Sans révéler le dénouement du film Les Mitchell contre les Machines, cet article évoque des éléments de son intrigue.
Pour vous, ce sera peut-être le running gag du carlin dont on ne sait pas trop s’il est un chien, un cochon ou une miche de pain. Ou ce sera cet étonnant style d’animation, si rafraîchissant face aux grands yeux de Disney et au photoréalisme de Pixar. Ça pourrait aussi être l’impact émotionnel du film, l’amour familial qu’il défend contre vents et marées, son message d’acceptation de soi qui donne du baume au cœur.
Peu importe ce qui vous procurera du bonheur devant Les Mitchell contre les Machines, il est certain qu’au moins un des éléments du film vous réchauffera de l’intérieur. Et pour beaucoup de personnes, cet élément, c’est la présence dans un long-métrage d’animation familial d’un personnage non hétérosexuel, de façon assumée et pourtant en toute légèreté !
Une héroïne lesbienne ou bisexuelle dans un film d’animation, ce n’est pas si compliqué
Au fil du film, les indices sur l’orientation sexuelle de Katie, l’aînée de la famille Mitchell, se multiplient. Il y a le pin’s arc-en-ciel qu’elle porte en permanence au revers de sa veste. Il y a plusieurs répliques qui mettent la puce à l’oreille : « Ça m’a pris un moment avant de comprendre qui j’étais », affirme la jeune femme, avant d’enseigner à son petit frère qu’avoir honte de qui il aime n’est pas une façon de vivre sa vie.
Il y a, moins subtil encore, ce plan : un arc-en-ciel, et Céline Sciamma au mont Rushmore des cinéastes imaginé par Katie !
Mais là où beaucoup de films s’arrêtent à suggérer qu’un personnage n’est pas hétéro sans jamais l’affirmer (une pratique souvent accusée d’être du queerbaiting visant à attirer les publics LGBTI+ sans leur offrir de réelle représentation), Les Mitchell contre les Machines franchit le minuscule pas que tant n’osent pas sauter en confirmant directement que oui, Katie aime les femmes — et que sa mère n’a pas de souci avec ça, puisque c’est elle qui lui propose d’inviter sa petite amie pour les fêtes.
Maëlle Le Corre, spécialiste des sujets de société chez Madmoizelle et membre de l’Association des journalistes LGBTI, porte un regard positif sur ce choix scénaristique :
« C’est assez malin, parce que l’intrigue convoque plein de références que beaucoup de lesbiennes ou de femmes queer vont comprendre instantanément (la référence à Céline Sciamma, un morceau de Le Tigre dans la bande originale, une chemise de bûcheron, et puis la manière d’être de l’héroïne dans son ensemble), donc ça crée de la connivence avec nous en tant que public. Et à la fin, on a juste une phrase qui nous dit qu’elle a rencontré une fille : c’est complètement banalisé.
L’équipe derrière le film aurait pu se dire “c’est bon, la communauté lesbienne va piger avec tous ces clins d’oeil, pas besoin d’être explicite”, mais non : les personnes impliquées ont été au bout de leur démarche. On pourrait regretter que ça n’arrive qu’à la fin, mais le risque, sinon, aurait été que ça tombe comme un cheveu sur la soupe, comme du “diversity washing” : le fait de mettre trop en lumière son “effort” de représentation sans que ça ne paraisse sincère et pertinent.
On a un personnage de jeune fille lesbienne ou bisexuelle, en tout cas qui n’est pas hétéro, et son identité nous est transmise par des signes, pas par l’éternel coming-out, le fameux “Maman, Papa, j’aime les filles” — je trouve ça limite plus intéressant. »
La représentation trop rare des communautés LGBTI+ dans les films d’animation
Si la représentation des personnes LGBTI+ dans le cinéma au sens large avance, elle est singulièrement lente au sein des films d’animation grand public : cela ne fait même pas 10 ans qu’un personnage ouvertement gay est apparu dans Paranorman, devenant le premier exemple du genre… en 2012. Et il ne s’agissait pas du héros.
