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Poussez Madmoizelle

« Quand ils ont saisi mon bébé avec les pinces, j’ai eu l’impression d’être écartelée » : Ambre raconte son accouchement

Ah, l’accouchement… Ce moment si incroyable, flippant et transformateur. Parfois rêve, parfois cauchemar, souvent un peu des deux. Une semaine sur deux, dans Poussez Madmoizelle, une personne nous raconte son accouchement. Cette semaine, Ambre* revient sur son accouchement long et éprouvant, et sur la difficile adaptation à la vie de parent.

N’oubliez pas, dans les commentaires, que les personnes qui témoignent sont susceptibles de vous lire. Merci de rester bienveillant·e.

  • Âge au moment de l’accouchement : 34 ans
  • Bébé attendu à la date : 21 novembre 2022
  • Bébé arrivé à la date : 8 novembre 2022
  • Heure d’arrivée à l’hôpital : le 7 novembre à 13h30 
  • Heure d’accouchement : 14h30 le lendemain
  • Poids et taille de l’enfant à la naissance : 51 cm – 2,8 kilos

Avec mon conjoint, le désir d’enfant a été évoqué au début de notre relation. Mais nous n’étions pas pressés car nous avions des projets professionnels, des envies de voyages et de sorties. Nous avons commencé les essais quelques mois avant la conception. 

Lorsque je suis tombée enceinte, j’étais incrédule car j’étais atteinte d’endométriose et n’étais donc pas certaine de pouvoir réussir naturellement. En outre, on est conditionnées à croire qu’on périme à partir de 30 ans sur le plan de la fécondité, ce qui influence le moral des femmes. Et puis, j’ai été élevée davantage comme un esprit que comme un corps, dans l’optique de faire des études, d’avoir une carrière, une vie culturelle riche etc., ce qui a par contraste relégué le rôle de mère à un rang subalterne. Le test positif, ça a donc été une stupéfaction heureuse ! J’étais un animal comme un autre…

À lire aussi : « Mon fils de 4 ans a vu sa sœur naître » : Anaïs nous raconte son accouchement à la maison sans assistance

Une grossesse éprouvante

Être enceinte a été très désagréable pour moi, et j’ai remarqué que les maux de grossesse sont minimisés en société. Pour les symptômes physiques, déjà, on parle de « nausées du matin ». Je ne m’attendais donc pas à avoir le cœur au bord des lèvres 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Il m’est arrivé de vomir de la bile, de ne pas pouvoir boire ne serait-ce qu’un verre d’eau… J’ai été mise sous traitement pour stopper les vomissements mais l’effet secondaire était une fatigue encore plus accrue. J’avais globalement du mal à m’alimenter les premiers mois, tendance qui s’est inversée sur la fin, puisque je mangeais tout le temps. J’ai donc ressenti une immense fatigue chronique. Me lever et aller travailler constituaient de gros efforts et je n’avais plus d’énergie pour le reste. Forcément, je me suis sentie déprimée. C’était métro, boulot, dodo avec la sensation d’avoir comme une gastro en continu et peu d’attentions en contrepartie. Ce qui est dur, c’est de souffrir en silence au travail en raison de la règle implicite des 3 mois. En plus, Paris est une jungle, dans les lieux publics, c’est souvent chacun pour soi. C’était éprouvant humainement de se sentir seule. À tout ceci s’est ajoutée l’angoisse de la fausse couche. J’en faisais des cauchemars. 

Bref, si je comprenais que l’idée d’enfanter était belle, je sentais dans ma chair que ça se faisait à mon détriment et personne ne s’en souciait. La maternité avait déjà commencé, je n’étais plus ma propre priorité, je m’effaçais au profit de mon enfant, dans l’indifférence générale. 

Un accouchement redouté

J’avais une véritable phobie de l’accouchement, par peur de la souffrance et par dégoût de l’acte, qui est long, violent, sanglant. J’avais donc peur de ne pas réussir, de m’évanouir pendant. Ensuite, j’avais peur de ne rien ressentir pour le bébé, qui a d’ailleurs une drôle d’apparence quand il sort. Mon projet de naissance, c’était la péridurale le plus vite possible ! L’hôpital ne m’a pas demandé si j’en avais un de toute façon. 

