagne sont efficaces, notamment celles qui rappellent que les violences physiques, comme les fessées ou les tapes, ont des conséquences négatives pour les enfants
(en plus d’être interdites par la loi).
« Il y a encore quand même pas mal de parents, même dans notre génération (NDLR les trentenaires), qui considèrent que ce n’est pas si grave de taper son enfant sur les mains ou sur n’importe quelle partie du corps. Or, ce genre de gestes apprennent à l’enfant que la violence est autorisée et que c’est la loi du plus fort qui règne. »
La pédopsychiatre est par contre plus critique sur d’autres affiches :
« L’affiche “copier des lignes, ça me mine” est complètement absurde. Tout dépend de ce qu’on fait écrire à l’enfant ! Cela peut être très bénéfique, si par exemple, on lui demande d’écrire sa version de l’histoire ou d’essayer de se mettre à la place de l’autre et de ce qu’il a ressenti, ou si on lui fait recopier un poème qu’il va devoir offrir à la personne qu’il a blessé…»
En fait, pour cette affiche-là, comme pour d’autres, tout dépend du contexte et de l’intention que le parent met derrière. Une punition sera humiliante, si l’adulte a la volonté d’humilier l’enfant ou de décharger sa propre colère, pas s’il veut faire réfléchir l’enfant ou lui offrir l’opportunité de « réparer » sa bêtise ou sa mauvaise action.
Si tu ne finis pas ton assiette, tu seras privé de dessert !
Pour Marie Touati-Pellegrin, toutes les punitions ne sont donc pas humiliantes, en fait, elles peuvent même avoir des effets bénéfiques dans certains cas.
« L’avantage d’une punition, c’est qu’ensuite c’est fini, et qu’on peut passer à autre chose, alors qu’accabler de reproches, ce n’est pas forcément mieux. En fait, ce qui est important, c’est de donner à l’enfant la possibilité de se racheter, de faire quelque chose de positif et de réparer. Par exemple, en demandant pardon. »
Et la punition classique : « tu es privé de dessert ! », est-ce que c’est une bonne idée ? Marie Touati-Pellegrin est plus mitigée sur celle-ci :
« Les punitions autour de l’alimentation, ce n’est pas très malin. Ça leur apprend que la nourriture, ça peut être un objet de conflit. En plus, c’est important d’apprendre aux enfants à réguler leur système de satiété, donc si on les force systématiquement à finir leur assiette, ça peut faire le lit des troubles alimentaires. »
La pédopsychiatre reconnaît quand même qu’il est important d’obliger les enfants à gouter les différents aliments qu’on leur propose, puisqu’on sait qu’il faut manger plusieurs fois un aliment pour finir par l’apprécier.
Chantage, menace, ou règles à respecter ? Arrêtons de tout mélanger !
OK, donc priver effectivement de dessert son enfant, c’est moyen, mais est-ce qu’on peut le menacer de ça sans passer à l’action ? Pour l’association Stop VEO, c’est non, comme l’exprime leur affiche : « les menaces, ça laisse des traces ». Un point de vue plutôt partagé par Marie Touati-Pellegrin.
« Dire “tu vas être puni de Switch” et ne pas le faire, c’est perdre en crédibilité. Et certaines menaces peuvent être très effrayantes pour un enfant. Quant au chantage, c’est souvent le signe d’un échec de l’adulte : on est à bout d’arguments. Mais il faut différencier le chantage de l’imposition de règles : « tu pourras jouer quand tu auras fini tes devoirs ».
En fait, le chantage c’est une question de présentation : « si tu veux aller jouer dehors dans la neige, tu mets ton manteau », ce n’est pas du chantage, c’est logique et on peut expliquer à l’enfant quelle est la règle et pourquoi elle existe. Par contre, lui dire : « si tu ne mets pas ton manteau, tu n’auras pas de gouter”, là c’est absurde. »
En l’écoutant, je me dis qu’effectivement ça a l’air d’être plutôt du bon sens et qu’on peut se fier à son ressenti en tant que parent pour poser des règles à ses enfants. Pourtant, certains groupes mobilisés contre la Violence Educative Ordinaire semblent quasiment opposés au fait même d’imposer des choses aux enfants sans leur consentement. Alors même qu’il s’agit de leur santé, genre : se brosser les dents ou prendre des médicaments !
L’absence de limites, c’est de la maltraitance
Au-delà de ce cas précis de la santé, mettre un cadre et des règles aux enfants, genre leur dire non pour un 4e dessert, n’est pas de la maltraitance, comme l’explique très bien Marie Touati-Pellegrin.
« Un parent a une fonction d’éducation, il doit aider son enfant à s’intégrer dans la société dans laquelle il va vivre. Et cela passe notamment par lui apprendre à supporter la frustration, parce qu’elle fait partie de la vie. Les parents doivent donner des limites à leurs enfants — qui sont celles de la vie en société — pour qu’ils les intègrent.
En fait, je pense que l’absence de limites, c’est même maltraitant. C’est très angoissant pour un enfant la liberté sans limites. Savoir par exemple qu’on n’a pas le droit de taper, et donc qu’on ne va pas se faire taper, c’est rassurant. »
Tout ceci, n’empêche bien sûr pas d’expliquer à l’enfant pourquoi telle règle existe ou de lui laisser le temps de finir sa tour de Kaplas avant d’aller au bain (non négociable pour la vie en société, mais pouvant être différé sans peine de dix minutes).
En fait, se focaliser sur le consentement de l’enfant en matière d’éducation n’est pas la bonne approche, car un enfant n’est pas un adulte en miniature. Il a un statut particulier et doit être protégé, notamment de lui-même.
Méfiance face aux injonctions simplistes et aux dogmes éducatifs
Méfiance donc face aux injonctions simplistes et aux dogmes éducatifs. Un dernier exemple pour la route ? Je suis tombée des nues en découvrant sur un groupe Facebook que les surnoms pouvaient être considérés comme des VEO. Moi qui ai inventé une chanson pour endormir ma fille où je l’appelle successivement : « Mon lapin, ma cracotte, ma loupiote, mon lamantin (ça rime) », étais-je sans le savoir la pire mère de l’année ?
En fait, là encore, tout est question d’intentions et de contexte pour Marie Touati-Pellegrin.
« On peut témoigner à son enfant son affection avec un surnom, mais aussi l’humilier si on l’appelle “la poubelle” par exemple. La question, c’est qu’est-ce qu’on met derrière cet échange ? Ce qui compte, toujours, c’est la qualité et la tranquillité de la relation avec son enfant.
Être parent, c’est un métier très difficile, il faut pouvoir se fier à son ressenti, se faire confiance, à soi et à son enfant, et se pardonner quand on a fait une erreur. Et puis, pouvoir expliquer a posteriori à l’enfant ce qui s’est passé, pourquoi on a (mal) réagi sur le moment, et s’excuser si c’est nécessaire. C’est important aussi, dans un moment calme, de pouvoir rassurer son enfant en lui disant « je t’aime tout le temps, et quand tu fais des colères aussi ». »
Allez, je vais essayer de m’en rappeler quand je m’énerve parce que ma fille de un an me mord le gras du bras pour la troisième fois d’affilée. À croire que je suis aussi appétissante qu’une compote…
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