« Voir le bout du tunnel », c’est sortir d’une situation longue et pénible, revenir à la lumière, et respirer, enfin. C’est ce qu’il est arrivé à Laurent Jacqua, condamné pour avoir abattu un de ses agresseurs, qui a passé une trentaine d’années derrière les barreaux avant de devenir écrivain. Cette histoire dramatique, Grand Corps Malade en a fait une chanson sur une musique d’Ibrahim Maalouf, Le bout du tunnel, parue sur son album Funambule sorti en 2013.
Un an et des poussières plus tard, au lieu d’un simple clip, le réalisateur Mehdi Idir en a tiré un court-métrage, esthétique pertubant et sans pitié, avec un casting d’acteurs impressionnant.
En décembre 1984, alors qu’il rentre avec sa petite amie, incarnée par Izia, Laurent Jacqua, qui a à peine 18 piges, est attaqué dans la rue par deux skinheads. Il sort son arme et en abat un des deux. On suit alors son arrivée en prison, sa vie parmi ses camarades de galère et la descente aux enfers, lorsque le médecin (ici Richard Borhinger) annonce à Laurent Jacqua qu’il est séropositif.
Le film raconte aussi son évasion, le 9 octobre 1994, avec un complice (joué par Nicolas Duvauchelle), lors de laquelle ils prennent en otage un gardien qu’interprète Kyan Khojandi. En 2000, Laurent Jacqua s’est mis à l’écriture. Depuis, il s’est repenti, est sorti de prison et beaucoup écrit sur son expérience.
Dans Le bout du tunnel, le parcours de Laurent Jacqua est vu en point de vue omniscient, comme tu étais dans sa tête et dans son corps. Le court-métrage est visible sur le web depuis le 16 avril dernier, mais avant ça, il a été présenté en avant-première dans un cinéma de Paris. Ca a été l’occasion d’en savoir un peu plus sur le projet et sur ce qui lie Grand Corps Malade et Laurent Jacqua.
De l’histoire vraie à la chanson et au film
Parce qu’avant le film, avant la chanson, il y a des années et une rencontre. Grand Corps Malade avait fait la connaissance du futur écrivain lors d’un concert en prison, et l’a revu à sa sortie en 2010 :
« J’ai eu l’occasion de connaître plus en détail son incroyable histoire, et je lui ai demandé l’autorisation d’en faire une chanson. »
Devant la salle venue voir le court-métrage, le slameur a insisté sur le fait que le but de cette nouvelle vidéo n’était pas de faire de la pub :
« L’album est sorti depuis un an et demi, il a vécu. Donc ce clip-là, ce n’est pas du tout un clip de promo pour l’album. Ca fait longtemps, avec Mehdi, depuis un an, qu’on se dit qu’il faut qu’on fasse un film sur cette chanson là. »
Les acteurs étaient tous bénévoles, m’a aussi dit Grand Corps Malade :
« On les a choisi Mehdi et moi. On les a trouvés par nos connaissances, c’était aussi ceux dont on sentait qu’ils seraient touchés par le projet. Ca c’est fait comme ça, en passant deux-trois coups de fil. Laurent n’a pas participé au choix, il les a rencontré pendant le tournage. »
Un clip le plus réaliste possible
L’objectif était de faire un film le plus crédible possible autour de la vie de Laurent Jacqua. Pas de décor en carton-pâte : le court-métrage a été tourné dans une vraie prison, celle de Nanterre.
L’équipe a pu filmer les bâtiments, mais aussi le « mitard », le cachot à l’écart des autres dans lequel sont envoyés les détenus punis. Mehdi Idir, le réalisateur, a confessé qu’ils ont eu des autorisations que peu de gens se voient accorder.
Grand Corps Malade a confirmé et confié les conditions très particulières dans lesquelles s’est déroulé le tournage. L’équipe a même réussi à faire entrer un calibre en prison !