Mon accompagnement a été chaotique. Le service périnatal de l’hôpital public parisien où j’ai accouché était saturé et m’a demandé de commencer à me faire suivre en libéral. C’est là que j’ai découvert la merveilleuse profession des sages-femmes ! Plus empathiques mais tout aussi compétentes et pro que des gynécos, elles sont prises d’assaut, enchaînent les consultations avec la même humanité à des tarifs bien plus bas. C’est toutefois dur de trouver des sages-femmes qui font à la fois les échographies et les suivis de grossesse. J’ai donc vu une sage-femme pour les échographies puis une autre pour le suivi traditionnel. À la fin de ma grossesse, j’ai été suivie à l’hôpital. J’ai eu affaire à beaucoup d’interlocutrices, mais il m’a manqué un soutien psychologique. Ça a été en effet un grand choc pour moi de vivre la grossesse comme une maladie invisible qui ne s’arrête jamais. 

Dans les grandes villes, on est plus anonymes qu’ailleurs et tout se marchande : les femmes y sont plus seules. L’accompagnement est donc payant et impersonnel. Des copines ont pu me soutenir en répondant à mes nombreuses questions mais tout se faisait par écrit, on se voyait pas ou peu. Et puis, j’entamais ma route vers une autre planète pendant que mon conjoint restait sur la sienne. À la maison, nous devenions déconnectés l’un de l’autre.

30 heures pour accoucher

J’ai été réveillée 2 semaines avant le terme par de vives douleurs dans le bas-ventre et dans les reins. J’ai compris que le travail commençait, mais je ne savais pas encore que je n’accoucherais que 30 heures après ! 

J’ai patienté chez moi de 6 heures à midi, en essayant de faire les positions censées soulager la douleur. J’avais très peur d’accoucher chez moi ou dans le taxi ! J’ai appelé les urgences de la maternité qui m’ont dit que je pouvais passer faire un contrôle si le spasfon ne faisait pas effet. J’ai commencé à écrire à des copines déjà mamans, leur écoute m’a guidée. À 13 heures, j’ai pris un taxi avec un petit sac contenant le minimum vital. J’avais peur que l’hôpital me renvoie chez moi. Quand j’ai été auscultée, mon col était fermé… Heureusement ma poche des eaux était fissurée, ce qui m’a permis de rester sur place. Au bout de quelques heures, j’ai été mise en salle de pré-travail. C’est une grande salle impersonnelle où on patiente des heures seule, avec une visite toutes les trois quarts d’heures pour vérifier (à la main !) l’ouverture du col. Malheureusement j’avais des contractions rapprochées et douloureuses mais peu efficaces. Le col restait fermé. J’ai donc été considérée non prioritaire et je suis restée jusqu’à minuit dans cette salle, où mon conjoint m’a rejointe vers 18 heures. J’avais mal depuis 6 heures du matin mais en fin de journée, c’est devenu insupportable. Je n’avais même pas 2 minutes de répit entre chaque salve. Une sage-femme particulièrement empathique a fini par me proposer la péridurale, quand mon col était ouvert à 3 cm. Il était minuit. Je n’aurais pas pu supporter la douleur plus longtemps. 

Dans la nuit, j’ai eu de la fièvre, j’ai vomi. Ça a déclenché des protocoles de suivi. On m’a mis de nouvelles perfusions. Une sage-femme passait vérifier l’ouverture du col et le rythme cardiaque de mon bébé était suivi en continu. Le travail était très lent. Heureusement avec la péridurale, je ne sentais presque rien, juste de vagues douleurs. Par contre, j’avais des convulsions à cause des produits. J’ai vite perdu la notion du temps. Dans la matinée, le col s’ouvrait toujours lentement. Ils ont accéléré le travail en injectant un produit supplémentaire qu’on utilise pour déclencher les accouchements. 

