Si les années fin 60-début 70 sont celles de la comédie musicale, celles qui suivent prennent le relais en se transformant : gardant musique et danse, les films de cette époque renoncent au principe de ces grandes comédies-là, artificiel dans son essence même, pour faire de la danse un élément primordial de l’intrigue. Boîtes de nuit, écoles de danse et clubs de vacances deviennent le décor de ces films en plein dans la tendance eighties. Grease est en quelque sorte le seul film à faire le lien entre les deux : on le connait avant tout en tant que comédie musicale… oubliant parfois que la danse est aussi une part importante de l’intrigue. C’est en quelque sorte le film pont, celui qui marque la transition, alors que La Fièvre du samedi soir est déjà passée par là.
Une fois la danse mise au cœur de l’histoire, deux thèmes se greffent en général sur ce noyau dur. D’une part la jeunesse, ce qui fait que les meilleurs films de danse postulent bien souvent au rang des meilleurs teen-movies. La danse est une affaire de jeunes et c’est souvent l’expérience mise en scène qui permet que s’accomplisse le passage à une certaine maturité.
Zone de transition, la danse l’est aussi, et c’est le second thème récurrent, entre classes sociales. La guerre des gangs telle que West Side Story la chorégraphiait – génialement – se complexifie en incluant en son sein d’autres personnages pas nécessairement grandis dans les rues, ou des personnages qui ont une grande ambition sociale. Il n’est plus tant question de filmer l’affrontement entre deux bandes rivales que de faire de la danse, et particulièrement du duo, l’espace où se cristallisent les tensions entre deux grands groupes, que représentent deux protagonistes et la tension érotique qu’ils matérialisent par leur danse.
Qui dit danse dit aussi musique : plus que les bandes originales des comédies musicales, celles des films sur la danse rendent au moins une chanson culte : de « Staying alive » à « Fame », de « The time of my life » à « Footloose », un certain nombre de morceaux deviennent célèbres en même temps que cette tendance cinématographique.
L’INDISPENSABLE : LA FIEVRE DU SAMEDI SOIR
Culte, le film qui a révélé John Travolta l’est avant tout pour ses moments célébrissimes : Tony sur le dance floor, les morceaux des Bee Gees, l’introduction. Ce qu’on oublie souvent et qui vaut pourtant pour une grande part de sa qualité, c’est d’abord son humour typique des meilleurs films sur les ados.
Tony Manero, fils d’immigrés italiens, ne vit que pour briller sur les pistes de danse. Tout l’argent qu’il gagne grâce à son boulot est destiné à lui payer ses soirées du samedi. Dans le monde, il a la classe mais il n’est pas grand-chose, incompris même de sa famille qui n’a d’yeux que pour son frère religieux ; c’est seulement une fois qu’il a passé la porte d’une salle de danse ou d’une discothèque qu’il devient Tony Manero, le roi.
Le désarroi adolescent est avant tout représenté par ses copains – le dénouement peut être tout bonnement tragique – et surtout son frère bourré de doute. La nuit que les deux frangins passent quand Frank Jr renonce à ses vœux est si intéressante sur ce thème qu’on se demande en la voyant comment elle peut être oubliée et passer à la trappe au profit des danses disco… Tony, lui, représente l’ambivalence, car à la différence des autres dont il fait tout de même partie, il a ce privilège qu’il sait faire quelque chose et a une perspective, même si c’est à court terme – gagner une compet de danse, conquérir Stéphanie.
Ce personnage permet d’ouvrir dans le film un espace qui se pose miroir à celui de l’adolescence : représenté par Stéphanie la snob et son ambition new yorkaise et méprisante. Car n’oublions pas que nous sommes chez Tony à Brooklyn ; le début du film, qui rappelle la longue introduction de West Side Story, s’en détache d’autant plus qu’il ne montre pas New York.
http://www.youtube.com/watch?v=01ilGikMg1E
Bref, avec la danse, Saturday Night Fever ouvre un espace de friction entre les mondes, qui permet au protagonise une prise de conscience sur le monde – provoquée par un autre élément de l’intrigue, mais y étant toujours directement liée. Pas véritable moyen d’ascension sociale, la danse se dessine pourtant comme un refuge – sans quoi la détresse des jeunes peut se conclure de façon désastreuse.
Ce portrait d’un dévouement à la danse est donc bien plus sensé, voire cruel, qu’on le retient en général en gardant l’image – toutefois très bonne – de Travolta remuant avec talent et paillettes. Mais c’est aussi le plaisir du film, et ce qui fait sa qualité, sachant subtilement doser entre constat sensé et jouissance du plaisir de la danse.
KICK OFF YOUR SUNDAY SHOES
Du disco au rock, de 1977 à 1984, John Travolta passe le relais à Kevin Bacon. Il n’y a pas dans Footloose cette ambivalence qui fait l’essentiel de la qualité du premier film. Dans celui d’Herbert Ross, tout est tendu vers et pour la danse, jusqu’à la scène finale, qui en est une véritable célébration. Le film n’est cependant pas creux puisque la danse, posée comme jouissance et fin en soi, se dresse par le biais du protagoniste Ren MacCormack contre la morale étriquée d’une petite ville de l’Amérique profonde. Le jeune homme, tout juste arrivé de Chicago, se heurte au puritanisme ambiant et entame un combat pour autoriser l’organisation d’un bal de promo.