À l’époque, déjà, le scénariste et co-réalisateur homosexuel du film confiait au média Advocate :
« C’était important pour nous [d’inclure un personnage gay, ndlr]. Nous racontions, fondamentalement, une histoire autour de l’intolérance. Nous avons estimé qu’il était important d’avoir le courage de nos convictions. »
Depuis cette « première fois », les exemples sont rares, comme en témoigne Abbi Jacobson, comédienne révélée par Broad City
et ouvertement bisexuelle ; elle double Katie dans Les Mitchell contre les Machines et explique à Pride qu’elle-même ne s’est jamais sentie représentée dans le cinéma d’animation.
« J’adore le fait que Katie soit queer. Je suis queer moi-même, donc c’était rafraîchissant de jouer une adolescente queer dans un film d’animation. Ce n’est pas quelque chose que j’ai fait auparavant, et pour être honnête je ne l’ai pas vraiment vu non plus. Clairement, je n’ai pas grandi avec ça.
Je pense que c’est tellement important pour la jeunesse de voir ça. Le film parle d’une fracture familiale, mais qui n’a rien à voir avec le fait que Katie soit queer : ça, c’est accepté, célébré dans sa famille. C’est si cool que des gosses puissent voir ça. C’est peut-être encore plus cool que des parents puissent voir ça. Donc j’étais très enthousiaste à l’idée de faire partie de cette aventure. »
Les Mitchell contre les Machines est produit par Sony Animations (Spider-Man: Into the Spider-Verse) ; notons qu’aucun personnage ouvertement homosexuel, bisexuel ou trans n’apparaît dans des longs-métrages d’animation Disney, ni dans ceux de Pixar. Certains ont lu dans le récent Luca une métaphore de l’homosexualité, mais si elle est là, elle demeure en sous-texte ; le seul film Pixar avec un héros gay est le court-métrage Out (2020). Quant à Disney, le studio a intégré une très brève danse entre deux hommes dans La Belle et la Bête en live-action (2017), qui n’était donc pas une œuvre d’animation.
Dire que le chemin à parcourir est long serait un euphémisme. Notons cependant que la simple mention d’un personnage homosexuel a suffi pour que La Belle et la Bête soit retiré de la diffusion au Koweit et en Malaisie et réservé à un public plus adulte en Russie : les studios, et donc les réalisateurs ou scénaristes, doivent composer avec une homophobie persistante qui peut entraver le succès commercial de leur film.
Prochaine étape : un baiser entre deux femmes dans un film d’animation ?
Certes, l’héroïne des Mitchell contre les Machines est ouvertement attirée par les femmes… mais là où le film prend le temps de suggérer les sentiments de son petit frère pour une fillette aussi fan que lui de dinosaures, il ne représente pas vraiment la vie amoureuse de Katie Mitchell, laissée à l’imagination du public après le générique de fin.
D’aucuns pourront le regretter, mais Maëlle Le Corre rappelle que la vie ne se résume pas qu’à l’amour, que celui-ci soit hétéro ou non… et que faire partie des communautés LGBTI+ ne se résume pas qu’à nos relations amoureuses :
« Ce choix montre que sa “queerness” fait partie inhérente de son identité, de son être, de sa créativité aussi en tant que jeune femme artiste. »
Espérons néanmoins qu’à l’avenir, on puisse avoir le beurre et l’argent du beurre, à savoir un panel de représentations LGBTI+ dans les films d’animation suffisant pour qu’on puisse raconter des histoires d’amour et d’autres récits !
Si Les Mitchell contre les Machines n’avait qu’un message à faire passer, ce serait celui-ci : soyez vous-mêmes, aimez-vous comme vous êtes, ne changez pas pour convenir aux autres. Chez un autre studio, à une autre époque, ce message aurait été librement interprété par des personnes LGBTI+ comme correspondant à leur vécu ; en 2021, elles n’ont pas besoin d’imaginer une connexion entre le film et leur réalité, puisqu’elles peuvent se voir elles-mêmes à l’écran.
Ce n’était pas si compliqué, finalement.
Retrouvez Les Mitchell contre les Machines sur Netflix.
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Les Commentaires
Je comprends totalement le besoin de représentation mais je trouve ça agréable qu'être queer soit aussi montré comme un non-évènement, qu'il n'y ait pas besoin de centrer l'histoire dessus. Quand on parle de famille et de queerness l'une des seules représentations qu'on a c'est souvent celle de la difficulté à faire son coming-out, du rejet et de la violence qui en résulte potentiellement. Et c'est vrai que ça existe mais à force je trouve ça anxiogène, c'est aussi rassurant de montrer que parfois c'est juste banal.