Il devait être environ 13 heures quand j’ai commencé à pousser. J’étais épuisée, hospitalisée depuis 24 heures, alitée avec tout un tas de produits. Je poussais efficacement mais entre chaque poussée, le bébé remontait. La sage-femme m’a dit qu’on allait peut-être devoir faire une césarienne, le bébé descendant trop peu. Finalement, une heure après, elle est arrivée avec une interne et son médecin encadrant qui ont décidé l’extraction par voie basse avec des instruments. J’étais horrifiée par cette perspective. Mais c’était le moyen d’en finir, en tout cas présenté comme tel. Quand ils ont saisi mon bébé avec les pinces, j’ai eu l’impression d’être écartelée. Je ne souffrais pas grâce à la péridurale mais je sentais tout. Ils étaient deux, le gynécologue et l’interne, à tirer. C’était d’une grande violence pour le corps. Ça n’a pris que quelques minutes. Autant le travail avait été trop lent pour que je réalise ce qui se passe mais là, c’est arrivé si rapidement que je n’étais pas prête. Cela m’a coûté une épisiotomie et une déchirure, presque une heure à être suturée pendant que mon bébé était ausculté. 

On ne naît pas mère…

Quand le bébé sort, il a une apparence que je trouve effrayante. J’avais déjà vu ça à la télévision et j’avais peur de ma réaction quand ce serait le mien. Je dois avouer que j’ai fermé les yeux quelques secondes quand elle a été mise sur mon ventre. Elle était gluante, d’une étrange couleur. J’ai demandé à ce qu’ils la frictionnent un peu. C’est là que je l’ai regardée en face et que je l’ai vue ouvrir les yeux péniblement, dans ma direction. C’était très fort comme moment. J’ai eu le sentiment de rentrer dans la grande Histoire des femmes qui enfantent, depuis l’aube de l’humanité. Cela m’a donné un ancrage. C’était à la fois bestial et sacré. Mon conjoint a été désorienté comme moi lors des premières secondes mais il l’a vite prise en peau à peau, pendant que j’étais suturée. Tout était un peu irréel. 

La péridurale a cessé de faire effet. C’est là que j’ai senti la violence de ce qui s’était produit. L’entrejambe en feu. La fatigue extrême. Et pourtant tout devait s’enchaîner sans répit : j’avais un minuscule être humain au sujet duquel je ne connaissais rien et dont je devais m’occuper nuit et jour. C’était surréaliste. Les auxiliaires de puériculture sont venues pour la nourrir et la changer une seule fois. J’avais été préparée à faire des études, parler plusieurs langues, jouer des instruments et face à ce rôle qui semblait banal, j’étais démunie. Je ne savais rien faire. J’ai été parcourue d’émotions contraires, la joie, la peur, la douleur physique, tout était décuplé. J’ai aussi découvert que l’allaitement naturel était rarement intuitif. Je n’arrêtais pas de découvrir des choses sur les combats muets des femmes. J’ai eu une vraie révélation sur ce qui faisait notre spécificité. 

« Il n’y avait aucune place pour mes souffrances à moi »

J’étais paniquée à l’idée de rentrer à la maison. J’avais peur de ne pas savoir m’en occuper. J’avais peur de la mort subite du nourrisson. Je ne me faisais pas confiance du tout. Mon conjoint et moi n’étions pas convenus d’une répartition des tâches, on l’a faite un peu en mode survie. À cause de l’épisiotomie, une mutilation, je marchais difficilement et ne pouvais pas m’asseoir. Mais il n’y avait aucune place pour mes souffrances à moi. Dans l’imaginaire collectif, être mère, c’est banal et naturel. Je voyais bien à la maison que mon conjoint ne réalisait pas que j’étais dans un piteux état physique, sans parler de l’angoisse d’être mère et donc parent numéro 1, qui allaite, qui prend les rendez-vous médicaux, qui achète les vêtements, qui traîne son corps meurtri au supermarché… Je pense qu’on aurait dû définir nos tâches car quand il a recommencé à travailler, il a estimé, c’est classique, qu’il avait un travail contrairement à moi…

Le post-partum a donc été douloureux. Sur le plan physique bien entendu. Sur le plan moral aussi. Mon quotidien de labeur sans répit était miné par l’angoisse de ne pas bien faire et de voir ma fille mourir. 

