Publié initialement le 16 novembre 2015
On arrive au bureau. Beaucoup ne se sont pas vu•e•s depuis vendredi, depuis avant, depuis les rires et les programmes de soirées en terrasses, de Netflix & chill
, de rencard ou de cocooning. Tout le monde s’est parlé, depuis ce terrifiant fil de discussion sur notre groupe Facebook privé, où on mentionnait les autres : tu es là ? Tu vas bien ? Tu es à l’abri ? On a des nouvelles d’unetelle ? Untel est sur répondeur, je suis sûr•e que c’est rien mais j’ai peur. Tout le monde a envoyé sa petite luciole dans la nuit sur le fil d’Ariane du XXIème siècle.
Tout le monde ou presque est là ce matin. Personne ne manque à l’appel mais certain•e•s sont en déplacement, malades, absent•e•s. On se sourit, faiblement. On échange des câlins, on fait beaucoup de café, l’eau chauffe pour les adeptes du thé. J’ai hésité à acheter des croissants, et puis je me suis dit que j’avais l’estomac trop noué. J’ai pris des Kleenex. La cacophonie du lundi matin est aux abonnés absents, mais elle reviendra, tout reviendra. Sauf ceux et celles qui ne reviendront pas.
Tout le monde est là mais tout le monde connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un qui n’est plus là.
Les minutes se déroulent, lentement, comme à reculons. On fait le point : de quoi va-t-on parler ? De quoi veut-on, peut-on parler ? On vous demande : de quoi voulez-vous qu’on parle ? On ne veut pas lâcher l’affaire. On ne veut pas vous lâcher. On ne veut pas abandonner. On ne veut pas tourner en rond.
On décide selon les sensibilités. Il y a celles qui ne peuvent pas, et ce n’est pas grave, qui rentrent dormir, bien à l’abri. Il y a celles qui veulent mais ne savent pas, alors on aiguille, on peaufine, on échange. Les infos circulent en continu. Sous la ligne d’horizon, les larmes ne sont jamais loin, pour moi en tout cas. Elles oscillent comme une marée lourde et puissante, ne se décident pas à crever la surface.
Pas encore. Il n’est que midi vingt-six.
On croyait qu’on avait vécu le lundi le plus long mais celui-ci est un bon challenger. Paris est à la fois meurtrie et fière, boitillante mais revancharde. Les habitant•e•s font mentir les clichés, se sourient dans le métro, se tapotent l’épaule quand ça ne va pas, pas d’échauffourée, de gens trop pressés. J’ai souri à un musulman qui priait en silence, égrenant son chapelet, assis sur un strapontin, murmurant sans bruit des envies d’un monde meilleur. J’ai espéré qu’il ne lui arrive rien. Je l’ai admiré.
À midi, c’était le silence. Tou•te•s regroupé•e•s, sans se toucher mais forcément connecté•e•s. Les secondes défilent et la ville s’arrête le temps de quelques battements de cœur. « Voilà, il est midi une », alors on est revenu•e•s au poste mais on a pas brisé le silence tout de suite. Il s’est attardé comme un invité qui ne veut pas rentrer chez lui.
On vous prépare des infos et de la douceur, du décryptage et de l’amour, du courage et de la tendresse. Tout ce qui se bouscule en nous, en vous. C’est un long lundi et il est loin d’être fini.
Mais je suis heureuse et fière de le passer là, avec vous.
Les Commentaires
Je suis surtout en colère, en colère parce que je me sens tellement impuissante. Contrairement à beaucoup d'autres sujets j'ai l'impression qu'on ne peut pas faire grand chose au niveau individuel et je voudrais vraiment me bouger et faire quelque chose qui me donne l'espoir que ça ne recommencera pas. Je ne sais pas si c'est l'article idéal pour demander ça, et j'ai vu la pétition, mais est-ce que quelqu'un a vu/entendu/commencé un mouvement, une action ou quelque chose afin de manifester ou réagir?
Gros calin à toutes celles/tous ceux qui en ont besoin