Quand j’ai entendu parler de féminisme pour la première fois, j’étais un peu perplexe. Pas parce que je trouvais ces idées stupides, mais justement parce qu’elles me semblaient évidentes. Je trouvais ça étrange de faire autant cas d’idées somme toute plutôt logiques.
Effectivement, quand on ne cherche pas bien loin, on s’arrête au « les hommes et les femmes sont égaux ». En y réfléchissant pas plus que ça, par rapport à ce qu’il se passait il y a ne serait-ce que cinquante ans, finalement on est plutôt pas trop mal loties en France. C’est vrai, quoi : on a le droit de vote, l’indépendance économique, l’avortement, le divorce, et on peut accéder aux mêmes postes que les hommes.
Donc comme beaucoup de gens, je caricaturais les féministes en grosses extrémistes qui voulaient asservir les hommes et dominer l’univers.
Comment je suis devenue féministe
Et puis au fur et à mesure de mon évolution personnelle, de mes lectures et de mes fréquentations, j’ai commencé à vraiment m’y intéresser. Au départ je voyais tout ça d’un œil très neutre. C’était juste pour information, pour ma culture. Mes propres convictions se sont formées tout en douceur, tellement que je ne comprends d’ailleurs pas vraiment encore quand c’est arrivé.
L’idée que le féminisme était un vrai combat et surtout un vrai problème de société s’est plantée dans mon crâne de manière insidieuse. J’ai juste réalisé un jour que j’étais féministe. J’ai pas vraiment l’impression que c’est une décision que j’ai prise en toute autonomie, vraiment. C’est juste qu’en regardant les choses à travers le prisme de ma culture, de mon vécu, c’était évident pour moi d’embrasser ces idées. Enfin plutôt, ça aurait été complètement en contradiction avec ce que je suis de les renier.
Mais le problème chez moi, c’est que je n’arrive pas à m’intéresser à quelque chose sans pousser la réflexion loin, voire trop loin. Quand j’aime une chose, que ce soit un groupe de musique, un auteur, un film ou encore une activité, c’est toujours de manière excessive et passionnée. C’est un des traits de caractère qui me caractérise le plus, celui qui fascine mes amis tout en les faisant halluciner.
J’aurais dû me douter que ça allait déraper cette fois…
Je n’arrive pas à savoir si j’aurais préféré en rester là où j’étais il y a quelques mois/années. Continuer de penser que le féminisme c’est cool, que les femmes sont les égales des hommes, mais que les féministes font beaucoup de bruit pour rien.
Parce que plus je me renseigne, plus je me documente et plus j’ai mal. Il ne se passe pas un jour sans que je relève une réflexion sexiste, que cela sorte de la bouche de mes amis, de ma famille, de mes profs…
Je suis féministe et je me déteste
Par conséquent, je suis constamment sur la défensive, prête à sauter sur les personnes tenant des propos que je considère désormais comme inacceptables. J’en suis arrivée à engueuler un mec que je connaissais à peine parce qu’il avait fait une boutade en disant à un de ses potes qu’il avait « une écriture de fille »…
Dis que t’es désolé, ou je vais faire en sorte que tu sois foutrement désolé.
Je crois que c’est à ce moment-là que je me suis rendue compte que je suis devenue exactement ce que je méprisais
: une fille aigrie, cynique, révoltée et agressive. Je ne sais pas si c’est un passage inévitable quand on est féministe ou si c’est juste moi qui débloque…
Tout ce que je sais, c’est que j’en veux au monde entier. J’en veux à mes potes mecs de ne pas chercher à comprendre, de balancer des réflexions gerbantes sur le physique des filles en se dédouanant parce qu’« un mec ne pense qu’au cul, c’est comme ça ». Mais honnêtement, ce qui me rend vraiment folle de rage, ce sont les filles.
Les filles qui, mine de rien véhiculent tout autant voire plus le sexisme. Les filles qui zappent un mec parce qu’il n’a pas mis la main au portefeuille au premier rendez-vous. Les filles qui continuent de penser que les jeux vidéo, c’est que pour les mecs. Les filles qui trouvent ça normal qu’on blâme une victime de viol à cause de la longueur de sa jupe ou du litre d’alcool qu’elle avait ingurgité.
