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Patience Nabukalu // Source : Emma Nicolas
Écologie

Patience Nabukalu : « Nous ne devrions pas être condamnés à mort pour une crise que nous n’avons pas causée »

Famines, sécheresse, inondations, pauvreté… Alors que l’Afrique produit moins de 4% des émissions de gaz à effet de serre mondiales, elle est aujourd’hui en première ligne de la crise climatique, condamnée à l’indifférence de l’occident et aux projets climaticides de grands groupes internationaux. Patience Nabukalu, militante pour la justice climatique, lutte quotidiennement contre cette exploitation éhontée, aux conséquences dévastatrices pour les communautés locales et la planète tout entière. Rencontre.

Vendredi 26 mai se tenait l’Assemblée Générale annuelle des actionnaires de Total Energies à Paris. Plusieurs associations, comme Greenpeace, Alternatiba Paris ou encore Les Amis de la Terre y étaient, au côté de 700 militants déterminés à bloquer l’accès de la Salle Pleyel, pour dénoncer le rôle meurtrier que joue TotalEnergies dans la crise climatique. Parmi les initiatives climaticides portées par le géant du pétrole, se trouve le projet EACOP, qui vise à construire le plus long oléoduc chauffé du monde en Ouganda et Tanzanie. Madmoizelle est partie à la rencontre de Patience Nabukalu, activiste ougandaise, membre de Friday’s for Future et de Stop EACOP. Entretien.

Interview de Patience Nabukalu, militante ougandaise pour la justice climatique.

Madmoizelle. D’où vient votre engagement écologique ?

Patience Nabukalu. J’ai grandi près d’une zone humide, en Ouganda, exploitée par des investisseurs chinois à des fins mercantiles. Dès mon plus jeune âge, j’ai été confrontée à la réalité du dérèglement climatique. À chaque pluie, il y avait de graves inondations. Des personnes mouraient, d’autres perdaient leur maison, des enfants ne pouvaient plus se rendre à l’école… J’ai vécu dans une éco-anxiété permanente, sans cesse à me demander qui serait la prochaine victime. Je me souviens, toute jeune, ne pas pouvoir aller à l’école et devoir écoper l’eau qui avait inondé ma maison. Je revois ma mère, perdre toutes les denrées qu’elle vendait dans notre petite épicerie, car les paquets de riz ou de farine étaient trempés.

Au lycée, j’ai choisi d’étudier la géographie, parce que je voulais comprendre d’où venaient ces phénomènes. J’ai appris que les zones humides jouaient un rôle crucial pour atténuer les effets du dérèglement climatique, et que ce que nous vivions était dû à la dégradation de ces espaces. Je me suis alors engagée pour leur protection, en organisant par la suite, le nettoyage des marécages de la région, en menant des campagnes de sensibilisation dans les écoles, en luttant contre la pollution plastique. Aussi bien sur le terrain qu’en ligne…

Vous coordonnez le mouvement Fridays for Future en Ouganda. De quoi s’agit-il ?

C’est un mouvement de résistance fondé par Greta Thunberg et mené par les jeunes du monde entier. Chaque vendredi, nous sortons dans la rue, interpeller nos leaders. Il est compliqué de se mettre en grève en Ouganda, car c’est perçu comme une forme d’opposition au régime. Alors, nous nous prenons en photo avec des pancartes en guise de résistance.

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C’est aussi un mouvement d’émancipation et d’empouvoirement pour les femmes, premières touchées par la crise climatique. Ce sont elles qui sont le plus confrontées à cette réalité et qui n’ont d’autres choix que de trouver des solutions concrètes pour que leurs enfants puissent continuer d’aller à l’école, à avoir à manger le soir… Et pourtant, on les évince du combat, on les silencie. Nous aurions beaucoup à apprendre d’elles si nous les écoutions.

Vous luttez également contre le projet pétrolier EACOP que porte TotalEnergies…

Total veut construire le plus long oléoduc chauffé du monde. 1443 mètres qui traverseront la Tanzanie et l’Ouganda. C’est une bombe climatique qui se prépare. On nous présente ce projet comme une opportunité incroyable de développement, qui amènera de l’emploi à nos communautés. C’est un mensonge. Il y a d’autres manières de développer l’économie locale : la pêche, l’agriculture, le tourisme…

Plus de 10 000 personnes ont déjà été déplacées de chez elles, loin de leur maison, de leurs terres, de leur source de revenu, de leur école, alors que l’oléoduc n’est même pas encore construit. On nous parle de celles qui ont été compensées, mais cela ne concerne qu’une infime partie des personnes déplacées et ce n’est même pas à la hauteur de ce qu’elles ont perdu. Ce projet est une violation des droits humains, qui, en plus, empiète sur plusieurs zones protégées. Imaginez qu’il y ait une fuite de pétrole : les étangs, l’océan Indien, les sols… Tout serait pollué. Et c’est sans parler des émissions carbones. EACOP, c’est 34 millions de tonnes de CO2 par an, soit plus que les émissions de l’Ouganda et de la Tanzanie combinées !

Quel rôle jouent les pays du Nord dans la crise climatique ?

Les privilèges et le confort de vie dont jouit le nord reposent entièrement sur les investissements terribles qu’il a fait dans le sud, notamment autour des énergies fossiles. Il en va de son devoir et de sa responsabilité de compenser le sud pour les pertes et dommages engendrés. Nous sommes tous concernés par la crise climatique. Même si vous n’êtes pas à l’avant-poste du dérèglement climatique, vous pouvez lutter, agir, en finançant des ONG qui œuvrent sur le terrain par exemple. Nous avons besoin de moyens financiers.

Les scientifiques sont clairs : il ne faut plus utiliser d’énergie fossile. La région sub-saharienne de Karamoja, en Ouganda, est parmi les plus exposées aux conséquences dévastatrices du dérèglement climatique : aux famines, aux sécheresses intenses, à la pauvreté, à la crise de l’eau… Au Kenya, la désertification gagne du terrain. Les gens meurent car nous n’avons pas les moyens de nous adapter. Le nord a joué un rôle déterminant dans la crise climatique, en maltraitant la nature, et nos communautés, au nom du profit. Pourtant, c’est nous qui en payons les frais. Nous ne devrions pas être condamnés à mort pour une crise que nous n’avons pas causée. L’Afrique est responsable de moins de 4% des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Le nord essaie de normaliser cette situation, mais ce n’est pas normal ! La crise climatique a des effets réels, c’est notre quotidien. Nous ne voulons plus perdre de vies.

Quel conseil donneriez-vous aux personnes qui souhaitent s’engager pour la justice climatique, mais ne savent pas par où commencer ?

Il n’y a pas besoin d’avoir un « début », de « commencer » quelque part. Peu importe où l’on vit, ce que l’on fait dans la vie. L’important, c’est que la manière dont on se comporte, ce que l’on dit, comment on dépense son argent, soit en phase avec un enjeu de justice climatique. Sans être forcément sur le champ de bataille, il y a plein de manières de s’engager pour le climat. On ne peut pas attendre que nos leaders décident pour nous, puisque le futur qu’ils nous proposent n’est simplement pas viable.


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