Je n’avais pas été conditionnée à être mère et ne me trouvais pas crédible dans ce rôle très intense. J’avais passé des concours à 5 % de réussite et ça me paraissait hyper facile face à la dure tâche d’être mère. Cette difficulté est invisible en société, c’est l’angle mort du féminisme actuel. J’ai trouvé la maternité très belle mais très ingrate. C’est un don de soi total et invisible, y compris à la maison. 

Et puis…  Au bout de plusieurs semaines, j’ai eu l’affreuse impression d’avoir rétrogradé dans le regard de mon conjoint, je me sentais comme une vache laitière, encombrante et repoussante. Alors que je m’attendais à être choyée pour mes efforts. Je me sentais laide esthétiquement et belle symboliquement. Lui était devenu distant, voire froid et parfois hostile. Cela m’a anéantie.

Je garde un souvenir mitigé de l’accouchement en raison du travail qui a été long et solitaire dans cette salle impersonnelle d’une part et de la douleur occasionnée par l’extraction d’autre part. Je ne sais pas si on aurait pu faire différemment. Je pense quand même que c’est un très bel événement, d’une force rare dans nos vies aseptisées et nombrilistes. J’aurais aimé en profiter sans l’angoisse de l’inconnu, propre au premier enfant.

La situation s’est heureusement améliorée au moment du 6e mois de la petite. Mon conjoint a davantage pris sa place et les tensions ont baissé en intensité. J’ai appris que ce phénomène s’appelait le baby clash et qu’il touchait de nombreux couples après l’accouchement. Mais la charge mentale repose encore très majoritairement sur la femme, c’est notre imaginaire collectif qui façonne ce comportement. On observe un certain progrès en société, les mentalités évoluent, mais lentement. Les femmes ont un double travail, au bureau et à la maison, sans estime particulière. On ne veut plus encenser le travail de mère, pour ne pas qu’il réduise la femme à la maternité mais cela peut invisibiliser injustement notre réalité. 

Merci à Ambre* de nous avoir raconté ce moment si spécial !

* Le prénom a été modifié.

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Les Commentaires

1
Avatar de Ariel du Pays Imaginaire
11 juillet 2023 à 11h07
Ariel du Pays Imaginaire
Je trouve ce témoignage très puissant et très bien écrit ! Ambre trouve les mots justes pour décrire certaines ambivalences de la maternité. Et j'ai moi même subit de l'hyperémèse gravidique pendant ma grossesse donc je compatis pleinement c'est un cauchemar (je ne sais pas comment elle a fait pour continuer à travailler!). Par contre je suis assez choquée par le comportement de son conjoint qu'elle semble décrire comme banal. Déjà il n'a pas l'air très soutenant pendant la grossesse alors que c'était clairement un projet commun. Ensuite il arrive à 18h pour l'accouchement alors qu'elle était à l'hôpital à 13h... Mais qu'à t'il fait pendant 5h??? Mais c'est surtout ce qu'elle décrit après qui m'a réellement choquée. Par exemple :
quand il a recommencé à travailler, il a estimé, c’est classique, qu’il avait un travail contrairement à moi…
Je ne sais pas si c'est "classique" mais je ne trouve pas ça normal DU TOUT de penser que sa compagne qui est seule à la maison à gérer l'être le plus fragile et important de leur existence (un nouveau né) ne fout rien... Et je ne comprends pas du tout pourquoi une femme qui vient d'accoucher (et qui en plus a subit une grossesse compliquée et un accouchement difficile avec déchirure) doit en plus gérer des rdv médicaux et aller faire des courses !!!! Autant la grossesse et l'accouchement, même avec la meilleure volonté du monde le 2e parent ne peut pas en porter autant la charge que la maman qui accouche. Autant justement après l'accouchement c'est le moment où le 2e parent peut se "rattraper" en prenant une large part de la charge mentale (notamment les courses c'est pas compliqué quand même).
Je trouve ça important de ne pas banaliser ce genre d'attitude qui clairement ne sont pas normale et je n'ai pas eu l'impression à la lecture du témoignage que Ambre se rende compte que ce qu'elle a vécu n'était pas vraiment normal... J'espère que depuis elle a pu dialoguer avec son conjoint.
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