Comme je l’ai évoqué plus haut, mes amis ont toujours eu l’habitude de me voir m’enflammer pour des sujets divers et variés, m’en faire une obsession pendant quelques mois, puis passer à autre chose du jour au lendemain. Avec le féminisme, c’est différent. Il ne s’agit pas d’un simple hobby, d’un groupe de musique ou d’un truc sans conséquence.
Être féministe a profondément changé ma façon de penser, de voir le monde et de réagir en société. Il s’agit de mon éducation, de quelque chose que je ne pourrais pas juste classer pour passer à autre chose.
Malgré cela, beaucoup de mes amis ne me prennent pas vraiment au sérieux. Il se contentent d’acquiescer, de lever les yeux au ciel quand je commence à m’enflammer, et surtout ils me laissent parler toute seule. Il me disent que je suis « mignonne ».
Le souci c’est qu’ils m’ont tellement vu en faire des tonnes pour des bêtises avant qu’ils ont du mal à me prendre au sérieux maintenant que je me préoccupe de quelque chose qui en vaut la peine. Ça me frustre énormément, mais j’ai bon espoir qu’avec le temps, j’arriverai à me faire entendre et à leur montrer que cette fois ce n’est pas la même chose.
Les personnes que j’arrive le plus à toucher sont celles que je connais depuis moins longtemps. J’ai beau ne pas être une oratrice hors-pair, quand il s’agit de défendre quelque chose qui me tient à cœur, je sais m’exprimer avec ardeur. Aux yeux de ces gens, je passe pour une fille parfois un peu trop agressive, certes, mais ils m’écoutent et ils réfléchissent à ce que je dis.
Une pote que j’ai rencontrée il y a quelques mois m’a avoué qu’elle m’admirait de me poser autant de questions, et surtout d’arriver à concilier mes opinions avec l’ouverture d’esprit et la tolérance qui me caractérisent. Ces paroles m’ont fait tellement de bien que j’ai eu le sourire toute la journée !
Continuer malgré tout
Il m’arrive de bien vivre mon féminisme. Ce sont les jours où j’ai l’impression d’apprendre des choses aux autres, de les toucher et de remettre en question leurs idées préconçues.
Mais la plupart du temps je le vis mal. À cause d’une conversation avec un ami que je n’ai pas su convaincre, à cause d’une vidéo, d’un article de journal ou encore d’une pub. À cause d’une boutade lancée au détour d’une conversation. À cause de tous ces événements de la vie quotidienne auxquels j’assiste en étant complètement impuissante, en sachant que c’est mal mais que beaucoup ne le remarquent pas.
Je ressens un malaise quasi-permanent à l’idée de toutes ces notions que j’ingurgite dans mes lectures mais que je ne peux pas exploiter, parce que la société est comme ça, parce que tout le monde ou presque s’en fout. Je me déteste de rester les bras ballants, tout en me montrant sceptique face à certains mouvements féministes qui me semblent avoir perdu l’âme de leur combat à force de vouloir se faire entendre.
Je suis fatiguée de me détester parce qu’il m’arrive de réaliser que j’ai fait ou dit un truc sexiste moi-même sans m’en rendre compte.
Je déteste mon cerveau qui analyse tout, décortique tout ce qu’il voit et me plombe le moral.
J’en ai marre de cette rage, tous les jours. Je la sens au fond de moi, dans mon ventre, dans ma gorge. J’essaye de la contenir, de me calmer, de relativiser. J’ai de plus en plus de mal à intérioriser. J’essaye de ne pas coller au cliché de la féministe acharnée en ne débattant pas avec des gens complètement fermés. Mais c’est dur…
Je me souviens notamment d’une fois où j’étais dans un parc avec des potes. L’une d’entre elles s’était lancée dans un discours complètement hallucinant de sexisme. Je savais qu’elle est particulièrement fermée et n’écouterait jamais mon avis, alors je n’ai rien dit. Mais toutes les autres ont remarqué qu’à la place, durant les longues minutes de son monologue, j’arrachais l’herbe d’un geste rageur en gardant les yeux fixés au sol.
Et malgré ça, malgré ce mal-être que ma nouvelle position de féministe a engrangé en moi, je continue. Je continue de lire, de rester en veille, de m’informer. J’ai envie d’enrichir mon argumentaire, de pouvoir convaincre et fermer la bouche de tous ceux qui auraient envie de nier la réalité.
J’espère qu’avec le temps, j’arriverai à voir les choses de manière plus détachée, et à m’apaiser. Et surtout à avoir un réel impact sur la pensée des gens avec qui j’échange au quotidien.
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