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Cinéma

Killers of the Flower Moon : on a cherché le chef-d’œuvre, on a trouvé un film au racisme insidieux

Martin Scorsese, Robert De Niro, Leonardo Di Caprio réunis dans un film à l’esthétique sublime qui, de surcroit, est censé reconnaitre la violence des États-Unis. Des critiques qui crient au chef-d’œuvre. Mais derrière cette façade de perfection, Killers of the Flower Moon mérite d’être beaucoup plus interrogé.

Cet article contient des spoilers de Killers of the Flower Moon.

La plupart des critiques presse sont dithyrambiques à propos de Killers of the Flower Moon, et ce n’est pas étonnant. Sur le papier, le film est extrêmement consensuel.

Dans une écrasante majorité de médias, on s’émerveille (à raison) de la réunion du plus grand trio de cinéma de ces cinquante dernières années (DiCaprio, De Niro, Scorsese). Évidemment, tout le monde joue très bien. Partout, on loue la photographie du film, qui, naturellement, est parfaite (on a du mal à imaginer comment il aurait pu en être autrement pour un film de Scorsese, à 200 millions de dollars.)

Ajoutez à cela une dimension spéciale, qui donne à Killers of the Flower Moon un statut singulier dans la filmographie de Martin Scorsese : le film a une caution éthique et politique. Depuis presque un an, la campagne de marketing le présente comme un film très engagé parce qu’il parle de meurtres perpétrés sur les Osages (une tribu native-américaine du Midwest des Grandes Plaines).

Martin Scorsese a non seulement engagé de vrais acteurs d’origine autochtone (n’est-ce pas la moindre des choses ?) et a même fait savoir qu’il avait réécrit tout son scénario, considérant que la version originale était trop située du point de vue des hommes blancs. Pareillement, De Niro est allé jusqu’à s’engager pêle-mêle contre la politique de Trump et le meurtre de George Floyd lors de l’avant-première du film à Cannes. Le message était clair : préparez-vous pour un film vraiment antiraciste.

Seulement, devant un film, l’important n’est pas de se demander quel est le sujet traité, mais plutôt comment il est traité. Critiquer un film ne se limite pas à se demander s’il coche des cases – c’est bien joué, c’est beau, c’est engagé. Ces questions, un coup d’œil à une bande-annonce suffirait presque pour y répondre. Il convient davantage de se demander ce que raconte la mise en scène, le scénario, le montage, le jeu des acteurs. Or, lorsque l’on pose ces questions, Killers of the Flower Moon est un film autrement plus ambigu que le simple film d’auteur engagé que l’on nous vend partout.

Un film « sur les Osages »…où les Osages sont morts, malades ou tout simplement absents

Le principe du film est simple : William Hale (Robert De Niro) est un homme d’affaires avide très intégré au sein de la communauté Osage, qui considère ce dernier comme un ami. Hale multiplie les combines pour voler la fortune des autochtones, devenus richissimes après que du pétrole a été découvert sur leurs terres. Quand il n’organise pas des attentats ciblés, il manigance des mariages arrangés pour obtenir l’héritage de femmes Osages. Il fait notamment venir son neveu, Ernest Burkhart (Leonardo DiCaprio) un simple d’esprit qu’il somme d’épouser Mollie Kyle Cobb (Lily Gladstone).

Killers of The Flower Moon // Source : Apple TV
Killers of The Flower Moon

Killers of the Flower Moon a beau durer 3h30, on est frappé de constater à quel point aucune séquence ne se démarque de l’ensemble. On se contente d’assister à une répétition de meurtres, de découverte ou d’enterrement de cadavres des Osages, souvent atrocement mutilés. Quand ils ne sont pas morts, les autochtones ne cessent de pleurer, noyer leurs souffrances dans l’alcool ou tomber malades. Les autochtones sont représentés comme des sortes de quilles humaines qui tombent les unes après les autres, sur une toile de fond. On aurait aimé par exemple qu’il n’y ait ne serait-ce que plus de trois plans sur des Osages discutant entre eux, pour ne pas les montrer seulement comme des corps déshumanisés. En 3h30, cela aurait été possible.

Une fois toutes les heures et demie, Scorsese les filme lors de réunions où ils se demandent « Mais qui peut bien être à l’origine de nos malheurs ? » – réunion auxquelles William Hale, le seul patriarche Blanc de la communauté, est toujours convié. Souvent, De Niro est même filmé au centre des plans, rendant la suspicion d’autant plus évident. Pourtant, le réalisateur ne montre pas le moindre signe suggérant que les Osages se doutent de l’identité du meurtrier. Difficile, dès lors, de ne pas avoir la désagréable sensation que les Natifs-Américains sont représentés comme un peuple naïf, passif, docile, qui n’a pas montré la moindre résistance à leurs meurtriers.

