Quand on parle d’engagement écologique, féministe ou citoyen, on parle souvent de colère, d’indignation ou de résilience. Autant de sentiments justifiés vu des injustices qui font notre système, ou de la crise écologique que nous traversons.
Mais, il y a un mais. Et au-delà de la vision collective des échecs de notre société, nous n’en sommes pas moins des individus qui tentent de vivre, d’être heureux, et de jouir. Or, des voyages à la nourriture en passant par la consommation et la culture, où sont les plaisirs qui ne seraient pas coupables ? La gauche aurait-elle délaissé la notion philosophique de plaisir au point de ne plus être capable de le penser autrement que par la privation ?
C’est une des thèses du philosophe de gauche Michaël Foessel, interviewé par Laura Raïm dans Les idées larges sur ARTE.
Les émotions, le plaisir et la politique
En s’interrogeant sur les sentiments engagés par chacune et chacun dans le champ politique, Michaël Foessel trace une distinction nette entre le désir, relié à nos imaginaires, et le plaisir, qui est une expérience palpable.
Si le désir est très présent en politique, ne serait-ce que dans la manière dont on espère un monde meilleur, on a tendance à penser le plaisir immédiat comme un divertissement… Un terme historiquement marqué comme péjoratif par certaines philosophies de gauche, en ce qu’il détournerait des choses importantes. Ensemble, le philosophe et la journaliste reprennent l’histoire de cette notion de plaisir et la manière dont elle a révélé plusieurs pensées de gauche, entre austérité et jouissance.
Selon lui, l’histoire de la gauche et de ses échecs politiques auraient amené les individus à abandonner l’idée de changer le monde pour adopter une forme de militantisme centré sur le changement de soi. Or, pour le philosophe, « Vouloir porter sur soi-même le poids de l’injustice du monde paraît plutôt de nature morale, voire religieuse, plutôt que politique ».
Sortir de la culpabilité et de la honte
Alors que les conséquences du dérèglement climatique se font de plus en plus violentes partout dans le monde, la conscience que nos ressources naturelles sont limitées amènent à scruter nos pratiques individuelles avec sévérité, et à se refuser des petits plaisirs, que le philosophe nomme les petits luxes. En gros, ce qui est en plus de ce qui nous est nécessaire… et qui fait culpabiliser.
C’est ici qu’entre en jeu la philosophe et psychanalyste Elsa Godart, qui estime que le XXIème siècle serait celui de la culpabilité. Elle soutient qu’emplir notre société d’injonctions individuelles inatteignables est un mécanisme de déresponsabilisation du champ collectif… Et donc de la politique, qui n’a plus à assumer les enjeux sociaux auxquels nous faisons face.
Pour sortir de cette impasse politique, le philosophe prend pour exemple l’occupation des usines de 1936 ou les premiers temps des gilets jaunes, et enjoint à chercher ce qu’il nomme des plaisirs évènements : une joie politique qui récompense l’inattendu et nous invite à imaginer un monde nouveau.
De quoi interroger nos cas de conscience devant des petits luxes individuels, mais aussi l’inertie et la complaisance qui nous poussent parfois à croire que se priver de plaisir, dans un monde injuste, suffira à rendre le monde plus juste et plus égalitaire. Retrouvez cet excellent épisode des Idées larges sur ARTE.tv !
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