« Normalement, quand il y a des tournages en prison, on filme dans un endroit vidé de détenus. Ici, pendant la scène de l’évasion, chaque détenu était derrière sa porte, alors que ça crie, ça gueule, et qu’il y a plein de gros mots. Il fallait être super ouvert d’esprit de la part du personnel pénitentiaire pour accepter de tourner comme ça. »
Laurent Jacqua était d’ailleurs présent sur le tournage, comme me l’a raconté le slameur :
« Laurent, c’est les archives de l’histoire des prisons : il en a fait au moins 20 en France, il connaît toutes les lois, tous les termes. Il est revenu en prison pour la première fois pendant le tournage. Sa présence était précieuse : il nous a donné des conseils, nous a dit « attention, ça c’est pas possible, ça c’est crédible », les gestes des mâtons… On ne raconte pas tout dans le clip, mais tout ce qu’on raconte est vrai ! »
Une histoire d’écriture
Grand Corps Malade a narré au public l’histoire de son amitié avec Laurent Jacqua :
« J’ai fait des concerts en prison à la Maison centrale de Poissy, en 2007 et 2009. Après ces concerts, qui avaient lieu dans un gymnase, on avait fait un petit casse-croûte dans les vestiaires. C’est là que j’ai rencontré Laurent, on a discuté une première fois. Au deuxième concert, on a un peu plus discuté, et notamment du futur, puisque comme vous l’avez vu, Laurent écrit énormément. »
Pourquoi ce prisonnier là, en particulier ? Grand Corps Malade se souvient :
« C’est des relations humaines, ça ne s’explique pas. Mais on a sympathisé, il y a eu un bon feeling. Il m’a recontacté une fois qu’il était dehors, et j’avais hâte de le revoir. Son histoire était particulière, et il m’a beaucoup parlé d’écriture, donc forcément ça me parlait aussi. »
Grand Corps Malade reconnaît qu’il peut y avoir une proximité entre leurs vécus et donc leur écriture :
« Quelque part, il y a des parallèles. J’ai été beaucoup en milieu hospitalier, et le parallèle avec la prison, des fois, on se le fait. Mine de rien, quand t’es coincé sur un lit à l’hôpital, tu es une sorte de prisonnier. »
Mais il rappelle que lui avait déjà un métier et avait retrouvé son autonomie et sa liberté avant de se mettre à écrire. Laurent Jacqua, lui, est sorti de prison grâce à sa plume :
« Cet exutoire a été très important pour Laurent Jacqua. On est dans le cliché, mais c’est vrai : il a arrêté la violence à partir du moment où il s’est mis à écrire. »
Laurent Jacqua était présent à la projection, et il a plus que confirmé :
« J’avais fait plus de 30 ans, j’avais pris 76 ans au total, et je devais sortir en 2040 – mais avec tout ce que j’ai fait, je le méritais. J’ai fait 27 ans de prison, mais 27 ans contre la prison, pour la liberté. C’est vrai, je me suis évadé, j’ai fait tout un tas de trucs. Mais ma plus belle évasion, en fin de compte, ç’a été l’écriture. En réalité, dans le monde de merde dans lequel on vit, le message c’est de dire qu’avec la culture, avec l’écriture, on peut s’en sortir. Moi, ce que je vous conseille si vous êtes dans la merde, c’est d’écrire. »
Laurent Jacqua a expliqué que c’est la communication avec les autres, « l’effort d’écrire et de ne pas se morfondre » qui l’a amené vers la sortie. En 2005, il a ouvert le premier blog tenu par un prisonnier, Vue sur la prison, qu’il tient encore aujourd’hui. Il a écrit un livre, J’ai mis le feu à la prison. Aujourd’hui, il est en liberté conditionnelle.
Après l’émotion, les projets continuent
Mehdi Idir s’est lui aussi souvenu devant la salle que l’ex-prisonnier l’avait impressionné :
« La première fois qu’on a vu Laurent, il nous avait dit : « Normalement, si tout va bien, en 2022 je peux demander une remise de peine, et peut-être sortir un peu plus tôt. C’était en 2007. Ca nous avait un peu marqué parce que nous, on savait pas ce qu’on faisait la semaine d’après, et lui il se projetait en 2027… »
Grand Corps Malade, hyper humble, se rappelle que Laurent Jacqua était flatté lorsqu’il lui a demandé s’il pouvait transformer son histoire en texte de slam :
« Et la première fois que je lui ai fait écouter la chanson, il était assez ému. Il m’a dit : « Putain, t’as raconté ma vie en quatre minutes ! » Le film, il n’y avait jamais pensé. Là, il avait déjà vu le montage, mais pas la version finale. C’était la première fois ce soir, en plus sur grand écran et avec une salle pleine. Il eu une petite émotion ! »
Depuis sa sortie de prison, Laurent Jacqua, en plus d’écrire, milite pour la lutte contre le Sida en sensibilisant notamment à la situation des détenus séropositifs, participe à des conférences… La conclusion de Grand Corps Malade en face du public était donc un message ultra-positif : s’en sortir, c’est possible. Et ce court-métrage, ce ne sera pas le dernier film.
« Il faut qu’il y a des choses en prison, ça donne un peu d’espoir, de belles histoires et des sorties anticipées comme celles de Laurent. Aujourd’hui, il a plein de projets, il est en train d’écrire un film qui est déjà produit, il est en train de peaufiner le scénario. Tout va bien pour lui, et ça me fait très plaisir. »
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Les Commentaires
Du coup je me souviens que je voulais lire le livre de Grand Corps Malade, je vais le chercher tiens.
Et au fait bizarre non ?