Cet article est le quatrième épisode du journal de bord d’Anouk Perry sur un voilier queer et féministe. Vous pouvez lire les épisodes précédents et suivants ici :
Après deux semaines à bord de Triton, ce voilier se revendiquant queer et féministe, j’ai déjà l’impression d’avoir vécu beaucoup, peut-être un peu trop d’aventure. Nous venons de traverser le golfe de Gascogne, en partant de l’île d’Yeu, au large des Landes, pour arriver à Gijon, au nord de l’Espagne. Le bateau a été abîmé par la traversée, et j’ai l’impression que mon moral aussi. J’ai besoin de repos.
Le lendemain de notre arrivée, on fait une réunion d’équipe établissant la liste des choses à faire sur le bateau. Il y a la Grand Voile qu’il faut amener à un professionnel pour la réparer (elle s’est déchirée lors de la traversée), mais il faut aussi nettoyer le bateau, recharger les batteries, les réservoirs, et aussi bricoler la table du cockpit qui ne tient plus très droit.
Je suis la seule à parler espagnol à bord (et encore, mon espagnol est plutôt rouillé), et c’est donc à moi que l’on demande de poser les questions aux locaux. Ce jour-là, il pleut, et quand je prends un peu de temps pour visiter la ville, je ne la trouve pas vraiment à mon goût. Comme les deux nouvelles équipières, Claudi et Sushi, sont plutôt du genre introverties, je me raccroche à de longs messages audio que j’envoie et reçois à mes amis.
Calme plat et moral dans les chaussettes
Le réveil à 5 heures du matin, le lendemain, n’aide pas. La région a une météo spéciale, il n’y a que très peu de vent où nous sommes, et là, on nous prédit une fenêtre avec du bon vent jusqu’à midi, juste ce qu’il nous faut pour atteindre Cudillero, notre prochaine destination. Sauf que contrairement aux prédictions météo, quand on sort du port, c’est le calme plat. On fait du sur-place. Alors on décide de garder le moteur et de s’arrêter avant, dans un tout petit port de pêcheur, Luanco.
Il est 8 heures du matin, tout le monde fait la gueule, et alors que j’essaie de raviver le moral du groupe en papotant et faisant des blagues, je ne reçois en retour que du silence. Je comprends, mais ça me pèse. Hannah notre skipper nous dit qu’iel a besoin de passer du temps seul•e. Je pars me promener avec Claudi et Sushi. Je les sens plus ouvertes à la discussion, notre petite randonnée est belle, alors j’en profite pour leur confier que je me sens mal à bord, là. Claudi me répond sans creuser qu’il faut qu’on en parle collectivement.
Le soir, très solennellement, on fait une réunion de crise. Personne n’a le moral, chacun•e pour ses raisons. Certain•es trouvent que l’incertitude sur notre planning de navigation est pesante, que l’on passe trop de temps à réparer le bateau, pas assez à profiter des lieux. Je me sens isolée, parce que je suis la seule non-Allemande à bord et que je n’arrive pas à bien connecter avec les autres. Je me demande si c’est culturel. On essaye de trouver des solutions.
Le seau de la discorde
Quand le lendemain, nous partons pour Cudillero, notre destination d’origine, je sens une nouvelle énergie s’installer. Nous nous sommes remis•es physiquement de la traversée, nous avons mis nos différends à plat, et là, nous arrivons dans une petite ville adorable et retrouvons des voiliers avec qui nous avons sympathisé à Gijon. On est heureux de se recroiser, on fait même une soirée tous ensemble.
Sauf que dans ce port, je découvre qu’il n’y a ni sanitaires, ni toilettes publiques. Et après 3 épisodes, je me dois de rétablir la vérité sur les toilettes sur Triton, notre voilier. Il ne s’agit pas vraiment de WC à proprement parler, mais bien d’un seau, posé dans la cabine avant du bateau (donc juste à côté de 2 couchettes). On fait notre affaire dedans et balance le contenu par-dessus bord. Et pour la chasse d’eau ? On le remplit de nouveau d’eau de mer, avant de verser de nouveau le tout par-dessus bord.
Jusque-là, ça me convenait, car j’attendais les sanitaires des ports pour faire la grosse commission, mais là, c’en est trop. Je trouve ça trop humiliant de faire caca dans un seau, d’autant plus que Triton n’est jamais vide (donc tout le monde sent et entend ce qu’il se passe) et que les bateaux à côté de nous sont occupés (et peuvent voir votre « colis » flotter)…
Il y a bien l’option d’aller en centre-ville et de se rendre dans un café pour profiter de vraies toilettes, mais il faut contourner le port et on en a pour 20 minutes à pied.
Les autres semblent ok avec l’idée du seau pour faire caca, moi, je me sens comme une princesse qui chipote pour rien, et je culpabilise de me sentir mal avec cette idée. Chaque jour, on observe les prévisions météo du lendemain pour voir si nous pouvons repartir, et chaque jour, on ne constate que l’absence de vent. Les autres voiliers avec lesquels nous nous étions lié d’amitié partent tous au moteur, mais le moteur de Triton ne permet pas d’effectuer de telles distances.
L’horizon des toilettes
Après 5 jours, ENFIN, il y a un peu de vent et on décide de partir pour notre prochaine destination, mais quand on arrive au port suivant et qu’il n’y a toujours pas de toilettes, j’explose et annonce à Hannah que je veux partir d’ici une semaine. Je manque de sommeil, j’ai l’impression d’être isolée à bord et l’histoire des toilettes est la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
Iel réagit calmement en me disant qu’iel comprend, mais qu’iel doit trouver une solution… En attendant, iel me rappelle que sur un bateau, les humeurs changent comme la météo, que Claudi et Sushi, les deux autres équipières partent dans 2 jours et qu’après la pluie vient le soleil. Je ne vois que l’orage venir. Mais qui sait, peut-être a-t-liel raison ?
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