Les acteurs sont très bons (notamment Bacon, et surtout son pote Chris Penn) mais le scénario est fait de quelques grandes lignes – évoquées plus haut – en dehors desquelles le récit s’éparpille en anecdotes qui font passer le temps. Il n’y a que trois scènes de danse qui captivent : Ren qui se lâche pour la première fois ; l’excellente scène où il apprend à son copain Willard, jusqu’ici coincé, à remuer ses fesses ; le bal final. Il faut ajouter, au sujet du personnage de Willard, qu’il supplante presque et en quelques scènes à peine, le protagoniste. C’est lui seul qui porte la dynamique de la jeunesse et son ambivalence – là où Ren est l’homme d’une ambition tranchée. Il est délicieux en amoureux coincé incapable de se donner devant sa belle Rusty (Sarah Jessica Parker). Et sa métamorphose en prince de la danse est un élément de surprise et le signe d’une puissante liberté.
Malgré ses défauts, le film est bon : d’abord par les thèmes qu’il aborde sans jamais sombrer dans un sentimentalisme qui ne va pas tarder à devenir coutume dans le film de danse. Aussi et surtout dans l’image qu’il construit de la danse : comme élément indispensable à la liberté de la jeunesse, comme moyen d’entente sociale, et surtout comme vecteur de plaisir.
http://www.youtube.com/watch?v=ywQxR9H0xYc
ESSOUFFLEMENT ET SECOND DEGRE
http://www.youtube.com/watch?v=bC8aCymVnwo
Avec l’âge d’or vient comme de coutume l’essoufflement. Repéré comme genre qui gagne, le filon « film de danse » est exploité jusqu’à la corde. Les années 80 ont leur collection de ces films qui, très marqués par l’époque, sont à peu près tous très célèbres. Leur qualité en revanche est plus que discutable. Ce sont de petits plaisirs dont l’intérêt est dû pour une grande part à l’enthousiasme et la surprise de la première fois. L’intérêt à long terme est contestable.
Fame d’Alan Parker (1980), avec son intrigue en plein dans une école d’arts de la scène, a un gros potentiel. Malheureusement, le film s’essouffle en tournant en rond. N’ayant pas de véritable point d’accroche (événement ou personnage), bref un scénario plus que fouillis, Fame se mord la queue en concentrant son intérêt sur une scène – celle qu’on retient entre toutes – aux dépens du travail d’ensemble. C’est dans ce cas au choix la scène dans la rue (avec la chanson « Fame » justement) ou celle dans la cafet, qui sont supposées nous faire oublier que de tant d’histoires esquissées, aucune n’est jamais approfondie.
Ces nouveaux films se concentrent donc sur une seule scène de danse, sur une prouesse ponctuelle, cime du travail de mise en scène, qui ne fait que souligner par sa résonance la pauvreté de l’heure et demie restante. On pense à l’audition de Flashdance (Adrian Lyne, 1983), le show final de Staying Alive (Stallone, 1983), la fiesta finale de Dirty Dancing (Emile Ardolino, 1987). Dans ce dernier film, les thèmes sont intéressants et le développement fait avec une certaine pudeur, mais c’est pour déboucher sur une conclusion stérile et apaisée, loin de l’ambivalence de La Fièvre. Humour et métaphores centrées sur la piste de danse laissent place à un romantisme facile et une fin vide et épurée. On ne les regarde finalement que pour ces moments de plaisir (les duos sensuels à l’écart des clients du club de Dirty Dancing !) ou au second degré – tant ces films sont marqués par leur époque et portent souvent le sceau du ringard.
LE RENOUVEAU ?
Avec la fin des années 90, le genre s’écarte de cette mauvaise passe univoque en renouant avec la danse ; mais avec succès ? ce n’est pas sûr. Le trait distinctif de ces nouveaux films-là est qu’ils ancrent la danse dans notre époque en la reliant à un élément particulier et caractéristique. C’est donc un ferment de nouveauté. Ce peut être le strip-tease et les gros spectacles made in Las Vegas (Showgirls de Paul Verhoeven, 1996), un climat social typique du cinéma anglais (Billy Elliot de Stephen Daldry, 2000), les bandes de pom-pom girls et les rivalités lycéennes (American Girls de Peyton Reed, 2001), ou souvent le hip-hop (notamment Save the last dance de Thomas Carter, Roméo et Juliette un peu trop facile entre Noirs et Blancs, hip-hop et classique, en 2001).
http://www.youtube.com/watch?v=X7bYFUzKa3w
Chacun y va de sa tentative, qui passe aussi par le remake des classiques ou s’éloigne finalement du genre de départ pour inscrire la danse dans une autre tendance. Le summum du genre reste derrière nous…
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