Killers of the Flower Moon
Killers of the Flower Moon

Lily Gladstone : une grande actrice réduite au rang de « token »

L’exemple le plus probant de cette relégation au second plan des Osages est le rôle donné à Lily Gladstone. Au début du film, cette dernière est absolument rayonnante tant elle joue bien. Outre son jeu, ses costumes, ses dialogues et toute son attitude ouvre une fenêtre passionnante, et si bienvenue, sur la culture Osage.

Malheureusement, cette fenêtre est presque aussitôt refermée. Très vite, le personnage est pratiquement évincé de l’écran. On ne la verra pratiquement plus. Dans la suite du film, elle sera représentée comme les autres autochtones et n’apparaitra que pour perdre des sœurs, une mère ou être gravement malade. Autrement dit, son personnage est l’incarnation de la passivité.

Le réalisateur a expliqué avoir réécrit son film pour le centrer davantage sur le couple Ernest Burkhart et Mollie Kyle Cobb. Mais en réalité, Lily Gladstone est complètement dissoute par l’omniprésence de Leonardo DiCaprio, qui lui, est dans absolument tous les plans du film. On aurait adoré avoir accès à ce personnage de femme autochtone, connaitre la façon dont elle a vécu ces tragédies, au lieu de se contenter de la regarder souffrir dans des scènes écourtées.

Le choix d’exploiter le talent d’une actrice brillante et d’origine autochtone avant de l’évincer pose la question du tokénisme. Cela désigne la pratique à laquelle un groupe, ou un organisme, a recours, afin d’inclure des personnes des minorités, dans le but de pouvoir se targuer d’être inclusives. On peut se demander si Lily Gladstone n’a pas été employée plus comme une caution pour se prévaloir des accusations de racisme que comme une actrice au même titre que DiCaprio.

Femmes autochtones dans Killers of the flower moon // Source : apple tv
Femmes autochtones dans Killers of the flower moon // Source : apple tv

Une « magnifique histoire d’amour » ?

L’un des signes les plus alarmants de cette instrumentalisation est que, d’après Martin Scorsese et la plupart des retours critiques, on loue le film pour son « histoire d’amour magnifique ». Cette formule est édifiante lorsque l’on sait qu’Ernest Burkhart est impliqué dans toutes les manigances de son oncle pour décimer la communauté autochtone et participe même activement au meurtre de la sœur de Mollie.

Killers of the flower moon // Source : Apple tv
Killers of the flower moon // Source : Apple tv

Parce que ce personnage a l’excuse d’être simple d’esprit, on nous fait croire que cette histoire est romantique. Toujours au centre de l’attention et du cadre, le personnage de Leonardo DiCaprio est traité avec sympathie et empathie.

Souvent, il apparait plus comme un clown qui s’ignore que comme un monstre. On pense notamment à une séquence où il apparait dans toute sa dimension grotesque, lorsque son oncle lui botte les fesses. À la fin du film, Martin Scorsese filme la repentance d’Ernest. Dans une longue séquence, il pleure et se roule par terre, en apprenant que son enfant métisse est mort. Ce sont ses toutes premières larmes dans le film, alors qu’il n’a cessé de torturer sa femme.

Dès lors, la question se pose. Aurait-on salué une « magnifique histoire d’amour » si cette femme avait été blanche ? Aurait-on trouvé cette relation romantique ? Considérer qu’il y a une beauté tragique dans cet « amour » au lieu de se demander pourquoi le film s’intéresse plus aux bourreaux qu’aux victimes, cela participe à l’ambiguïté dérangeante de Killers of the Flower Moon.

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Les Commentaires

5
Avatar de Papillon Bleu
26 octobre 2023 à 08h10
Papillon Bleu
@Lorna.

Tu pointes du doigt le malaise que j'ai ressenti à la lecture de l'article.
Il y a des phrases que j'ai trouvé particulièrement violentes, parce qu'elles donnent l'impression de nier l'état de sidération et de souffrance dans lequel on du se trouver les victimes. Comme si elles étaient "coupables" d'avoir été passives et qu'on occultait le climat de terreur dans lequel elles ont brutalement été plongées.
Alors si en plus les Osages valident le film et que l'article ne le précise pas, c'est clairement problématique...
8
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